Depuis une semaine et après de multiples péripéties, la confusion règne sur qui peut réclamer porter légitimement la parole du parti Les Républicains pour ces élections. Comment faut-il présenter Éric Ciotti ?
D’un point de vue juridique, Éric Ciotti est toujours président des Républicains (LR) puisque la justice lui a donné raison vendredi soir. En investissant au nom du parti des candidats LR en alliance avec le Rassemblement National (RN), il est parfaitement dans son droit.
Sur le plan moral et politique, c’est évidemment autre chose : mais il a raison, en droit, de se revendiquer du titre de président des Républicains lorsqu’il annonce son alliance avec le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella.
Dans le même temps, la vice-présidente du parti, Florence Portelli — qui n’est pas sur la même ligne mais n’a nullement été exclue du parti — est tout autant dans son droit d’afficher sa qualité de vice-présidente des Républicains pour justifier son soutien à des candidats autonomes.
Autrement dit, aujourd’hui, les différents courants à l’intérieur du parti peuvent, chacun, légitimement, se réclamer de la marque Les Républicains.
Évidemment, pour les électeurs, cela peut être problématique.
Précisément, le fait qu’on puisse légitimement se poser la question « qui sont Les Républicains ? » ne fait-il pas peser un risque plus général sur la sincérité du scrutin ?
Non car, à la fin, c’est aux électeurs qu’il est demandé de trancher entre trois camps à l’intérieur de LR.
Éric Ciotti a fait le choix de s’allier avec le RN.
D’autres LR ont choisi de s’allier dès le premier tour à Ensemble (ENS), en ne présentant pas de candidats contre les candidats investis par la majorité présidentielle.
Un troisième groupe se présente sous les couleurs LR — sans RN, ni ENS. On peut s’attendre à ce que, sur les affiches et les bulletins de vote, ces trois courants soient assez clairement visibles.
À la question « qui sont Les Républicains ? », les électeurs vont trancher en fonction des voix qu’ils apporteront soit à « l’alliance Ciotti » entre l’extrême-droite et la droite, soit à l’alliance avec le centre, soit à ceux qui auront choisi de ne pas s’allier.
Sur le plan juridique, il n’y a donc pas d’ambiguïté. Sur le plan politique et de la sincérité électorale, on pourrait même dire que cela aura des vertus d’éclaircissement : on saura au moins où les députés siègeront une fois l’Assemblée élue. Soit avec Le Pen et Bardella, soit avec Macron.
La situation chez Les Républicains ne serait donc, au fond, pas si inédite ?
Lorsqu’un parti politique fait un choix stratégique, il y a toujours le risque que les électeurs favorisent telle stratégie plutôt qu’une autre. Ainsi, après l’union de la gauche issue du programme commun dans les années 1970, on avait vu des socialistes dissidents ne pas vouloir se désister en faveur du Parti communiste et qui ont maintenu leur candidature.
De semblables dynamiques seront d’ailleurs également observables à gauche avec le Nouveau front populaire : que vont devenir les candidatures dissidentes d’Alexis Corbière, de Raquel Garrido ou de Jérôme Guedj ?
La confusion qui entoure cette séquence pourrait-elle avoir des conséquences juridiques sur l’élection dans certaines circonscriptions ?
Non.
Pourquoi ?
Parce qu’il n’y a rien d’illégal à ce que chacun se prévale de sa qualité de membre du parti Les Républicains s’il en est effectivement membre.
Plusieurs commentateurs se sont interrogés notamment sur la détention de la marque comme critère pertinent.
Éric Ciotti est juridiquement fondé à revendiquer son titre de président des Républicains et donc son logo. On ne pourrait pas lui faire un procès pour l’usage ou l’abus de cette étiquette.
Quels ont été à votre avis les éléments déterminants dans la décision du tribunal judiciaire de faire droit à la demande d’Éric Ciotti pour suspendre son exclusion ?
Le contentieux — classique au demeurant — sur les partis politiques nous apprend que les juges sont tendanciellement très réticents à s’immiscer dans le fonctionnement interne des partis.
L’article 4 de la Constitution est assez clair sur ce point, qui prévoit que les partis politiques s’administrent librement :
« Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. »
Évidemment, les juges exercent un contrôle, mais ils évitent d’entrer dans la logique interne. C’est l’une des raisons pour lesquelles le juge des référés récemment a considéré l’exclusion d’Éric Ciotti comme contraire aux statuts du parti.
La brièveté du délai — qui a aussi été exploitée par Ciotti dans la temporalité de son action — pourrait-elle être un motif de contentieux ? Y a-t-il un précédent sur un délai aussi court ?
C’est la première fois que le délai est aussi court, mais il respecte la Constitution.
