Dans une Europe prise entre deux guerres et une France en crise politique, les Jeux olympiques de Paris vont s’ouvrir dans un climat de haute tension géopolitique. Alors que la Russie entend promouvoir un sport mondial alternatif pour s’opposer à « l’Occident », nous accompagnerons notre suivi des JO de Paris 2024 en publiant et en commentant des textes sur la doctrine du sport russe. Pour les recevoir à leur sortie, abonnez-vous au Grand Continent
1 — Le sport mondial, « politique de l’apolitisme »
Qu’on le veuille ou non, le sport est un fait social qui touche tout le monde, à l’échelle planétaire, quel que soit le genre, l’âge ou l’origine sociale. Cela en fait un instrument politique et géopolitique, utilisé par un certain nombre d’acteurs tels que les États, les entreprises ou les médias. En bref, tout le monde peut utiliser le sport comme un instrument politique ou géopolitique, avec plus ou moins de succès, d’impact ou d’influence. Si bien que le « sport apolitique » est essentiellement un mythe.
Jacques Defrance parlait de « politique de l’apolitisme » 1 pour qualifier l’utilisation du sport par les instances du sport international dans le cadre de leur travail. Et on peut de fait remonter à l’époque de Pierre de Coubertin, qui décida en 1896 de créer les Jeux olympiques de l’ère moderne en en faisant l’illustration de ce qu’il appelait la neutralité et l’universalité du sport. Coubertin avait ses propres représentations politiques et géopolitiques du monde qu’il a plaquées sur ses Jeux olympiques, en faisant ainsi un exemple parfait de « politique de l’apolitisme ». Alors même qu’il prône l’universalité et la neutralité du sport, il interdit aux femmes et aux ressortissants des colonies d’y participer en invitant principalement des pays occidentaux à pratiquer des sports européens. Ces premiers Jeux s’inscrivent donc d’emblée dans une démarche non avouée de politisation du sport — en l’occurrence pro-occidentale — comme cela fut souvent le cas à la fin du XIXème et au début du XXème siècle.
Si les choses ont aujourd’hui évolué, le sport demeure un instrument de puissance politique et géopolitique essentiellement pour deux raisons. D’une part, les méga-événements sportifs comme les Jeux olympiques et paralympiques ou la Coupe du monde de football sont regardés par la moitié de l’humanité — cela en fait une arme de diffusion massive. D’autre part, le mouvement sportif mondial, allant des salaires des stars du football à l’achat de matériels sportifs, représenterait environ 2 % du PIB de la planète — soit un marché considérable.
Dans ce contexte, plusieurs puissances cherchent à territorialiser le sport et à l’utiliser comme marqueur. Ces dernières décennies, on a vu émerger un certain nombre de nouveaux pays faisant du sport un instrument de leur volonté, à l’instar du Qatar, de l’Arabie saoudite et de la Chine. Désormais, le sport n’est plus l’apanage des puissances occidentales, il est, comme le monde, multipolaire et en voie de désoccidentalisation.
2 — Aux origines de la « guerre froide du sport » : imposer son idéologie et son système
La guerre froide a opposé deux représentations du sport, deux visions du monde et de la façon dont il devait fonctionner.
Du côté soviétique, il fallait performer pour démontrer que le modèle communiste était supérieur au modèle libéral et capitaliste américain. L’idée de Staline — reprise plus tard par Vladimir Poutine — était que le sport permet de mesurer la puissance vis-à-vis d’autres États. Cette idée passait par le mythe selon lequel les sportifs soviétiques étaient d’abord des amateurs avant d’être des athlètes, qu’ils étaient avant tout des travailleurs devenus performants physiquement non pas parce qu’ils s’entraînaient plus que les autres mais parce que le système sovétique permettait cet épanouissement physique. Ce discours était évidemment bien loin de la réalité.
De l’autre côté, on amplifiait le caractère libéral du système sportif américain. On mettait en avant l’idée du self-made man à travers la figure de Rocky, dont les entraînements dans la nature sont censés véhiculer l’idée que « si l’on veut, on peut ». Son adversaire, Ivan Drago, est quant à lui dépeint comme une machine soviétique sans sentiment qui s’entraîne avec électrodes et autres appareils. Cette caricature reflète dans une certaine mesure la vision américaine et cette opposition de style est typique de la guerre froide du sport.
