Aurora, CO, tout comme Springfield, OH — la ville dont Trump a visé la communauté haïtienne durant le débat contre Harris en les accusant de « manger les chiens […] manger les chats » —, a été propulsée au centre de l’attention médiatique depuis que le candidat républicain y a dévoilé ce qu’il appelle « l’opération Aurora ».

  • Aurora est une ville de 400 000 habitants qui jouxte la capitale du Colorado, Denver. Les électeurs y ont majoritairement voté pour Joe Biden lors de l’élection présidentielle de 2020 — mis à part dans le comté de Douglas, qui ne comprend toutefois qu’une faible partie de la ville.
  • Lors d’un rally vendredi 11 octobre, Donald Trump, s’adressant à la foule sur un podium flanqué de grands panneaux noirs arborant les slogans « Deport Ilegals Now » (Déportez les migrants illégaux maintenant) et « End Migrant Crime » (Mettez fin au crime par les migrants), a annoncé le lancement de « l’opération Aurora ».
  • Celle-ci consisterait vraisemblablement, s’il est élu le 5 novembre, en un programme fédéral visant à faciliter et allouer plus de moyens à la déportation de migrants ayant commis des crimes, avec une insistance sur les « membres de gangs ».

Trump ne s’est pas rendu à Aurora par hasard. C’est dans un complexe résidentiel de la ville qu’une résidente, Cindy Romero, a filmé en août dernier une vidéo montrant des hommes armés tentant d’entrer par effraction dans un appartement en face de chez elle. La séquence a par la suite été relayée des millions de fois, présentant Aurora comme étant une ville « assiégée » par des « gangs de migrants vénézuéliens ».

Romero faisait partie des personnes invitées par Trump à monter sur scène lors du rally du 11 octobre.

  • L’affaire des « gangs d’Aurora » est très vite retombée. Le maire républicain de la ville, Mike Coffman, a publiquement rejetée l’idée promue par Trump selon laquelle Aurora serait « prise d’assaut » par des migrants criminels1.
  • Contrairement à la fake news de Springfield reprise par Trump, où les accusations portées contre les migrants étaient infondées, il y a bel et bien une criminalité organisée à Aurora dont font partie des individus n’ayant pas la nationalité américaine. Celle-ci provoque des victimes et affecte la population vivant dans les zones les plus impactées.
  • Cependant, rien n’indique que cette criminalité serait plus importante qu’ailleurs, ou bien que les « migrants criminels » y occuperaient une place plus grande. Les données pointent d’ailleurs vers une absence totale de corrélation entre immigration et criminalité2.

La vidéo de Romero a provoqué un choc vivement ressenti par les habitants d’Aurora et amplifié par un emballement médiatique, particulièrement actif sur l’aile droite. En se rendant sur place, Trump applique un mécanisme bien connu popularisé par le philosophe américain Eric Hoffer dans The True Believer : Thoughts on the Nature of Mass Movement. Dans ce livre paru en 1951, Hoffer décrit la manière dont les démagogues jouent sur le sentiment d’insécurité des populations fragilisées se sentant démunies face à une situation supposément autrefois maîtrisée3.

Trump, tout comme son colistier J.D. Vance, exploite une crainte qui s’est transformée en une préoccupation électorale majeure pour les électeurs républicains — et, dans une moindre mesure, chez les démocrates.

  • Le nombre d’entrées illégales sur le territoire américain a atteint des sommets historiques sous Joe Biden : jusqu’à 2,2 millions de personnes en 2022 — soit plus que sous la totalité du mandat Trump (1,95 million entre 2017 et 2020).
  • En 2022, on estimait qu’environ 11 millions de migrants sans documents officiels vivaient aux États-Unis. Il s’agit d’un chiffre stable depuis le début du siècle4.
  • Le jour suivant le rally d’Aurora, J.D. Vance publiait un extrait d’un entretien au cours duquel il se disait favorable à la « déportation d’un grand nombre de personnes […] aux alentours d’un million de personnes par an ». 

La « plus grande opération d’expulsion nationale de l’histoire des États-Unis », selon les mots de Trump, ne repose pour le moment sur aucun critère précis. Le fait d’entrer illégalement sur le territoire américain étant un crime, 11 millions de personnes seraient potentiellement concernées par « l’opération Aurora ». Les experts sont néanmoins sceptiques quant à la faisabilité d’une telle opération, et alertent sur le coût immédiat qu’elle représenterait pour les finances américaines ainsi que le coût à long terme provoqué par la perte de main-d’œuvre5.

Sources
  1. Lauren Irwin, « Aurora mayor says Trump claims about Colorado city ‘grossly exaggerated’ », The Hill, 8 octobre 2024.
  2. Brianna Seid, Rosemary Nidiry et Ram Subramanian, Debunking the Myth of the ‘Migrant Crime Wave’, Brennan Center for Justice, 29 mai 2024.
  3. Heather Cox Richardson, Letters from an American, October 13, 2024, 14 octobre 2024.
  4. Jeffrey S. Passel et Jens Manuel Krogstad, What we know about unauthorized immigrants living in the U.S., Pew Research Center, 22 juillet 2024.
  5. Miriam Jordan, « What It Would Take to Deport Millions of Immigrants », The New York Times, 17 juillet 2024.