« Aujourd’hui, nous choisissons d’ouvrir un scénario complètement nouveau. La logique du consensus, sur laquelle se sont toujours basées la plupart des décisions européennes, est en train d’être supplantée par la logique des petits groupes dans lesquels certains prétendent décider pour tout le monde, aussi bien pour ceux du bord politique opposé que pour ceux des États membres considérés comme trop petits pour être dignes de s’asseoir aux tables qui comptent. Une sorte de « conventio ad excludendum » que j’ai ouvertement contestée au nom du gouvernement italien et que je n’ai pas l’intention d’accepter ».

Les mots de la Première ministre italienne Giorgia Meloni, prononcés hier devant le Parlement en vue du Conseil européen d’aujourd’hui et de demain, 27 et 28 juin, illustrent la réprobation du gouvernement italien des modalités et du contenu des négociations sur les postes à haute responsabilités de la prochaine mandature, qui doivent être décidés par les chefs d’État et de gouvernement des États-membres.

  • À la suite des élections européennes du 6-9 juin, l’Italie a été exclue des négociations sur les top jobs menées par le Parti populaire européen (PPE), les sociaux-démocrates (S&D) et les libéraux de Renew.
  • Le 25 juin, ces trois groupes ont annoncé un accord pour les trois top jobs : Ursula von der Leyen à la tête de la Commission, António Costa à la présidence du Conseil et Kaja Kallas au poste de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
  • L’accord est jugé problématique par Meloni, dont le groupe au Parlement européen – les Conservateurs et réformistes européens, CRE – est désormais le troisième en nombre de sièges.

Au-delà de la posture de la présidente du Conseil italien au niveau européen, l’accord trouvé pour reconduire Ursula von der Leyen à la tête de la Commission pose également des problèmes à la majorité au gouvernement à Rome. En effet, le vice-président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani (Forza Italia, PPE) a apporté son soutien à la candidature de von der Leyen.

  • « Forts de ce que nous sommes et de ce que l’Italie peut aspirer à être, j’espère que nous pourrons agir avec unité et jouer en équipe pour garantir que notre pays soit représenté de la meilleure façon possible aux plus hauts postes de l’Union », a déclaré Giorgia Meloni faisant référence vraisemblablement à Forza Italia : « Nous devons travailler pour que nous soyons reconnus comme l’Italie en tant que nation, pas en tant que gouvernement, pas en tant que tel ou tel parti, mais en tant que nation. Ce poids n’a pas toujours été reconnu à sa juste valeur par le passé, mais le message que les citoyens nous ont adressé par leur vote est clair et je n’ai pas l’intention de le laisser passer inaperçu ». Des propos qui seront le plus probablement réitérés lors du dîner avec les dirigeants européens ce soir à Bruxelles. 
  • Tajani a de son côté appelé le PPE à s’ouvrir aux conservateurs afin d’éviter le rejet de la candidature de von der Leyen au Parlement. Le vote, qui est secret, devrait avoir lieu le 18 juillet et si en théorie les trois groupes les plus pro-européens (PPE, S&D, Renew) ont la majorité nécessaire pour la faire élire. Un grand nombre de défections – comme en 2019 — pourrait néanmoins compromettre ses chances. 
  • Matteo Salvini, ministre des Infrastructures et des Transports et chef de la Ligue (troisième parti membre de la coalition), s’est opposé à plusieurs reprises à la candidature de von der Leyen.

« L’Italie ne peut pas être ignorée », a souligné le chef de l’État Sergio Mattarella lors d’un déjeuner de travail au Quirinal, mais ce dernier espère qu’un compromis équilibré pour l’Italie sera trouvé.

  • Meloni demande une vice-présidence opérationnelle, sur les thèmes structurants du prochain cycle politique : défense, marché unique.
  • Le ministre des Affaires européennes, Raffaele Fitto, semble toujours être le mieux placé pour occuper le poste. Mais les demandes italiennes se heurtent à celles de la France, qui veut obtenir à peu près les mêmes portefeuilles.
  • En cas de désaccord, Meloni pourrait s’abstenir sur les nominations – l’unanimité n’étant pas requise pour les nominations. Elle est toutefois nécessaire pour l’adoption de l’agenda stratégique – qui fixe les grandes orientations européennes des cinq prochaines années et qui devrait être adopté au même moment. 
  • Au cours de la dernière année, von der Leyen avait affiché une certaine proximité avec Meloni. Mais, à la fois S&D et Renew ont fixé comme ligne rouge pour son élection l’exclusion d’un accord avec les conservateurs.

L’isolement éventuel de l’Italie affaiblit déjà la campagne de marketing politique de Meloni, accusée par l’opposition de ne pas être pertinente en Europe. Giuseppe Conte, président du Mouvement 5 étoiles, n’a pas hésité à le souligner : « assez avec le statut de fausse victime » et d’appeler Meloni a choisir « la voie de la contradiction plutôt que celle de l’insignifiance. Participez aux négociations pour la Commission européenne et ramenez un rôle important pour l’Italie ».