Pour comprendre la pertinence de la question d’un risque d’une crise financière internationale, il faut faire la chronique des éléments qui nous conduisent à nous inquiéter. Le phénomène principal est évidemment l’inflation.

Qu’elle soit due à la perturbation des chaînes de valeur suite à la fin des confinements et de la crise du Covid, ou à la crise énergétique liée à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’inflation a atteint des niveaux historiques. Face à ce changement de régime monétaire, la grande question qui s’est imposée dans le débat public — et notamment parmi les économistes — est celle de l’atterrissage en douceur de la part des banques centrales, pour arriver à faire diminuer l’inflation sans pour autant casser la reprise de l’activité en sortie de crise. 

Face à une telle remontée des taux d’intérêt, qu’est-ce qui va plier et qu’est-ce qui va casser ? On ne sait pas ce qui va s’adapter, ni ce qui va craquer voire susciter une crise. Il semblerait que cela ne soit pas l’activité pour l’instant, même si on anticipe une récession à l’horizon 2024/2025. Le gouverneur de la Banque de France a assuré que cela ne toucherait pas la France. La grande question qui agite le débat entre macroéconomistes est de combien de points de chômage supplémentaires nous paierons la baisse de l’inflation. 

En revanche, du côté du système financier, une double cassure s’est opérée. Le resserrement de la politique monétaire et la hausse des taux directeurs ont pour principal effet de diminuer la valeur des obligations. Or nous sortons d’une décennie de taux bas et d’argent gratuit, qui a fait que les États et les banques ont placé leur liquidité en obligations. Une remontée de taux amène à une baisse des collatéraux ou des actifs disponibles sous forme d’obligations pour les États, ce qui veut dire que les dettes souveraines sont fragilisées financièrement, alors même que les finances publiques ont été éreintées par les dispositifs de soutien pendant la pandémie. 

La deuxième conséquence de cette hausse des taux et de cette baisse des prix des obligations est évidemment du côté des banques. Le 10 mars dernier, le fait que les obligations aient baissé a créé des pertes latentes ou des pertes non réalisées dans le bilan des banques, lesquelles ont suscité une bank run de la Silicon Valley Bank — qui était la seizième banque américaine — et de la banque Signature quelques jours plus tard. La Réserve fédérale et le Trésor ont multiplié les sauvetages, faisant virtuellement disparaître les pertes latentes — toutes les autorités régulatrices assurent que le contribuable ne paiera pas et qu’aucune banque ne sera touchée. Seulement, comme tout séisme, nous observons des répliques, et les banques européennes dévissent en bourse, notamment le Crédit Suisse qui a été racheté par UBS après l’engagement de la Banque centrale Suisse ; puis Deutsche Bank plus récemment, non pas pour une question de perte réalisée cette fois-ci, mais pour une question de credit default swap — soit des assurances contre le défaut de crédit — ce qui signifie que les marchés anticipent une fragilité des banques européennes 1.

Le 18 mars, le président de la Fédération bancaire française Philippe Brassac assurait qu’il n’y avait aucun risque, parce qu’il n’y a aucun mécanisme de contagion possible entre les événements que nous constatons et les banques françaises. Éric Monnet, existe-t-il un risque de contagion entre les banques ? Est-ce qu’on a affaire à une panique bancaire localisée ou au début d’une crise systémique des banques ?

Eric Monnet

Eric Monnet est directeur d’études à l’Ecole des Hautes études en sciences sociales et professeur à la Paris School of Economics, Lauréat du Prix du meilleur jeune économiste 2022.

