Plus de 120 000 Russes auraient fui Koursk. 6 jours après le début de l’incursion, les Ukrainiens contrôlent 28 localités sur un front d’au moins 12 kilomètres de profondeur et 40 kilomètres de largeur

L’opération d’incursion ukrainienne dans l’oblast de Koursk, lancée le 6 août 2024, arrive désormais à son sixième jour et continue de se développer, marquant un tournant significatif dans le contexte plus large de la guerre en cours.

• Au cours des derniers jours, les forces ukrainiennes ont étendu leur contrôle, poussant la ligne de front plus profondément sur le territoire russe, malgré les efforts de Moscou pour stabiliser la situation.
• Vladimir Poutine a annoncé en réponse la mise en place d’une « opération antiterroriste » sous la houlette d’Alexander Bortnikov, chef du FSB. Volodymyr Zelensky a quant à lui publiquement admis l’origine des actions ukrainiennes dont le but est « d’étendre la guerre au territoire de l’agresseur ».
• Plusieurs analyses de sources ouvertes (OSINT) montrent que l’incursion s’étendrait désormais sur 650 km² de territoire russe.

Alexei Smirnov, gouverneur par intérim de la région de Koursk, dans une visioconférence avec le président russe, diffusée par la télévision russe, a donné aujourd’hui les chiffres suivants : 

• L’Ukraine aurait capturé 28 localités depuis le début de son offensive surprise la semaine dernière qui s’étend sur une zone de 12 kilomètres de profondeur et 40 kilomètres de largeur.
• Elle aurait fait au moins 12 morts et 121 blessés civils — des chiffres qui sont contestés par l’Ukraine.
• Plus de 121 000 personnes auraient fui les zones frontalières, l’évacuation de la population est aujourd’hui « la priorité [des autorités régionales]… par voie ferrée ou par d’autres voies de transport ». 
• Le gouverneur Smirnov a demandé à Poutine que le maintien du salaire pour les fonctionnaires et d’autres personnes évacués soit assuré par un fond exceptionnel. Poutine avait annoncé le 8 août que les habitants de l’oblast de Koursk quittant les zones dangereuses seraient compensés par un versement unique de 10 000 roubles (105 euros)¹.

Au 11 août, selon l’Institute for the study of war (ISW)², les forces ukrainiennes auraient pris le contrôle de plusieurs points stratégiques dans le sud de l’oblast de Koursk, avançant jusqu’à 25 kilomètres dans certaines zones.

• Avec la prise de Soudja, une ville de l’oblast de Koursk située à  une dizaine de kilomètres de la frontière, l’armée ukrainienne contrôle l’un des derniers points de transit du gaz russe vers l’Europe.
• Les avancées les plus notables ont été observées près de Soudja, où les troupes ukrainiennes ont pris le contrôle de Martynovka et ont sécurisé des positions le long de la route stratégique R-200.
• Plusieurs témoignages du front montrent une forme de désespoir à Soudja : « Je veux comprendre où est notre État ? Où est l’administration ? Ils devraient nous parler. Nous ne savons rien du tout. Peut-être qu’ils ne savent pas non plus, mais au moins ils pourraient nous soutenir ! Ils nous auraient dit : ‘Chers, mes chers, nous aussi, nous sommes avec vous…’ Mais il n’y a personne. »³

Dans cette séquence défavorable pour la Russie, Moscou met tout en œuvre pour tenter de déstabiliser l’Ukraine de l’intérieur, y compris en dehors de la ligne de front.

• La Russie continue de bombarder les territoires ukrainiens : à la suite du tir de roquette sur supermarché dans le village de Kostiantynivka le 9 août, 14 décès de civils ont été confirmés, dont 3 enfants ; 43 personnes ont été blessées⁴. Volodymyr Zelenskyy a qualifié l’attaque de « terrorisme » délibérée⁵.
• Dans la nuit du 11 août 2024, la Russie a attaqué l’Ukraine avec 4 missiles balistiques KN-23 et 57 drones Shahed, que les forces de défense aérienne ont poursuivi jusqu’à midi, et qui ont presque tous été abattus⁶.
• Le même jour, un incendie s’est déclaré à la centrale nucléaire de Zaporijjia (ZNPP) dans la région occupée par les Russes d’Enerhodar. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), un drone aurait heurté l’une des deux tours de refroidissement de l’usine, sans pour autant causer « d’impact sur la sûreté nucléaire ». Zelensky a dénoncé le « chantage nucléaire » de la Russie.