Alors que du côté américain le sport moderne remonte aux révolutions industrielles du XIXème siècle, en Union soviétique il s’est véritablement construit à travers le mythe de l’homo sovieticus, un modèle très spécifique, autoritaire, privilégiant les masses à l’individu. Depuis la fin de la course aux médailles entre les deux grands, on a cru dans un premier temps que cette guerre froide était complètement terminée — mais les années Poutine ont de fait marqué une forme de continuité.
3 — Sportokratura : le sport en Russie à l’ère Poutine
Quand Vladimir Poutine arrive au pouvoir à la fin du mois de décembre 1999, il hérite d’un modèle sportif en ruine.
Dans les années 1990, la Russie a fait face à un « exode des cerveaux et des muscles » : 7 500 athlètes de haut niveau et 2 500 entraîneurs sont partis à l’étranger, notamment aux États-Unis, au Canada et en Europe de l’Ouest afin de bénéficier de salaires plus élevés, d’infrastructures en meilleur état et de meilleures conditions de vie globales. Le passage à l’économie de marché en URSS puis en Russie à travers la thérapie de choc mise en place dans les années 1990 par Boris Eltsine, a engendré une grave crise économique, structurelle et idéologique, dont le sport, entre autres, a beaucoup pâti. Alors qu’il était entièrement financé du temps de l’URSS, il est à cette époque-là totalement mis de côté. Des clubs de football s’effondrent, de nombreuses infrastructures sportives sont abandonnées. Elles coûtent alors trop cher et les oligarques émergents préfèrent investir dans les supermarchés, le gaz ou le pétrole. Le sport n’est pas vu comme un investissement stratégique.
À son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine veut faire du sport le symbole de la renaissance de l’État russe sur la scène internationale. Il mobilise alors un certain nombre d’acteurs issus de ce que j’ai appelé la sportokratura, c’est-à-dire la nomenklatura par le sport : un système politico-économico-sportif construit par Vladimir Poutine destiné à utiliser le sport pour influencer le monde et contrôler sa population, dont les acteurs mobilisés sont les oligarques, les hommes et femmes politiques et les athlètes de haut niveau — à la retraite ou non.
À l’aune de cette sportokratura, Vladimir Poutine demande aux oligarques de racheter les clubs sportifs de premier plan et de reconstruire les infrastructures. Roman Abramovitch construit ainsi dans les années 2000 une centaine de terrains de football en Sibérie. Ce n’était pas par simple plaisir mais dans un rapport important de dons contre dons : en plaisant au Prince on s’assure de ne pas être dérangé. Dans les grandes et moyennes villes de Russie, le contraste devient de plus en plus saisissant entre les infrastructures sportives récentes et les Khrouchtchevkis vieillissantes des années 1960.
Dans les années 2000 puis 2010, le modèle sportif russe renaît donc de ses cendres via une forme de capitalisme administré, prélude à l’accueil par la Russie de grands événements sportifs.
4 — Les JO de 2014 et la Coupe du monde 2018 : deux études de cas de la diplomatie sportive poutinienne
Les Jeux olympiques de Sotchi et la Coupe du monde de 2018 peuvent être vus comme la consécration de la politique des années 2000. Symboliquement, la flamme olympique des JO de Sotchi avait la forme d’une plume de phénix — difficile de faire plus clair.
Il faut toutefois apporter quelques nuances car le sport est un instrument à double tranchant, très difficile à manier politiquement. Il est, à cet égard, généralement assez difficile de satisfaire à la fois le public « domestique » et la communauté sportive internationale. Les pays misant sur le sport se retrouvent schématiquement confrontés à un dilemme : faire vibrer la corde patriotique au risque d’exclure les autres nations de la grand-messe, ou au contraire jouer à plein la carte de l’internationalisme au risque d’antagoniser sa population locale.
Les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi ont ainsi clairement été utilisés par Vladimir Poutine comme un instrument pour parler avant tout aux Russes — avec en arrière-plan une volonté de prendre sa revanche sur les Jeux olympiques de 1980 vécus comme un semi-échec car boycottés notamment par les Américains. Un discours patriotique autour des Jeux a été mis en place, plaçant notamment l’accent sur la supériorité du corps russe dont Dimitri Medvedev et Vladimir Poutine parlaient régulièrement. Un programme de dopage d’État a été organisé pour améliorer les performances et faire gagner les sportifs russes. Cette politique a en partie fonctionné : elle a favorisé un regain de patriotisme important en Russie à cette période. Juste après les Jeux, la Russie annexait la Crimée et Vladimir Poutine atteignait un pic de popularité avec 90 % d’opinions favorables les mois qui suivirent ces deux événements.
