L’une des principales responsabilités du Congrès américain est d’envoyer chaque année au président 12 lois de finance permettant d’assurer le fonctionnement du gouvernement fédéral. Cette année, comme c’est le cas depuis 1997, les deux partis ont échoué à s’accorder à temps pour accomplir cette tâche.
- Plutôt que d’emprunter la « voie traditionnelle », les législateurs maintiennent le fonctionnement des agences fédérales en concluant des accords étendant pour une durée déterminée les niveaux de financements de l’année fiscale précédente via des continuing resolutions (CR).
- Entre 1998 et 2023, en moyenne cinq de ces résolutions ont été adoptées par année fiscale. Depuis le début du siècle, les financements de cinq mois par an en moyenne sont assurés par des mesures temporaires.
- Alors que le précédent CR expire vendredi 20 décembre à minuit, les chefs de file au Congrès ont finalisé mardi, dans la soirée, un nouveau texte qui devait permettre d’assurer le financement du gouvernement fédéral jusqu’au 14 mars.
Long de 1 547 pages, nécessitant ainsi la lecture de plus de 20 pages par heure pendant trois jours sans interruption pour que les élus puissent voter à temps afin d’éviter un shutdown tout en ayant connaissance du contenu, le texte est le fruit de négociations entre Républicains et Démocrates 1. Il est cependant perçu par un nombre significatifs d’élus du GOP comme octroyant trop de concessions au parti présidentiel, alors que les Républicains contrôlent la Chambre des représentants — et contrôleront le prochain Congrès.
Malgré la frustration de ces élus en raison de la taille et de l’ampleur du texte, qui inclut certaines dispositions qui auraient pu faire l’objet de lois distinctes, le speaker Mike Johnson aurait certainement pu réunir assez de voix pour le faire passer — avant qu’Elon Musk ne le torpille.
- De mercredi 18 décembre à 10h jusqu’à minuit au matin du 19 décembre ( heure de Paris), l’allié de Trump a publié à 79 reprises sur son réseau social X pour exprimer sa vive opposition au texte, allant jusqu’à déclarer que les législateurs votant en faveur « méritent d’être évincés dans deux ans » (lors des prochaines élections).
- Le libertarien, appuyé notamment par Vivek Ramaswamy — qui devraient conjointement diriger une nouvelle commission sur « l’efficacité gouvernementale » une fois Trump investi —, a colporté des infox sur le contenu du texte auprès de ses 208 millions d’abonnés sur la plateforme.
- Douze heures après le lancement de la campagne de Musk contre le CR, Donald Trump et J.D. Vance publiaient un communiqué exprimant leur opposition au texte et appelaient le leadership républicain à intégrer un rehaussement de la limite de la dette émise par le gouvernement américain 2.
L’opposition à la dernière minute de Trump est moins surprenante que celle de Musk. Lors de son premier mandat, le président-élu avait mis fin de la même manière à plusieurs accords parlementaires (sur des projets de taxation, sur le financement du gouvernement, la défense…), contraignant les élus du GOP à renégocier. Lors du dernier shutdown, en 2018, Trump avait poussé à la fermeture du gouvernement fédéral en refusant de signer un texte n’incluant pas de financements pour la construction du mur à la frontière avec le Mexique.
Le calcul est différent pour Musk.
- L’influent soutien de Trump, qui a été l’un des principaux contributeurs à son élection via son soutien financier ainsi que sa plateforme X, teste les limites de l’influence nouvelle dont il dispose désormais sur les électeurs républicains ainsi que sur le Parti.
- L’élu du Kentucky Andy Barr déclarait à la suite du lancement de la campagne par Musk : « Nos électeurs, ceux qui nous ont élus, écoutent Elon Musk […] mon téléphone n’a pas cessé de sonner aujourd’hui ». Son collègue de l’Alabama Robert Aderholt abondait : « Nous ne voulons pas brûler les ponts avant l’arrivée de l’administration […] Nous devons entendre ce qu’il [Musk] dit » 3.
- La croisade de Musk contre le CR, qui comprend une attention particulière portée sur la taille du texte, légitime également son futur mandat à la tête du DOGE. Le libertarien, influencé notamment par le président argentin Milei, s’est fait le champion de la lutte contre la bureaucratie et les dépenses jugées inutiles.
La fermeture partielle du gouvernement jusqu’à l’investiture de Trump le 20 janvier impacterait des millions d’employés fédéraux. Ces derniers ne recevraient plus, pour la plupart, leurs salaires dans les jours suivant les fêtes de fin d’année. Comme l’expliquait Matthew Glassman dans nos pages l’an dernier : « McCarthy et McConnell ont clairement fait savoir qu’ils considéraient un shutdown comme politiquement néfaste pour les Républicains et que l’électorat les blâmerait pour cela. Au cours des 30 dernières années, lors des différents shutdowns qu’il y a pu avoir, il est difficile de voir comment le parti à l’origine de celui-ci a pu en tirer profit. Je pense que les Républicains se rendent compte de cela désormais ».
Sources
- Further Continuing Appropriations and Disaster Relief Supplemental Appropriations Act, 2025, 17 décembre 2024.
- STATEMENT FROM PRESIDENT DONALD J. TRUMP AND VICE PRESIDENT-ELECT JD VANCE, 18 décembre 2024.
- Ken Thomas, « Musk Draws First Blood With Spending Bill Bombshell », The Wall Street Journal, 19 décembre 2024.