Il y a eu quelques faillites bancaires assez spécifiques ; la Silicon Valley Bank, qui a fait faillite, était très exposée au problème de risque de taux. Elle avait des actifs qui étaient de la dette publique à long terme, elle présentait donc un rendement très faible. Surtout, c’est une banque qui avait d’importants dépôts de très grandes entreprises. C’est une banque relativement spécifique dans le paysage américain. En Europe, tous les spécialistes s’attendaient à ce que les deux banques concernées, Crédit Suisse et Deutsche Bank, rencontrent des difficultés. Elles ont fait l’expérience de scandales financiers très importants ces dernières années, dont des scandales de corruption, d’abus de pouvoir et de manipulation. Ces banques étaient dans le collimateur du régulateur, elles étaient vues comme fragiles. Les problèmes de la SVB, du Crédit Suisse et de la Deutsche Bank étaient donc attendus et spécifiques. 

En revanche, il y a actuellement deux problèmes structurels, liés au fait que les banques ont prêté à long terme avec des taux d’intérêt bas. Les banques ont souvent prêté sur 25 ans à un taux très bas de 1,5 %. Normalement, les banquiers sont capables de gérer ce risque avec des mécanismes de couverture de taux. Soit ils vont avoir des actifs mieux rémunérés, et donc des taux plus élevés, soit ils utilisent des contrats financiers plus complexes qui permettent d’anticiper des hausses de taux. La question centrale est donc de savoir si ces banques ont bien joué le jeu. In fine, ce sont surtout les superviseurs qui sont capables de répondre à ces questions-là. Les superviseurs sont responsables devant le Parlement. C’est un point très important pour éclairer le débat public. 

Les problèmes de la SVB, du Crédit Suisse et de la Deutsche Bank étaient attendus et spécifiques. En revanche, il y a deux problèmes structurels, liés au fait que les banques ont prêté à long terme avec des taux d’intérêt bas.

Eric monnet

L’autre risque structurel existe à un niveau mondial. Nous sommes dans un contexte de remontée des taux, lequel a souvent des conséquences sur l’ensemble du monde, surtout quand cela vient des États-Unis. Par exemple, au début des années 1980, quand les États-Unis ont remonté leurs taux, tous les pays endettés en dollars – à l’époque c’était surtout en Amérique latine – se sont retrouvés en faillite, pris dans une crise de la dette publique. Ce risque existe aujourd’hui, il faudrait l’estimer banque par banque. Nous sommes dans cet entre-deux : pour l’instant il y a clairement des risques individuels, et d’autres structurels qui ne sont pas à minorer.

Aurore Lalucq, vous avez appelé il y a quelques mois à réguler rapidement les marchés des crypto-monnaies, notamment à la suite de la faillite de FTX. Vous rappelez aussi que les banques américaines sont moins régulées que ne le sont les banques françaises, au moins depuis le recul de Trump en 2018 sur le Frank Act faisant de Bâle III une norme mondiale plus stricte. Voyez-vous un besoin de régulation bancaire financière en Europe, ou en tout cas un besoin de réponse des superviseurs face au Parlement qui soit plus direct, plus franc et plus transparent ?

Aurore Lalucq

Aurore Lalucq est économiste et eurodéputée, membre de la Commission des affaires économiques et monétaires.

En 2018, sous Trump, il y a eu une déréglementation d’une partie du secteur bancaire américain, ce qui fait que plusieurs banques n’étaient plus supervisées correctement. Aux États-Unis, les grosses banques sont mieux réglementées que les grosses banques européennes. En revanche, les banques de taille moyenne y sont moins bien réglementées que leurs homologues en Europe. 

Or outre-Atlantique, les problèmes viennent souvent des banques et des caisses d’épargne moyennes. Les trois banques qui ont fait faillite (la SVB, Signature et Silvergate), représentent 0,5 % des actifs mondiaux. Cela signifie qu’il y a un problème de confiance ; cela veut donc dire qu’une vraie contagion est possible et qu’il faut prendre cela au sérieux. Nous ne sommes pas dans une situation catastrophique, mais il faut quand même regarder comment se sont passées les précédentes crises. Elles ont eu lieu par vagues, avec un début de faillite de plusieurs établissements aux États-Unis, notamment des caisses d’épargne qui étaient spécialisées dans les « prêts pourris » – faillites qui ont culminé dans celle de Lehman Brothers. 

