La version anglaise de ce texte peut être retrouvée sur le site du Groupe d’études géopolitiques.

C’est un grand plaisir pour moi de me joindre à vous pour célébrer mon ami Georges Berthoin. Je félicite le Groupe d’études géopolitiques d’avoir organisé ce colloque en l’honneur d’un homme remarquable, d’un grand contributeur à l’unité européenne, d’un grand penseur et d’un rassembleur de la communauté mondiale.

Lorsque nous avions porté un toast au vingt-cinquième anniversaire de la Commission trilatérale en 1998, nombreux étaient ceux que réjouissaient les réalisations du groupe, le triomphe de l’Occident dans la Guerre froide et la fin de la nécessité de déployer des efforts au sein de la Communauté européenne. Mais dans son toast, Georges Berthoin a souligné « notre responsabilité pour le bien être du monde ». Georges s’est engagé à défendre cette responsabilité de la France, de l’Europe, de l’Alliance atlantique et de la société internationale.

Pour Georges, la recherche de l’ordre mondial n’a jamais été une entreprise solitaire.

La Commission Trilatérale a fait sienne la conviction de Georges que « l’adaptation aux exigences du monde et aux besoins de la société doit être planifiée par le biais d’institutions formelles ». Au sein de la Commission trilatérale, dont il a été longtemps le président européen, Georges a mis en place une importante institution internationale dans le but de construire un monde plus multilatéral.

Georges a reconnu très tôt la nécessité de tels groupes car il a toujours été attentif à ce que John H. Herz appelait la « dimension psychologique » de la politique étrangère. Ses fonctions de secrétaire particulier du ministre français des finances pendant le plan Marshall l’ont aidé à prendre conscience que l’ordre mondial et le développement économique ne sont pas des problèmes purement techniques, mais aussi des problèmes spirituels. Pour paraphraser Georges, les grands projets en matière d’affaires étrangères doivent respecter la dignité et la souveraineté des nations. « Cela nécessite un ajustement politique et psychologique très fin », disait Georges. De nombreux dirigeants ont eu la chance de bénéficier des conseils de Georges pour « ajuster » leur politique tout au long de la période d’après-guerre.

Avec son intuition pour les impondérables des affaires internationales, les propositions de Georges ont toujours été stratégiques. En travaillant comme secrétaire particulier de Jean Monnet, Georges a appris que même les concepts les plus visionnaires, comme celui de la Communauté européenne, ne peuvent se suffire à eux-mêmes. Georges a toujours réuni des groupes d’experts réputés pour concevoir des solutions réfléchies aux problèmes les plus urgents.

Je me souviens très bien d’un voyage avec Georges et David Rockefeller en Union soviétique en janvier 1989 pour rencontrer Mikhaïl Gorbatchev et d’autres dirigeants soviétiques. Alors que l’Union soviétique s’effondrait, Georges avertissait l’Occident que « le moment le plus difficile d’une guerre, pour les puissances victorieuses, est la victoire », qui nécessite de « transformer l’aide à court terme en une stratégie à long terme ».

Dans ses propositions prémonitoires, Georges a toujours respecté l’histoire mais il a compris la nécessité de la transcender. « Si nous nous laissons aller à des réminiscences historiques », a-t-il déclaré à ses collègues de la Trilatérale après l’implosion de l’Union soviétique, « nous sommes condamnés à nous regarder en ennemis ». Pour ce qui est de l’avenir, il déclara : « Nous ne pouvons pas changer le passé qui a conduit à des batailles. Mais nous pouvons changer l’avenir et créer des conditions dans lesquelles l’interdépendance entendue comme une réalité incontournable peut être correctement maîtrisée et où les souverainetés des uns et des autres s’adapter à la modernité. » Trois décennies après la chute de l’Union soviétique, l’appel de Georges à un avenir meilleur s’est révélé d’autant plus urgent que l’Europe est confrontée à une guerre majeure à sa frontière orientale et qu’elle est à la recherche d’un ordre durable.

Le mentor de Georges, Jean Monnet, a déclaré un jour qu’il n’avait eu qu’une seule idée dans toute sa vie. Mais il a refusé de divulguer quelle était cette idée. Selon un biographe récent, les mémoires de Monnet ont peut-être révélé la réponse lorsqu’il a cité son ami Antoine de Saint-Exupéry, l’aviateur et écrivain : « Le plus beau métier d’homme est le métier d’unir les hommes. ». Georges Berthoin a consacré sa vie à l’unification des hommes et a excellé dans ce « plus beau métier ». J’exprime mon amitié à Georges et ma gratitude aux organisateurs de cet important colloque en son honneur.