Je crois que la date la plus rapprochée était de 22 jours en 1988 — contre 21 cette année —, après la dissolution de François Mitterrand consécutive à sa réélection.
Du point de vue du droit, un tel délai n’a rien de contestable. Le Conseil constitutionnel a justement déjà eu à connaître de cette question et rendu une décision sur le sujet en 1988, statuant que les règles des délais fixées pour les élections législatives ordinaires — qui ont lieu au terme d’une législature — n’étaient pas applicables pour les élections législatives anticipées qui, elles, doivent avoir lieu au moins 20 et au plus tard 40 jours après l’annonce de la dissolution.
Autrement dit, en dissolvant le 9 juin, il n’y avait pas d’autre date possible que celles du 30 juin et du 7 juillet. L’alternative aurait été d’organiser le deuxième tour le 14 juillet — ce qui aurait posé une série de questions. Même dans l’hypothèse d’un premier tour le 14 juillet, l’on se serait retrouvé avec un deuxième tour pendant les Jeux Olympiques et hors de la période de 40 jours.
En résumé, je vois difficilement du contentieux émerger sur le choix de ces dates car il n’y avait tout simplement pas d’autres dates possibles.
Cela a-t-il des conséquences sur la formation d’un groupe parlementaire au lendemain des élections ?
Pour faire un groupe parlementaire, il faut qu’il y ait au moins quinze députés. Mais la dénomination d’un groupe n’a pas besoin d’être calée sur la dénomination des Républicains.
En toute hypothèse, c’est le courant majoritaire qui pourrait décider d’utiliser ce nom ?
Les choses pourraient se recomposer assez naturellement. Regardez par exemple dans la majorité présidentielle d’aujourd’hui : on y trouve le groupe Modem, le groupe Horizon, le groupe Agir, le groupe Territoire de Progrès, etc. On peut très bien imaginer qu’il y ait un groupe Les Républicains Indépendants, par exemple. La question de la constitution des groupes dépendra évidemment du résultat des élections et du nombre de députés que chaque sous-courant des LR aura obtenu.
Comment expliquez-vous sur le fond cette crise à l’intérieur d’un parti de droite autrefois puissant et aujourd’hui dans un rôle de potentiel faiseur de roi ?
Si un certain nombre de cadres de LR n’ont pas suivi Ciotti, il y a longtemps déjà qu’une porosité existe entre l’électorat LR et l’électorat RN. Les cadres essayaient de maintenir une séparation nette, mais l’électorat ne la suivait pas. Il ne faut pas non plus être dupe : tout le monde se souvient que, lorsqu’on lui a posé la question, Éric Ciotti a déclaré qu’il voterait Zemmour contre Macron si une telle configuration avait dû se présenter au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2022. Ils l’ont quand même élu président du parti. La confusion en plus d’exister est maintenant explicite, et les électeurs vont trancher.
Comment anticipez-vous le comportement de certains cadres du parti dans la situation de confusion entretenue par Ciotti — on pense par exemple à un Olivier Marleix à la tête du groupe à l’Assemblée : il cesserait de se déclarer membre des LR ?
Je pense que la dénomination ne comptera en effet que marginalement. La question de la marque a peu d’importance : avant les Républicains, c’était l’UMP ; avant l’UMP, le RPR… Au contraire, changer de nom est une opportunité pour se distinguer avec un nouveau parti, un nouveau logo, etc.
Les choses sont différentes à gauche : le Parti socialiste ou le Parti communiste ont leurs traditions. À chaque fois qu’il y a eu des tentatives pour changer le nom de Parti socialiste en Parti social-démocrate, cela n’a pas marché. Il y a un attachement à l’histoire de la gauche — visiblement consubstantiel à son identité politique — qui fait que le Parti communiste ne changera pas d’appellation même s’il n’a plus rien à voir avec le communisme de son ancêtre.
À l’inverse, la droite en France n’a pas de traditions partisanes ; elle a des traditions charismatiques : si vous prenez les précédents noms des Républicains, ils correspondent de fait à des séquences où le parti gaulliste — dont on peut se demander s’il l’est encore après l’alliance de Ciotti — est associé à un homme fort. On associe le RPR à Chirac, l’UMP à Sarkozy…
C’est une grande différence par rapport à nos voisins — qu’on pense par exemple à la CDU/CSU en Allemagne, au Partido Popular en Espagne ou aux Tories en Grande-Bretagne. On pourrait ajouter qu’en France, ce rapport plastique aux partis s’applique également aux centristes, pour qui le changement de nom n’est pas un problème mais plutôt une constante.
En résumé, diriez-vous que le passage en force juridique d’Éric Ciotti est un succès ?
Bien sûr, Ciotti a réussi son coup.