Il faut donc prendre très au sérieux ces moments de contagion et de panique. J’ai une petite inquiétude, car les superviseurs ne sont pas sont pas des êtres parfaits, mais ils ont quand même été beaucoup plus vigilants que les législateurs. Le problème vient surtout de ces derniers aujourd’hui, partout dans le domaine de la réglementation, que ce soit aux États-Unis ou en Europe. C’est le cas dans le domaine des cryptos, parce qu’il y a une discorde entre les superviseurs et les législateurs, qui prônent la déréglementation au nom de la croissance. C’est exactement le même discours dans le domaine de la réglementation bancaire et financière. Le problème ne vient donc pas du superviseur, mais du législateur. 

Au niveau européen, il y a effectivement les accords de Bâle I et II, qui avaient été mis en place suite à la crise financière de 2008. À mon grand regret, Bâle III n’est pas tout à fait entré en vigueur en Europe. Il y a quelques jours, le superviseur de la BCE Andrea Enria est venu nous voir pour que l’accord entre en application rapidement. Chaque crise explose parce que la réponse qu’on a donné à la précédente n’était peut-être pas la bonne. Les flottements que nous sommes en train de vivre aujourd’hui résultent d’une politique monétaire très laxiste, qui venait répondre en partie à la crise de 2007/2008 – laquelle a créé un traumatisme terrible pour l’économie. On a réagi à la crise en faisant marcher la planche à billets, avec une politique monétaire laxiste. 

Les banques centrales ont fait ce qu’elles pouvaient dans un moment où le législateur, à mon sens, n’avait pas pris ses responsabilités. Si on a eu des produits aussi toxiques aux États-Unis, c’est parce qu’il y avait une faille réglementaire dans le marché.

Aurore lalucq

Nous arrivons aujourd’hui à la limite de cette politique, parce qu’un risque de taux dans le monde de la banque n’est pas compliqué à gérer. En revanche, quand il devient un phénomène macroéconomique de cette ampleur, c’est compliqué. Ce n’est pas forcément la faute des banques centrales, quiont fait ce qu’elles pouvaient dans un moment où le législateur, à mon sens, n’avait pas pris ses responsabilités. Si on a eu des produits aussi toxiques aux États-Unis, c’est parce qu’il y avait une faille réglementaire dans le marché. Il y a deux systèmes de réglementation aux États-Unis : les banques et les caisses d’épargne. Les caisses d’épargne ne gagnent pas suffisamment d’argent, alors régulièrement elles subissent la déréglementation, qui crée des problèmes. 

Dans les années 1980, 8000 banquiers se sont retrouvés en prison à cause de cette configuration. C’est aussi le législateur qui a permis cette déréglementation, et les banques centrales derrière ont fait ce qu’elles ont pu – surtout la Banque centrale européenne. Rappelons qu’à l’inverse des Américains qui ont une Banque centrale avec une capacité budgétaire, nous n’avons pas de budget au niveau de l’Union européenne. La Banque centrale doit tout faire toute seule, la politique monétaire et la politique budgétaire. Pour éviter la contagion, il lui faudrait un bon budget.

Xavier Ragot, quelles conclusions pouvons-nous tirer de la rapidité de la mise en place de pare-feux cette fois-ci ? Comment appréhender la difficulté de la mise en place du dérèglement ? Est-ce que c’est imputable à l’état de la littérature, au régulateur ou au législateur ?

Xavier Ragot

Xavier Ragot est directeur de recherche au CNRS, professeur d’économie à Science Po Paris et directeur de l’Observatoire français des conjonctures économiques.

Du point de vue de la microéconomie, les actifs financiers ont un prix et donnent du revenu. Le prix des actifs financiers dépend du taux d’intérêt : quand le taux d’intérêt augmente, il y a moins de gens pour acheter cet actif, donc son prix baisse. La dérivée du prix par rapport au taux d’intérêt s’appelle la duration. Il y a des actifs qui ont des durations très différentes. Plus les actifs sont de long terme, plus une petite hausse du taux d’intérêt en fait chuter les valeurs. Quand la Banque centrale fait varier son taux d’intérêt de court terme, elle influence tous les taux d’intérêt à des horizons temporels différents, ce qui fait varier les prix d’actifs, qui sont donc très volatils. 

