Le plan de Poutine pour prendre la Moldavie
C’est désormais clair : la Russie a prévu de déstabiliser la Moldavie. Dans une allocution filmée, la présidente moldave Maia Sandu a exposé aujourd’hui les plans du Kremlin pour tenter de subvertir Chișinău de l’intérieur afin de mener une opération de changement de régime — confirmant les informations exposées par Volodymyr Zelensky quelques jours plus tôt.
- Auteur
- Le Grand Continent •
- Image
- © AP Photo/Vadim Ghirda
Après une crise politique ce week-end, qui a vu le remplacement de la Première ministre démissionnaire Gavrilița par Dorin Recean, la Présidente de la Moldavie Maia Sandu s’est adressée à la nation au cours d’une brève allocution à la tonalité grave.
Cette « Déclaration sur la situation sécuritaire en Moldavie » est inédite dans sa forme et dans son contenu. Elle intervient la semaine qui précède l’anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et après des déclarations de Sergueï Lavrov sur la Moldavie. Elle se situe surtout dans une séquence ouverte jeudi dernier. Lors de sa venue au Conseil européen à Bruxelles, Volodymyr Zelensky a affirmé que l’Ukraine avait « intercepté un plan russe de destruction de la Moldavie ». À la suite de cette déclaration, le SIS, service de renseignement moldave, a confirmé « avoir identifié des activités visant à affaiblir et déstabiliser la Moldavie ». Dans sa brève allocution de ce lundi (six minutes), Maia Sandu confirme la teneur de ce communiqué en décrivant ce plan comme une opération de regime change : « Des actions violentes, déguisées en protestations de la soi-disant opposition, forceraient un changement de régime à Chișinău. »
Après avoir précisé que la Russie suivrait une méthode éculée, basée à la fois sur des éléments internes et externes de déstabilisation, elle explicite les objectifs qui sont selon elle ceux du Kremlin : « le but de ces actions est de renverser l’ordre constitutionnel, de changer le pouvoir légitime de Chișinău en un pouvoir illégitime, ce qui mettrait notre pays à la disposition de la Russie, afin d’arrêter le processus d’intégration européenne, mais aussi pour que la Moldavie puisse être utilisée par la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. »
La Moldavie, pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne depuis l’année dernière, doit accueillir en juin la prochaine réunion de la Communauté politique européenne, initiative lancée par Emmanuel Macron et dont la première édition s’est tenue à Prague en octobre, à Chișinău.
Chers Concitoyens,
Ces derniers jours, la sécurité de notre pays a fait l’objet de nombreuses discussions publiques. Les déclarations du président Zelensky concernant les plans de la Fédération de Russie pour déstabiliser la République de Moldavie ont été confirmées par nos institutions.
Le projet de la Russie d’entreprendre des actions subversives sur le territoire de notre État n’est pas nouveau. Des tentatives de déstabilisation de la situation et de sape de l’État ont également eu lieu l’automne dernier, mais, grâce aux interventions rapides de nos institutions de sécurité et d’ordre public, elles n’ont pas atteint leur but. Entre octobre et décembre, la police et le Service de renseignement et de sécurité sont intervenus dans plusieurs cas de criminalité organisée et ont mis fin à des tentatives de violence.
En automne, l’accent a été mis sur la crise énergétique, dont on s’attendait à ce qu’elle provoque un mécontentement majeur au sein de la population et conduise à des manifestations violentes. Le plan pour la période à venir prévoit des actions impliquant des diversionnaires formés par l’armée et déguisés en civils pour mener des actions violentes, des attaques contre des bâtiments d’État et des prises d’otages.
Des actions violentes, déguisées en protestations de la soi-disant opposition, forceraient un changement de régime à Chisinau.
Comme le rappelait Florent Parmentier dans ces colonnes, la vie politique en Moldavie est polarisée en partie par l’opposition entre une tendance « pro-russe » et une tendance « pro-européenne ».
Les documents reçus de nos partenaires ukrainiens montrent une bonne documentation sur les lieux et les aspects logistiques de l’organisation de ces activités subversives. Le plan suppose également l’utilisation de personnes extérieures pour des actions violentes.
Par exemple, les documents contiennent des instructions sur les règles d’entrée en République de Moldavie pour les citoyens de la Fédération de Russie, de la République du Belarus, de la Serbie et du Monténégro.
Je vous assure que les institutions de l’État s’efforcent d’empêcher de telles provocations et de garder la situation sous contrôle.
Pour mener à bien leur plan, les auteurs s’appuient sur plusieurs forces internes, mais en particulier sur des groupes criminels tels que le parti Șor et toutes ses ramifications, certains vétérans, d’anciens employés des forces de l’ordre, et plusieurs personnes connues pour leurs liens avec Plahotniuc.
Șor est un parti moldave nationaliste et russophile, précédemment connu sous le nom de Mouvement socio-politique républicain « Égalité », il est tenant d’une ligne fortement pro-russe et anti-roumaine. Son dirigeant est Ilan Șor, homme d’affaire placé actuellement en résidence surveillée, et qui est selon Catherine Belton pour une enquête du Washington Post, un élément clef dans la stratégie du Kremlin d’interférence politique en Moldavie.
Vladimir Plahotniuc est un oligarque et ancien membre du Parlement moldave. Également de citoyenneté russe, il est sous le coup de plusieurs accusations à la fois du côté de la République de Moldavie et du côté de la Fédération de Russie.
Comme je l’ai mentionné précédemment, le but de ces actions est de renverser l’ordre constitutionnel, de changer le pouvoir légitime de Chisinau en un pouvoir illégitime, ce qui mettrait notre pays à la disposition de la Russie, afin d’arrêter le processus d’intégration européenne, mais aussi pour que la Moldavie puisse être utilisée par la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine.
Afin d’éviter ce scénario, je demande à toutes les institutions de l’État de faire preuve d’une vigilance maximale.
Le Parlement moldave doit adopter, dans les plus brefs délais, les projets de loi qui fourniront au SIS [Serviciului de Informații și Securitate] et au Bureau du Procureur les outils nécessaires pour lutter plus efficacement contre les risques pour la sécurité du pays. Tous ceux qui participent à ces actions contre la République de Moldavie — éléments extérieurs, membres de partis politiques et de groupes criminels — et tous ceux qui les protègent, doivent être tenus pour responsables.
Maia Sandu adopte ici une rhétorique de la fermeté et de l’indépendance : elle n’en appelle pas à l’aide extérieure et se montre confiante dans la capacité des institutions moldaves à tenir contre ces tentatives d’ingérence. À la fin de son discours, elle appellera à « rester calmes », dans la continuité du temps qui est le sien pendant les quelques minutes de son allocution.
La sécurité des citoyens et du pays est notre première préoccupation et nous continuerons à faire tout ce qui est nécessaire pour protéger notre État et nos citoyens, la paix et l’ordre public. Je veux vous demander de rester vigilants, d’être prudents et de croire les informations officielles, car la forme d’attaque la plus agressive est l’attaque par l’information.
Les tentatives du Kremlin d’apporter la violence dans notre pays ne réussiront pas. Restons calmes. Croyons en la République de Moldavie !