Selon l’observateur militaire ukrainien Kostyantyn Mashovets, les forces russes auraient jusqu’à présent redéployé environ 10 à 11 bataillons de l’ensemble du théâtre dans l’oblast de Koursk — un chiffre qui pourrait être inférieur à l’effectif final prévu⁷.

• Toutefois, comme l’expliquait hier un responsable ukrainien sous couvert d’anonymat à l’AFP : « La situation reste fondamentalement inchangée. La pression qu’ils exercent dans l’est se poursuit, ils ne retirent pas leurs troupes de la région », mais « l’intensité des attaques russes a légèrement diminué ».

L’« opération antiterroriste » annoncée par Poutine par l’intermédiaire du FSB s’annonce complexe.

• En russe, elle est désignée par l’expression « контртеррористическая операция (КТО) » (littéralement « contre-terroriste »), ce qui permet de la distinguer de l’« opération antiterroriste » (en ukrainien : антитерористична операція ; en russe : антитеррористическая операция, АТО) qui désignait l’opération mise en place par l’Ukraine dans le Donbass en 2014 à la suite de l’invasion russe.
• Le 13 avril 2014, sur décision du Conseil national de sécurité de l’Ukraine, le gouvernement intérimaire de l’époque avait en effet lancé une « opération antiterroriste » dans le Donbass.
• Depuis lors, la loi martiale en Ukraine n’a été introduite qu’une seule fois, en 2018, temporairement dans plusieurs régions, et plus tard en 2022 dans tout le pays ; elle s’est poursuivie jusqu’à ce jour en étant constamment renouvelée.
• Selon une enquête de The Insider, les médias russes diffuseraient de fausses vidéos de leurs propres victoires afin de maintenir le soutien du public⁸.

Les avancées ukrainiennes dans l’oblast de Koursk ont forcé le commandement militaire russe à réagir, avec des implications significatives pour l’effort de guerre global.

• Selon l’État-major ukrainien, les pertes russes du personnel militaire depuis le début de l’incursion de Koursk seraient au minimum de 1 000 personnes par jour⁹ sur tous les fronts accumulés. 
• La nécessité de renforcer la zone frontalière avec des troupes supplémentaires pourrait détourner des ressources d’autres fronts critiques, ralentissant potentiellement les offensives russes dans l’est de l’Ukraine après les succès de juillet.

En plus de dissuader l’ennemi sur la ligne de front principale et d’ouvrir un nouveau front dans la région de Koursk, les forces ukrainiennes continuent d’être actives en mer Noire.

• Dans la nuit du 8 au 9 août 2024, près du village de Tchornomorske en Crimée, des soldats de l’unité spéciale du groupe 13 des services de renseignement de la défense ukrainiens ont détruit un navire russe, une vedette rapide de type Tunets KC 701, à l’aide d’un drone marin d’attaque MAGURA V5¹⁰.
• Les forces de défense ukrainiennes ont en outre frappé une plateforme gazière russe en mer Noire où stationnaient des troupes russes et des équipements de guerre électronique visant à brouiller les signaux GPS. Ces opérations compliquaient la navigation civile, en particulier le long du corridor céréalier¹¹.

À Koursk, les jours à venir seront cruciaux pour déterminer si la Russie peut efficacement monter une contre-offensive dans cet oblast ou si l’Ukraine parviendra à consolider ses gains, ouvrant potentiellement une nouvelle phase de la guerre.

• À Kiev, selon un dirigeant militaire, on s’attend à ce que la Russie parvienne à terme à arrêter les forces ukrainiennes à Koursk et à riposter avec une attaque de missiles à grande échelle qui se concentrerait « sur les centres de décision » en Ukraine.