Avant d’être propulsé sur le devant de la scène par la nomination de Trump, Hegseth n’était que relativement peu connu à Washington. Diplômé de Princeton et de Harvard, il a servi en Irak et en Afghanistan au sein de la Garde nationale du Minnesota, son État natal. Il a reçu pour ses services deux Bronze Star Medal ainsi que de nombreuses décorations militaires avant de rejoindre la chaîne conservatrice Fox News en 2014 comme chroniqueur régulier. Il est notamment connu pour avoir manqué de tuer quelqu’un en lançant une hache dans le vide en direct à la télévision.
- C’est en 2001, alors qu’il étudiait à Princeton, que Hegseth s’engage dans le Reserve Officers’ Training Corps (ROTC), un programme permettant de devenir officier au sein de l’armée tout en poursuivant des études.
- Au cours de ses années à l’université, il écrit pour The Princeton Tory, un journal au sein duquel Hegseth cherche à « légitimer le conservatisme en tant que philosophie » et loue les « solutions tangibles aux maux de la société » proposées par les conservateurs 1.
- Il soutient en 2003 un mémoire portant sur « La rhétorique présidentielle moderne et le contexte de la guerre froide », sous la direction de Patrick Deneen, alors assistant professeur, aujourd’hui reconnu parmi les conservateurs pour prôner la nécessaire fin du libéralisme aux États-Unis, qui serait à l’origine des inégalités fracturant la société américaine.
Si Hegseth ne prend pas directement part à ce débat sur le libéralisme, il partage la vision de Deneen, Rod Dreher ou bien J. D. Vance, appelant le gouvernement à soutenir un retour à un modèle « plus traditionnel » de la cellule familiale, marqué par la nécessaire réhabilitation de la « vocation de femme au foyer ». Il se dit également en faveur d’un « renouveau de la foi religieuse ». Mais le principal cheval de bataille de Hegseth est la lutte contre le « wokisme » et ses spectres : l’inclusivité, la diversité, les droits des personnes LGBTQ et le féminisme, supposément dévoyé par le « gauchisme ».
C’est par ailleurs précisément pour « combattre l’idéologie woke » au sein de l’armée que Hegseth a été choisi par Trump pour diriger le Pentagone. Les politiques de défense, la question de la modernisation des armées ainsi que l’allocation des ressources seront surtout des prérogatives de la Maison-Blanche.
- Aux États-Unis, le secrétaire à la Défense est chargé de superviser près de 3,5 millions de personnel militaire et civil ainsi qu’un budget annuel de plus de 800 milliards de dollars. En qualité de second du commander in chief, son rôle est de s’assurer de la bonne conduite des opérations militaires et de fournir une vision stratégique pour le futur des forces.
- La nomination de Hegseth peut être lue comme un signal envoyé à l’armée américaine en tant qu’institution, considérée comme étant l’une des plus ouvertes et agissant comme un important vecteur d’égalité des chances.
- C’est grâce aux programmes dont bénéficient les vétérans après être passés par l’armée que J. D. Vance, le vice-président-élu, a pu étudier à Ohio State University puis intégrer par la suite la prestigieuse école de droit de Yale. En 2022, plus de 800 000 vétérans ont bénéficié de ces programmes pour poursuivre des études après l’armée.
- Dans son dernier livre paru en juin, The War on Warriors : Behind the Betrayal of the Men Who Keep Us Free, Hegseth dénonce « l’idéologie woke » qui gangrénerait l’armée américaine. Au moment de la sortie du livre, celui-ci affirmait sur Fox News que « la diversité ne fait pas la force de l’armée, l’unité fait la force ».
- Hegseth a notamment déclaré par le passé être contre l’envoi de femmes au combat, avant de se rétracter en décembre.
Tout comme Vance, Hegseth s’inscrit dans le courant de la droite nationaliste chrétienne.
- Il est un lecteur des livres de Doug Wilson, le co-fondateur de la Communion d’Églises évangéliques réformées, un mouvement initialement implanté à Moscou et aux États-Unis.
- Dans ses livres, Wilson fait notamment l’éloge du Sud comme constituant une « société chrétienne multiraciale idyllique ». Également « patriarche » du mouvement des TheoBros — des influenceurs traditionalistes chrétiens —, Wilson considère « que les femmes n’auraient jamais dû obtenir le droit de vote » 2.
- Hegseth a également inscrit ses enfants dans un établissement appartenant à l’Association des écoles chrétiennes classiques, un réseau fondé par Wilson. Il a par ailleurs déclaré qu’il n’enverrait pas ses enfants étudier à Harvard, où il est lui-même allé, mais plutôt à l’université New Saint Andrews — également fondée par Wilson 3.
Au-delà de l’éducation, Hegseth a également participé à des podcasts de TheoBros et fait la promotion de livres visant à « armer les chrétiens avec des outils et des armes pour construire, défendre et étendre la nouvelle chrétienté » 4. La rhétorique et l’imaginaire des croisades se retrouve jusque sur le corps de Pete Hegseth, qui porte le tatouage d’une croix de Jérusalem ainsi que de l’inscription « Deus Vult » 5.