Quand les taux d’intérêt remontent comme ils le font aujourd’hui suite au choc inflationniste, il y a une chute importante de tous les actifs longs de duration. L’observateur dirait qu’il y a une destruction de valeur, mais c’est juste une correction normale du fait de la hausse des taux d’intérêt. Il y aura donc un ajustement mondial ; la question est plutôt de savoir si la baisse des taux d’intérêts, par des effets de dominos, va entraîner des faillites, qui vont elles-mêmes générer la chute d’acteurs systémiques comme les banques. Je pense qu’il y aura un ralentissement économique, avec des faillites et des baisses d’actifs, mais ce ne sera pas une crise sur le mode des subprimes. J’ai l’impression que les choses seront circonscrites.

La question est plutôt de savoir si la baisse des taux d’intérêts, par des effets de dominos, va entraîner des faillites, qui vont elles-mêmes générer la chute d’acteurs systémiques comme les banques.

xavier ragot

En fin de compte, la SVB faisait face à un seul secteur qui était structuré de la même manière : les start-ups ont pour particularité de ne pas être rentables les premières années – elles fonctionnent grâce aux venture capital investments. Quand les gros comptes sur lesquels dépendent l’intégralité de l’activité de ces entreprises veulent se retirer, la banque s’effondre. Comment interpréter cette faillite du régulateur ? Comment comprendre que ce choc assez idiosyncratique a des répercussions mondiales ?

La Silicon Valley Bank est une banque étroite : sa base de dépôts était issue du même secteur, celui des start-ups de la Silicon Valley. Le secteur des hautes technologies subit aujourd’hui un choc négatif, – avec le NASDAQ mal en point. Il y a donc un bank run. En cas de bank run, la banque n’a plus assez de ressources pour faire face à ses obligations financières. C’est un vieux phénomène modélisé par les prix Nobel d’économie Ben Bernanke, Douglas Diamond et Philip Dybvig, expliquant que le système bancaire était intrinsèquement instable du fait de la différence entre le passif, qui est un contrat de dépôt, et l’actif, qui est un contrat de long terme – ce parce que les banques prêtent à long terme et empruntent à court terme. 

Face à cette difficulté structurelle, la base de la finance est de diversifier les risques. Mais les financiers ont fait preuve d’une certaine hubris en pensant qu’en dépit de la complexité des risques, ils disposaient des outils suffisants pour les surmonter. Ils ont donc sous-estimé les risques. Quand une banque fait faillite, normalement, ce sont les actionnaires qui prennent le risque, ensuite les créanciers qui ont fait des prêts, puis les salariés et l’État, qui intervient un peu. Dans le cas de Crédit Suisse, les actionnaires ont tout perdu, ils ont pris des obligations ; il y a un petit peu d’aléa moral et de capture du régulateur dans le cas du Crédit Suisse.

Aurore Lalucq

Concernant la hiérarchie des créanciers, les obligataires sont subordonnés à une hiérarchie prévue par la loi. Dans le cas de Crédit Suisse, qui n’est pas sous supervision européenne, il y avait une clause spécifique dans les « Additional Tier 1 » (AT1) ; celle-ci a permis que le régulateur-superviseur puisse faire en sorte que ce soient les actionnaires qui perdent en premier. 

Le système bancaire, financier et monétaire repose sur la confiance ; personne ne peut faire face à un bank run. On peut faire tous les stress tests du monde – si tout le monde décide aujourd’hui d’aller retirer son argent, le bank run est inévitable, même pour une énorme banque. Le problème, c’est que la confiance est tenue par les pouvoirs publics. En 2008, on avait dit : plus jamais d’argent de contribuables en cas de crise ; l’argent de l’État ne viendra pas sauver les banques. On avait justement mis en place toute une série de mesures pour qu’en cas de problème les banques puissent se débrouiller toutes seules ou faire faillite.