Sur le plan international en revanche, la séquence ouverte par Sotchi et l’annexion de la Crimée a placé la Russie « renaissante » dans une situation d’isolement progressif : elle a pu faire peur et cristalliser une forme de défiance. S’il n’y a pas eu de boycott à proprement parler, certains États n’ont pas été représentés par leur président ou Premier ministre, si bien qu’on peut parler pour ces JO d’hiver de semi-boycott.
C’est l’exact inverse s’est produit à la Coupe du monde de football de 2018. Vladimir Poutine avait cette fois décidé de privilégier l’audience internationale. Il n’a été lui-même que très peu présent pendant la compétition — seulement aux cérémonies d’ouverture et de clôture —, et ce sont des personnalités de second plan qui ont assisté aux matchs de l’équipe russe. Cette décision stratégique a eu pour effet de mettre le sport — et non la politique — au premier plan de cette compétition. Au même moment, Poutine repoussait l’âge de la retraite et à la fin de l’événement, d’importantes manifestations eurent lieu dans la plupart des grandes villes de Russie demandant le retrait de cette loi.
Toujours est-il que la séquence 2014-2018 reste sans aucun doute l’acmé de la politique sportive poutinienne.
5 — Une utilisation commune du sport mondial au sein des régimes autoritaires ou non-démocratiques ?
Si on le compare à la Chine ou au Qatar, d’autres régimes verticaux, le cas russe fait figure d’exception.
Les événements sportifs globaux qui ont eu lieu en Chine et au Qatar étaient ultra-contrôlés, ultra-réglementés et ultra-surveillés : lors de la Coupe du monde de football de 2022 au Qatar, l’alcool a été interdit dans les stades quelques jours avant la compétition, non seulement pour respecter le contrat social local dans un pays musulman, mais aussi afin d’éviter tout débordement. En Chine, la sécurisation à outrance des compétitions de 2008 et 2022 n’a laissé aucune marge de manœuvre à la population et aux touristes.
En Russie, l’organisation de ces grandes compétitions a pu être utilisée pour alimenter le mythe d’un simulacre démocratique fonctionnel. La face que la fédération montre au monde en 2014 et 2018 est donc le résultat, délibéré et travaillé, d’une volonté d’affichage de changement : malgré le poutinisme et après l’annexion de la Crimée, Moscou est soucieuse de montrer au monde un visage libéral.
6 — Le sport mondial russe depuis la guerre en Ukraine
Depuis le 24 février 2022, une forme de rupture entre la Russie et un certain nombre d’instances sportives internationales s’est installée. Ces ruptures ne seront pas forcément définitives mais elles sont présentées comme telles.
Qu’on pense par exemple à Maria Zakharova, porte-parole du ministère des Affaires étrangères russe, qui a qualifié les propos de Thomas Bach — président du CIO — comme étant néo-nazis et russophobes pour montrer que la Russie n’avait plus peur de l’outrance, ni de choquer. De fait, le pays est en difficulté dans les instances sportives internationales depuis 2015 et la révélation de l’affaire du dopage, la guerre en Ukraine n’a été que l’élément déclencheur d’une réadaptation stratégique dans le monde du sport.
Pour ce faire, le régime russe a déployé de nouvelles ressources pour proposer la création d’un modèle sportif alternatif qui mobiliserait les puissances non-occidentales des « Suds ». Selon le récit, la Russie proposerait de « désoccidentaliser » le sport mondial, en parfaite cohérence avec le discours global russe détaillé dans la doctrine Karaganov. Cela pourrait passer par la création d’un certain nombre de compétitions parallèles telles que les Jeux du futur, les Jeux des BRICS et les Jeux de l’Amitié — qui ont officiellement été reportés au mois de septembre. L’objectif de ces derniers est de réunir les populations non-occidentales autour de la Russie pour montrer qu’il est possible d’exister à travers le sport sans les instances sportives traditionnelles décrites par la Russie comme étant aux mains des États-Unis, et plus largement des Occidentaux.
