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Le président des Républicains Éric Ciotti, député de la première circonscription des Alpes-Maritimes, a déclaré aujourd’hui à 13h souhaiter une alliance avec le Rassemblement National pour les législatives. C’est une rupture historique avec la doctrine du parti et plus profondément avec la notion de front républicain, déjà affaiblie dans la pratique de l’électorat. Elle a provoqué un barrage de réactions de la part de plusieurs figures clefs du parti.

  • Pour le moment, parmi les 12 membres LR ayant joué un rôle actif au sein d’un gouvernement sous la présidence Sarkozy aucun ne s’est prononcé pour valider les déclarations de Ciotti.
  • Le président du Sénat Gérard Larcher a demandé la démission du président des Républicains.

Un centrodestra à la française ?

  • La composition de la coalition dessinée par Éric Ciotti aurait les contours de la coalition dite de « centre-droit » qui gouverne l’Italie avec une alliance entre un parti issu du PPE (Forza Italia), un d’ID (Lega) et un de CRE (Fratelli d’Italia). Dans le cas français toutefois, le barycentre d’une telle coalition serait déplacé plus à droite encore, ne devant pas composer avec un parti de centre-droit aussi influent que Forza Italia.

Que se passera-t-il au sein du Parti ?

Les prérogatives du président des Républicains pourraient lui permettre de tenir. 

  • Éric Ciotti semble avoir choisi la date d’aujourd’hui en répondant à une stratégie précise. Comme le fait remarquer Contexte, l’article 23 des statuts de LR prévoit la possibilité de réunir un Bureau politique qui pourrait démettre le Président sur demande d’un quart du Conseil national du parti. Seul problème : le président (Éric Ciotti) dispose d’un délai de 8 jours pour organiser cette réunion — soit après la date des investitures qui tombe ce dimanche.
  • Mais le choix de la date est doublement impactant. Deux jours après l’annonce de Macron, la date butoir pour bénéficier du financement public est aujourd’hui à 20h1. Autrement dit : si les Républicains opposés à Ciotti voulaient se constituer en parti et bénéficier d’un financement pour ces législatives, ils devraient le déclarer au ministère de l’Intérieur dans la journée.
  • Comme l’analyse Emilien Houard-Vial, spécialiste de cette formation politique, Éric Ciotti contrôle une figure clef dans cette séquence : la présidente de la Commission nationale d’investiture est Michèle Tabarot, une députée Alpes-Maritimes.

Les militants et le « besoin de droite »

  • Au sein des Républicains, un poids lourd confie :  « C’est le bazar. Le Front Populaire a achevé de fracturer le LR. Une partie des troupes va se sauver en se rapprochant du RN pour faire une NUPES de droite. Une autre partie va assumer de travailler avec LREM. Une troisième partie regardera le chaos. »
  • Le président du mouvement de jeunesse des Républicains, Guilhem Carayon, a soutenu la position d’Éric Ciotti. 
  • Besoin de droite ? Depuis 2012 le parti de la droite de gouvernement (EPP) n’est ni à Matignon ni à l’Élysée. C’est la période la plus longue de la Ve République.

Une stratégie aux conséquences incertaines pour les sortants

Sur les 577 circonscriptions, Éric Ciotti a réclamé plus de 100 circonscriptions au RN en vue des législatives. Pour mémoire, Marion Maréchal dans l’accord avec Reconquête aurait souhaité obtenir 60 circonscriptions. Les Républicains sont l’un des seuls partis français à disposer d’une structure territoriale fonctionnelle à plusieurs échelles : un atout considérable dans une campagne si courte. 

  • Pour les sortants LR élus de circonscriptions où le RN a fait de bien meilleurs scores dimanche dernier qu’en 2022, une coalition avec le RN pourrait signifier la perte de leur siège. C’est le cas notamment dans l’Aisne ou dans les Ardennes.
  • Pour un autre groupe de députés LR attachés à une liste plus centriste, par exemple dans les départements ruraux du Sud-Ouest (Lot, Cantal), une alliance avec le RN apparaît intenable.
  • La ligne Ciotti paraît donc délicate à imposer auprès des élus du groupe : tant ceux élus dans les (rares) fiefs restés au centre-droit que ceux des zones de croissance du RN se trouvent en difficulté.

La situation spécifique du sud-est, avec une présence forte à la fois du RN et des partis du centre-droit, est-ici spécifique – elle rappelle d’ailleurs le centrodestra d’Italie du Nord.

Une fuite en avant personnelle ? 