Le système bancaire, financier et monétaire repose sur la confiance ; personne ne peut faire face à un bank run.

Aurore lalucq

On voit tout de suite que le seul acteur qui rassure vraiment, c’est la puissance publique. C’est particulièrement saillant pour la Deutsche Bank, qui est soutenue par le gouvernement allemand. Il faut utiliser ce rapport de force pour pouvoir réglementer sévèrement, parce que sinon, on se retrouve dans une situation où être banquier combine les avantages du capitalisme et ceux de l’État-providence ; quand l’économie fonctionne bien vous avez énormément d’argent, quand elle fonctionne mal, vous êtes protégé. La vraie question est de se demander quel modèle économique nous souhaitons pour les banques. Faut-il réglementer strictement ? Faut-il, comme dans certains corps de métier comme les médecins ou certains contrôleurs des impôts, mettre en jeu la responsabilité des banquiers ? 

Pour décentrer le débat et revenir à la politique monétaire qui est probablement la cause de cette instabilité financière, est-ce le début d’un moment Trichet revisité ? Aura-t-on, comme en 2011, une hausse rapide des taux après un moment de grande perturbation – en suivant un mandat assez unilatéral ? 

Eric Monnet

Pour juger de l’impact macroéconomique d’une crise bancaire, il faut se demander ce que vont faire les acteurs financiers au sens large. Qu’est ce que doit faire la puissance publique ? La deuxième question, qu’il faut se poser quand on ferme une banque, est celle-ci : qui paie lorsque cela arrive ? La troisième porte sur le rôle des banques centrales lors d’une crise bancaire. Concrètement, aujourd’hui, les gens qui ont retiré leur argent des banques l’ont plutôt mis aux États-Unis, dans les plus grandes banques. D’un point de vue macroéconomique, cela ne change pas grand chose. En Europe, les gens vendent leurs actions bancaires. S’ils achètent de la dette publique à la place, il faut se demander ce que fait l’État avec cet argent qu’il reçoit. Il peut y avoir une réorientation des flux vers des actifs sûrs tels que les banques publiques, comme la banque européenne d’investissement. Cette question va vraiment se poser au niveau européen, si on voit un afflux vers des actifs sûrs, vers certaines dettes publiques. S’il n’y a pas de coordination européenne sur la réorientation de ces départs, on risque de faire de grandes erreurs de politique macroéconomique.

Sur la question de la résolution, on n’a jamais résolu le problème qui a émergé dans les années 1980, lors des vagues de première libéralisation bancaire, concernant la manière dont on assurait les dépôts. En effet, les dépôts peuvent facilement partir ; c’est la grande différence avec des actions et les obligations. La Banque centrale américaine et l’État américain se sont retrouvés face à ce problème pendant la crise. La limite d’assurance des dépôts aux États-Unis s’élève à 250 000 dollars. Fallait-il garantir les dépôts au-dessus de ce seuil ? Il s’agit vraiment d’une question compliquée – le faire aurait été injuste, cela aurait été de l’aléa moral. D’un point de vue de ce qu’on sait sur la naissance des crises bancaires, cela peut se défendre. Pour l’instant, on reconnaît ce dilemme moral sans y avoir trouvé de solution. 

Aujourd’hui en Europe, s’il y a une faillite comme la Silicon Valley Bank, les solutions ne sont pas très claires. Peter Praet et Mathias Dewatripont, deux anciens de la Banque centrale européenne et de la Banque centrale de Belgique, ont proposé d’augmenter les régulations. La solution serait d’assurer vraiment tous les dépôts, ce qui rendrait moins rentable d’avoir des dépôts dans une banque. Ce serait une modification importante du fonctionnement du système bancaire. Leur deuxième solution serait de forcer les banques à avoir plus d’actifs liquides. Là encore, cela augmente les ratios de liquidité, et donc amène à des régulations que peu de gens auraient osé prononcer il y a dix ans.

