Qui sont les candidats ? 

Six candidats concourent à l’élection présidentielle iranienne, après avoir été sélectionnés par le Conseil des Gardiens de la Révolution. Parmi les personnalités dont la candidature a été refusée se trouve notamment Ali Larijani, président du Parlement de 2008 à 2020, figure reconnue comme modérée appartenant à une famille influente, et régulièrement évoqué parmi les candidats potentiels à la présidence de la République.

Trois candidats sont considérés favoris : 

  • Mohammad Bagher Ghalibaf, 62 ans, est président du Parlement iranien, le Majless, et ancien maire de Téhéran (2005-2017). Il a également servi dans le Corps des Gardiens de la Révolution dans les années 1980, lors de la guerre Iran-Irak. Il est considéré comme un conservateur favorable à une modernisation économique rapide du pays. Associé à des affaires de corruption qui entachent sa réputation, il était initialement considéré comme le favori de l’élection.
  • Saïd Jalili, 58 ans, est bien connu des diplomaties occidentales pour avoir été le responsable des négociations sur le nucléaire iranien entre 2007 et 2013, sous Mahmoud Ahmadinejad. Vétéran de la guerre Iran-Irak, dont il garde une blessure de guerre qui le fait boîter, et hostile à tout rapprochement avec les États occidentaux, son éventuelle arrivée au pouvoir rendrait difficilement imaginable un retour à des négociations fructueuses. Il est le candidat le plus radicalement conservateur.
  • Masoud Pezechkian, 69 ans, élu député à cinq reprises au Parlement iranien, est le seul candidat réformateur que le Conseil des Gardiens, chargé de valider les candidatures, ait autorisé à concourir aux élections. Il jouit d’un fort soutien parmi les populations kurdes et azéries du pays, mène une campagne centrée sur l’assouplissement de la politique étrangère, des restrictions qui pèsent sur la population iranienne et sur la levée des sanctions internationales, dans une situation où l’économie stagne, et les revenus tirés des hydrocarbures sont au plus bas en dépit des ressources dont dispose le pays. Mohammed Khatami, réformateur, ancien président de la République de 1997 à 2005, défenseur d’une politique de « dialogue des civilisations », a apporté un soutien public à Masoud Pezeshkian le 25 juin, déclarant que sa candidature « ouvrait la porte vers un espace où la voix de la majorité pourrait être entendue ».
  • L’objectif principal de sa campagne électorale est de convaincre les populations favorables à une évolution du régime de voter. En effet, les abstentionnistes sont pour lui une immense réserve de voix, tandis que les plus fidèles soutiens du régime, qui ont voté à toutes les élections précédentes, donneront très probablement leur bulletin aux candidats conservateurs.

Trois autres candidats se sont présentés mais, après les appels à leur désistement par Saïd Jalili et Mohammad Ghalibaf, qui sont en tête des sondages, deux d’entre eux se sont désistés, hier, la veille du scrutin : 

  • Alireza Zakani, 58 ans, actuel maire de Téhéran, s’était déjà retiré au profit d’Ebrahim Raïssi lors de l’élection présidentielle de 2021. Il est considéré comme conservateur et est hostile aux négociations avec les puissances occidentales à propos du programme nucléaire iranien.
  • Amir Hossein Ghazizadeh Hachemi, 53 ans, est vice-président de la République islamique, et directeur de la Fondation des Martyrs, structure directement contrôlée par le Guide Suprême. Il s’agit d’un conservateur, élu quatre fois député, et déjà candidat en 2021, où il avait obtenu moins d’un million de voix. 
  • Mostafa Pourmohammadi, 64 ans, religieux conservateur de la ville de Qom, centre théologique du pays, ancien ministre adjoint aux renseignements et ancien ministre de la justice est encore dans la course. Il avait concouru aux élections de l’Assemblée des Experts en mars 2024 mais n’avait pas réussi à obtenir un siège.

Comment la campagne s’est-elle déroulée ? 

  • Le régime semble donner des gages d’adoucissement. Notamment, la semaine dernière, le rappeur Toomaj Salehi, qui avait été condamné à mort pour avoir pris part aux manifestations de 2022, a été gracié. Sa condamnation avait en effet suscité une grande mobilisation de la société civile, de la diaspora iranienne, et de tous ceux qui, depuis la mort de Mahsa Amini, dénoncent l’outil répressif de l’État iranien.
  • Tous les candidats ont dénoncé les violences faites aux femmes qui ne respectent pas le code vestimentaire islamique.