Cet imaginaire est revendiqué par Hegseth lui-même.
- Dans son second livre, American Crusade (2020), il écrit : « Tout comme les croisés chrétiens qui ont repoussé les hordes musulmanes au XIIe siècle, les croisés américains devront faire preuve du même courage contre les islamistes aujourd’hui ».
- Hegseth semble par ailleurs partager les thèses de la théorie du grand remplacement, comme en témoigne cette déclaration de mai 2018 vis-à-vis de la France : « Je n’aime pas dire cela, mais je pense que c’est vrai. Un 11 septembre au ralenti est en train de se dérouler à leurs frontières, en France. (…) La démographie a son importance. Les musulmans ont 2,6 enfants, alors que les Français de naissance en ont 1,6 » 6.
Après son retour d’Afghanistan en 2012, Hegseth est nommé l’année suivante président de Concerned Veterans for America, un groupe représentant les intérêts des vétérans américains. Il avait dirigé entre 2007 et 2012 une organisation similaire, Veterans for Freedom, avant de démissionner après avoir presque provoqué la faillite du groupe. Au début de son contrat, Hegseth reconnaissait n’avoir « aucune idée » de ce qu’il faisait à VFF 7.
Les années passées par Hegseth à Concerned Veterans for America ont été marquées par des accusations de mauvaise gestion financière, de harcèlement sexuel et de faute personnelle ayant conduit à sa « discrète démission » en 2016.
- Selon un article du New Yorker cité par la sénatrice Elizabeth Warren, qui siège dans la commission qui auditionnera Hegseth demain, mardi 14 janvier, l’une des raisons l’ayant poussé à sa démission est sa consommation excessive d’alcool. Celle-ci l’aurait notamment conduit à crier « Tuez tous les musulmans ! Tuez tous les musulmans ! » alors qu’il se trouvait dans un bar lors d’un déplacement professionnel 8.
- Ses anciens collègues décrivent « l’avoir vu ivre tellement de fois [que] l’avoir au Pentagone serait effrayant ». Hegseth est également accusé d’avoir agressé sexuellement une femme en 2017 ainsi que d’avoir contribué à instaurer un climat sexiste et hostile envers ses collègues lors de ses années à CVF 9.
- Le passé de Hegseth et les accusations le visant pourraient compliquer sa confirmation par le Sénat. Le démocrate Richard Blumenthal, qui siège lui aussi au sein de la commission des forces armées, a déclaré la semaine dernière : « Je ne vois pas comment cette commission peut, en toute conscience, envisager la nomination de M. Hegseth sans un examen complet de sa conduite à la tête de ces organisations — la seule expérience de gestion civile de sa carrière » 10.
À la suite du retrait de Matt Gaetz, Pete Hegseth est de loin le choix le plus controversé de Trump. Le dernier nominé à avoir été rejeté par le Sénat, le sénateur John Tower, choisi en 1989 par George H.W. Bush pour diriger le département de la Défense, a fini par perdre le vote après cinq semaines de témoignages — notamment en raison de sa consommation d’alcool et de son attitude vis-à-vis des femmes 11. Malgré ces « obstacles », Trump voit en Hegseth un fidèle qui ne s’opposerait jamais à ses directives, notamment utiliser la Garde nationale (voire l’armée elle-même) pour « déporter des millions d’immigrants clandestins ».
Sources
- Hope Perry et Elisabeth Hulette Daugherty, « What Was Defense Secretary Nominee Pete Hegseth ’03 Like at Princeton ? », Princeton Alumni Weekly, 13 novembre 2024.
- Kiera Butler, « Trump’s Defense Secretary Pick Hopes for a Christian Crusade », Mother Jones, 15 novembre 2024
- Robert Stringfellow, « Pete Hegseth : Faith, Family, Freedom, and the American Mind », Nashville Christian Family, 30 décembre 2023.
- Publication sur Facebook de Pete Hegseth, 25 novembre 2023.
- Publication sur X (Twitter) de Matthew D. Taylor sur X (Twitter), 13 novembre 2024.
- « Fox host links Muslim “demography” to stabbing attack in Paris », Media Matters For America, 13 mai 2018.
- Jessica Manfre, « FOX News host Pete Hegseth talks evolution of reserve component », Reserve National Guard Magazine, 9 mai 2022.
- Jane Mayer, « Pete Hegseth’s Secret History », The New Yorker, 1er décembre 2024.
- Courrier adressé par Elizabeth Warren à Pete Hegseth, 6 janvier 2025.
- Blumenthal Demands Review of Hegseth Records, FBI Background File Following Reporting of Gross Misconduct & Financial Mismanagement, 8 janvier 2025.
- Elizabeth King, « This Is What Happened Last Time a Cabinet Nomination Was Rejected », Time, 3 février 2017.