Il faut s’interroger sur ce à quoi ressemblerait un système bancaire avec une grande partie des dépôts garantis.

Eric monnet

La troisième option serait d’avoir des institutions plus régulées qui soient plus sûres. Il commence à y avoir des propositions de créer des monnaies de Banque centrale, de sorte que les individus auraient des dépôts à la Banque centrale, ce qui les assureraient. Aujourd’hui, si une Banque centrale crée des dépôts en monnaie digitale de Banque centrale, il faudrait qu’il y ait une limite sur les dépôts. Il n’y a pas une Banque centrale aujourd’hui capable de gérer autant de dépôts, c’est-à-dire de gérer l’investissement de tous ces dépôts, comme le fait le système bancaire. Cela ne s’est jamais vu ; avant, il y avait des institutions publiques détachées de la Banque centrale qui s’en occupaient. Cette idée émerge dans le débat public, et le principe n’est pas mauvais. Je pense qu’il faut s’interroger sur ce à quoi ressemblerait un système bancaire avec une grande partie des dépôts garantis.

Qu’est-ce que la séquence nous dit sur la politique monétaire de la Banque centrale ?

La question du prêteur en dernier ressort revient à se demander à quelles conditions la Banque centrale doit prêter. C’est une question qui se pose depuis quatre siècles et qui n’a jamais trouvé de réponse toute faite. Ce qui est intéressant c’est qu’à chaque crise, cette question est posée différemment. Aujourd’hui, elle se pose de manière très singulière, comme rarement dans l’Histoire. Les banques centrales font beaucoup de pertes, pour la même raison que la Silicon Valley Bank. Elles assument le risque de duration, c’est-à-dire qu’elles ont des actifs très longs à un taux de rendement très faible. C’est le risque du système bancaire. 

Une Banque centrale est prêteur en dernier ressort quand elle absorbe le risque du système bancaire. Ce risque est lié au fait que certaines banques ont trop d’actifs à long terme et à bas taux. La Banque centrale les rachète donc au prix qu’ils valaient y a quatre ans, soit un prix beaucoup plus élevé que ce qu’ils valent aujourd’hui. Par conséquent, si la Banque centrale prête à des banques qui, in fine, fermeront — comme la SVB — elle réalise une perte. Aujourd’hui, les banques centrales font énormément de pertes. En soi, une Banque centrale peut fonctionner avec des pertes, cela ne pose pas de problème ; mais une perte est toujours le gain d’un acteur, ici du secteur bancaire. La question centrale est donc de se demander jusqu’où nous pouvons accepter ces gains du secteur bancaire dans une crise de liquidité.

En soi, une Banque centrale peut fonctionner avec des pertes, cela ne pose pas de problème ; mais une perte est toujours le gain d’un acteur, ici du secteur bancaire. La question centrale est donc de se demander jusqu’où nous pouvons accepter ces gains. 

ERic monnet

Aurore Lalucq

La finance est intrinsèquement instable, et de temps en temps, le système se purge. C’est parce qu’il fonctionne sur la confiance qu’il faut être particulièrement attentif. Ces dernières décennies ont été un moment de mondialisation heureuse — dans le domaine des échanges commerciaux, mais aussi dans le domaine de la monnaie, de la banque et de la finance. Tout cela a explosé et doit être reconstruit. On se rend compte avec la crise du Covid-19 que les États-providence ont besoin de budget, parce qu’on a des politiques à financer. Il y a donc une reconstruction de la fiscalité. Dans ces moments de crise, il faut oser poser des questions plus globales, telles que la monnaie comme bien public et la captation par les banques privées de la création monétaire.

Sources
  1. Cette conversation est la transcription légèrement revue d’un débat lors d’un Mardi du Grand Continent à l’École normale supérieure le 28 mars 2023.