La question fondamentale de l’abstention 

Parmi les données les plus importantes à regarder se trouve le taux d’abstention, qui est interprété en Iran comme la manifestation la plus quantifiable de désapprobation du système politique. En effet, le premier article de la Constitution iranienne indique très clairement la double source de légitimité de la République islamique : 

  • « L’État iranien est une République Islamique que la nation iranienne, sur la base de sa foi très ancienne dans le règne du droit et de la justice du Coran, a adopté à la suite de sa révolution islamique victorieuse sous la direction de la Haute Autorité Spirituelle du Grand Ayatollah Imam Khomeiny lors du référendum du dix et du onze Farvardine mille trois cent cinquante-huit de l’Hégire solaire, correspondant au premier et au deux Djamadi Al Oula de l’année mille trois cent quatrevingt-dix-neuf de l’Hégire lunaire (30 et 31 mars 1979), à une majorité de 98,2 % de l’ensemble des personnes ayant le droit de vote ».
  • Depuis, les dirigeants iraniens incitent très fortement les populations à aller voter, que ce soit par des pressions directes — lorsqu’il s’agit de fonctionnaires — indirectes — par l’intermédiaire des structures administratives dirigées par l’État, les religieux, ou les Gardiens de la révolution — ou par des incitations, comme la distribution de plats autour des bureaux de vote.
  • Or, si les dirigeants de la République islamique ont longtemps réussi à maintenir des taux de participation élevés, depuis qu’il n’existe plus véritablement de compétition politique par les urnes, et que tous les candidats, même très modérément réformateurs, sont éliminés en amont, les taux de participation ont chuté, notamment lors de l’élection présidentielle de 2021 et des élections législatives de 2024. Si cette tendance se confirme, cela signifiera que l’érosion et la disparition progressive du soutien à la République islamique au sein de la population se poursuit, voire s’accélère.
  • Le Guide de la Révolution Ali Khamenei a invité tous les électeurs à voter, car une forte abstention susciterait la « joie de l’ennemi » [les États-Unis].
  • La Prix Nobel de la Paix 2023, Narges Mohammadi, a déclaré depuis la prison d’Evin qu’elle ne participerait pas à ces élections qu’elle estime « illégitimes » et dans lesquelles elle ne voit qu’un outil de renforcement de l’oppression du régime sur sa population.

Comme l’explique Saïd Laylaz, un analyste réformateur, le taux de participation est encore plus important que l’identité du vainqueur, dans un système où le président de la République est contraint par les pouvoirs extrêmement étendus du Guide suprême et des Gardiens de la Révolution. Un taux élevé de participation servirait d’après lui à justifier un certain nombre de réformes économiques considérées comme nécessaires, et à démontrer la légitimité du système politique, dans le cas où, à la suite d’une réélection éventuelle de Donald Trump, Washington pourrait renouer avec le désir de susciter un changement de régime. 

Dans ce contexte, l’acceptation de la candidature de Masoud Pezechkian par le Conseil des Gardiens peut avoir comme objectif d’inciter les électeurs à voter. Une telle stratégie présente des risques car elle renforce l’incertitude, même si les fraudes électorales, documentées lors des précédentes élections, évitent de mauvaises surprises à l’État profond iranien.

Les conséquences régionales des élections

Quelques mois après l’attaque de l’Iran contre Israël, qui marquait d’après Afshon Ostovar une victoire des Faucons des Gardiens de la Révolution au sein de la République islamique, une victoire de Saïd Jalili conduirait probablement à une accélération des tensions dans la région et à une posture agressive plus affirmés de l’Iran. 

  • La victoire de Mohammad Ghalibaf aurait des conséquences plus difficiles à anticiper car son idéologie est parfaitement conservatrice, mais sa pratique du pouvoir, aux postes qu’il a occupés jusqu’ici, est considérée comme pragmatique, notamment dans le domaine économique.  
  • Une victoire inattendue de Massoud Pezechkian pourrait, en cas de réélection de Joe Biden, ouvrir une nouvelle phase des négociations sur le nucléaire iranien – qui dépendrait toutefois de nombreuses conditions à ce stade difficiles à prévoir : que la politique régionale de l’Iran ne compromette pas la reprise des négociations, comme l’attaque du 7 octobre l’avait fait ; que la Russie et la Chine, signataires de l’Accord de Vienne, acceptent de s’impliquer même si à minima ; et que la guerre Israël – Hamas ne s’étende pas jusqu’à l’Iran et ses proxies. Autrement, les espoirs placés dans une candidature réformiste pourraient conduire à de rapides désillusions.