Ce discours anti-occidental diffus trouve notamment un certain écho en Amérique latine, sur le continent africain et en Chine. Cela ne signifie pas pour autant qu’il sera efficace : il paraît invraisemblable de penser que la Russie puisse concurrencer des compétitions comme les Jeux Olympiques et Paralympiques ou la Coupe du monde de football en termes d’audience.
Mais le traitement médiatique russe des Jeux du Futur ou des Jeux des BRICS témoigne bel et bien d’une volonté d’utiliser la désinformation pour présenter l’événement comme étant bien plus important que ce qu’il n’est réellement.
Les médias russes ont ainsi affirmé que les Jeux du Futur avaient été regardés par près d’un milliard de téléspectateurs — ce qui est évidemment faux. De même, ces événements sont systématiquement présentés comme rassemblant plusieurs milliers d’athlètes et près d’une centaine de pays. De fait, s’il peut y avoir jusqu’à 80 pays représentés lors de ces Jeux, il est important de comprendre la façon dont ils le sont : le montant des récompenses y est très élevé, et de nombreux sportifs présents ne sont pas des athlètes de haut niveau.
7 — Les Jeux 2024 : cible rêvée d’une guerre hybride
Paris 2024 est déjà au cœur de la stratégie de guerre hybride menée par la Russie contre les puissances occidentales.
À travers cette guerre, la Russie entend diffuser un récit selon lequel l’OTAN chercherait à étendre ses bases militaires jusqu’aux frontières russes pour la détruire, que l’Ukraine serait en partie peuplée de néo-nazis dont il faudrait la délivrer. L’autre objectif est de créer une confusion dans les populations occidentales afin d’éviter qu’elles ne se mobilisent contre la Russie, voire d’y trouver de nouveaux alliés.
Dans le contexte des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, les opérations de désinformation russes présentent une France à feu et à sang, en difficulté, une ville en proie à l’insécurité et en grand danger face aux menaces terroristes. Elles montrent également les figures politiques d’Emmanuel Macron ou d’Anne Hidalgo dans des situations délicates.
Dans cette guerre hybride, l’affaire des cercueils de « soldats français en Ukraine » déposés au pied de la Tour Eiffel est la dernière illustration en date. La tactique est simple : une opération peu chère et qui permet de faire rapidement le tour des médias français. Dans un contexte où les Jeux Olympiques 2024 pourraient être regardés par 4 à 5 milliards de personnes — soit la moitié de l’humanité —, ils sont une cible particulièrement intéressante pour ce genre d’opérations en provenance de Russie.
Plus largement, il faut ajouter à cette menace le risque de cyber-attaques ou de doppelgangers — c’est-à-dire la création de sites miroirs — que la Russie pratique déjà. Ces Jeux se déroulent dans un contexte géopolitique sous haute tension. Avec trois conflits majeurs réactivés ces dernières années — le conflit israélo-palestinien, le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et celui entre l’Ukraine et la Russie —, il est tout à fait imaginable qu’un groupe, terroriste ou non, souhaite utiliser les JO de Paris comme plateforme. Ce serait, évidemment, le scénario du pire.
Ces tensions géopolitiques sont présentes en périphérie du sport, mais elles en sont aussi partie intégrante. Ainsi l’on a pu voir récemment le Comité olympique palestinien saisir le Comité International Olympique (CIO) pour demander l’exclusion des athlètes israéliens des Jeux Olympiques de Paris, après que des membres de la France insoumise et un député français ont appelé à l’exclusion de ces athlètes. Ce contexte abrasif fait surgir des questions sécuritaires immédiates et concrètes : l’emplacement où logera la délégation israélienne — protégée par le GIGN — n’est pas communiqué par mesure de sécurité.
8 — Paris 2024 : un podium pour l’Ukraine ?
En Ukraine, le sport est beaucoup moins centralisé qu’en Russie. Un certain nombre d’oligarques ukrainiens possèdent certes des clubs importants mais sans être forcément proches du pouvoir. Néanmoins, depuis son arrivée à la tête de l’État en 2019, Volodymyr Zelensky a fait du sport un outil pour diffuser son propre récit à travers l’utilisation des médias classiques ou de nouvelle génération. Un exemple très symbolique est celui d’une vidéo d’une quinzaine de secondes devenue virale sur TikTok dans laquelle un athlète russe lance dans les airs un javelot qui se transforme en obus. Cet obus s’écrase sur un immeuble ukraininen avant que n’apparaisse le message « Boycott Russian sports » — clair, concis, efficace. Bien sûr, d’autres exemples plus anciens existent : lors de l’Euro de football de 2021 par exemple, le maillot ukrainien présentait sur le torse des joueurs les frontières ukrainiennes intégrant le Donbass et la Crimée. Par ailleurs, il était inscrit sur le col la formule désormais bien connue « Gloire à nos héros ».