Ce coup de théâtre est une clarification de l’ambition politique d’une trajectoire de second ordre. La carrière politique de Ciotti commence et demeure ancrée dans un écosystème singulier : la ville et la région de Nice. Fils d’un quincailler d’origine italienne, chasseur, il a d’abord gravi les échelons de la politique locale avant d’essayer de peser sur la ligne des Républicains puis d’en prendre la tête.

  • Jusqu’à l’élection présidentielle de 2022, son poids dans la politique française est limité à sa région d’origine dans le sillage de son mentor en politique : le « motodidacte » Christian Estrosi — de dix ans son aîné, champion de moto et maire de Nice depuis 2017 — qui en fait son collaborateur en 1988.
  • Son rêve de toujours : devenir ministre de l’Intérieur. Député des Alpes Maritimes depuis 2007 — juste après la victoire de Nicolas Sarkozy à la présidentielle — il se construit au fil des années, avec plus ou moins de succès, une image de « monsieur Sécurité » à l’UMP.
  • Homme à tout faire à l’Assemblée, fixer pendant la lente érosion de l’UMP, il n’obtient pas de mandat national mais demeure clef dans l’appareil partisan et proche de Nicolas Sarkozy. En 2012, alors directeur de la campagne de Fillon pour la présidence d’une UMP qui se cherche un nouveau souffle désormais dans l’opposition, il est au cœur de l’affaire du comptage des voix et de la crise politique qui s’ensuit entre Jean-François Copé et François Fillon2.

Son ascension au sein du parti de droite sera intrinsèquement liée au déclin de celui-ci en l’espace de trois ans.

  • En août 2021, il se déclare candidat à la primaire des Républicains pour définir un candidat pour la présidentielle de 2022.
  • En octobre 2021, sur Public Sénat, il déclare qu’il votera Zemmour au cas où celui-ci se retrouverait au second tour contre Emmanuel Macron3.
  • En décembre 2021, il arrive en tête à la primaire des Républicains avec 25,6 % des voix — au second tour, il sera battu par Valérie Pécresse à 61 %.
  • En juillet 2022 : après la défaite retentissante de celle-ci à la présidentielle (4,78 %), Ciotti décide de tirer parti de la débâcle des LR pour en prendre la tête : il officialise sa candidature.
  • En décembre 2022, il devient président de LR  à 53,7 % des voix contre Bruno Retailleau — au premier tour, son arrivée à 42,73 % avait provoqué un séisme.

Plébiscité par les militants, Ciotti n’en est pas moins régulièrement critiqué par une partie importante des cadres historiques de la droite et du centre-droit français : la bifurcation nette actée le 11 juin achève de rendre patente cette contradiction.

Sources
  1. Voir l’article 7 du décret n°2024-527 du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale : « Pour l’attribution du financement prévu par les articles 8 et 9 de la loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence de la vie politique, par dérogation à l’article 9 de cette même loi, l’arrêté du ministre de l’intérieur prévu à ce dernier article, prévoyant l’établissement d’une liste qui comprend l’ensemble des partis ou groupements politiques souhaitant bénéficier de ces financements, est publié au plus tard le mercredi 12 juin 2024. Afin de figurer sur cet arrêté, les partis ou groupements politiques peuvent envoyer leur demande par voie électronique au ministère de l’intérieur et des outre-mer jusqu’au mardi 11 juin 2024, 20 heures. Cette demande prend la forme d’un courrier adressé au ministre de l’intérieur et des outre-mer par le parti ou le groupement politique par voie dématérialisée. La demande doit préciser la dénomination sous laquelle le parti ou groupement politique souhaite bénéficier de l’aide publique. En vue de la répartition de l’aide publique, les candidats à l’élection des députés indiquent, s’il y a lieu, dans leur déclaration de candidature, le parti ou groupement politique auquel ils se rattachent. Les candidats peuvent choisir de se rattacher à un parti ou un groupement politique figurant sur cette liste ou en dehors de cette liste. »
  2. Samuel Laurent, « Les Alpes Maritimes au cœur de la fraude », Le Monde, 20 novembre 2012.
  3. « Éric Ciotti : ‘Entre Macron et Zemmour, je le dis, je préfère Zemmour’ », Public Sénat, 20 octobre 2021. Au cours du même entretien, il assurait : « il n’y a pas de conflits. J’ai des relations personnelles amicales que ce soit avec Valérie Pécresse, avec Xavier Bertrand ou Michel Barnier. On se parle tous. »