L’objectif pour l’Ukraine sera donc d’utiliser l’événement comme un réceptacle pour diffuser son message. Volodymyr Zelensky avait milité de façon intense pour exclure complètement les athlètes russes et bélarusses des Jeux de Paris, en expliquant que la Russie commettait des crimes de guerre contre les athlètes ukrainiens. Ce lobbying n’a pas fonctionné, et chaque moment médiatique des Jeux de Paris qui mettront en scène des athlètes russes sera probablement utilisé par les autorités ukrainiennes et par un certain nombre d’athlètes pour relayer ses difficultés face à la Russie — pays agresseur cherchant à annihiler l’État ukrainien.
9 — Les pays de la « Majorité mondiale » : hérauts de la Russie dans les instances sportives mondiales
Car du point de vue du sport international, l’Ukraine est de fait plus isolée qu’il n’y paraît.
Au début de la guerre, elle était très soutenue par le CIO et les puissances occidentales. Mais le Comité doit composer avec l’ensemble des comités nationaux olympiques, Kiev s’est vite retrouvée minoritaire face à des comités nationaux olympiques africains, sud-américain ou chinois plaidant la plupart du temps pour un retour des athlètes russes et bélarusses sous bannière neutre ou parfois même sous le drapeau national.
Pour autant, la décision finale du CIO — faire revenir les athlètes russes sous bannière neutre, sans hymne et sans participation à la cérémonie d’ouverture — a été très mal accueillie en Russie. Ce choix a exacerbé le récit russe consistant à démontrer que le CIO est aux mains des puissances occidentales car la volonté de la majorité des pays — qui souhaitaient pleinement la réintégration de la Russie aux Jeux olympiques — n’aurait pas été exaucée, justifiant ainsi l’objectif russe de construire une nouvelle place du sport mondial.
Rappelons tout de même que le discours russe est plastique et s’adaptera aux situations. Alors même que Maria Zakharova avait qualifié les propos de Thomas Bach de néo-nazis et russophobes, il n’est pas exclu qu’en cas de réchauffement des relations le tapis rouge soit déroulé au président du CIO.
À l’époque soviétique, sous Lénine puis Staline, la création d’un espace sportif parallèle avait déjà été pensée avec la création de l’Internationale Rouge du Sport et des Spartakiades, équivalent du CIO et des Jeux olympiques pour les pays communistes. La politique russe actuelle à l’égard du sport mondial n’est donc pas une invention : Poutine l’a sortie des tiroirs soviétiques où elle avait été rangée pendant un temps — et où elle pourrait finir par retourner.
10 — Les Jeux de Paris 2024, vitrine d’une France en proie aux troubles
Si la France sera peut-être rayonnante pour l’ouverture des JO, il y a fort à parier qu’elle ne sera ni politiquement unie, ni politiquement stable.
Il est donc tout à fait possible qu’un certain nombre d’acteurs politiques ou syndicaux utilisent cette compétition pour faire valoir leurs intérêts puisqu’elle représente une plateforme et un projecteur mondial braqué sur la France. Ces derniers jours, certains responsables ont ainsi appelé à la grève générale pendant la compétition pour bloquer le pays et exercer une pression sur Emmanuel Macron.
Dans ce contexte d’instabilité, la Russie cherchera très probablement à exacerber les tensions. À cet égard, la machine russe n’aura pas nécessairement besoin de créer des fake news mais simplement d’amplifier des sentiments négatifs. Les JO seront probablement présentés par la Russie comme un amplificateur des prétendues difficultés du camp occidental — tout en présentant Moscou comme une victime. Fait notable : les médias russes ont annoncé qu’ils ne diffuseraient pas les Jeux. Au total, seulement 15 athlètes russes concourront sous bannière neutre, un grand nombre d’entre eux ayant préféré « boycotter » les Jeux de Paris.