- Le cadre institutionnel bosniaque est assez complexe puisque les accords de paix de Dayton de 1995 ont mis en place un système de partage du pouvoir visant à atténuer les rivalités entre groupes ethniques. Le pays présente donc un schéma fédéral composé de deux entités : la Fédération croato-bosniaque de Bosnie-Herzégovine (FBiH) et la composante serbe de la Republika Srpska (RS). Cependant, les divisions cristallisées entre groupes ethniques et la complexité excessive du cadre institutionnel qui leur accorde un droit de veto empêchent une prise de décision efficace.
- Alors que les Bosniaques — qui constituent la communauté la plus nombreuse — seraient favorables à une plus forte centralisation de l’État, les dirigeants serbes plaident pour l’indépendance (et éventuellement la jonction avec la Serbie) de la RS. De nombreux Croates demandent la création d’une troisième entité afin de refléter les divisions des trois « peuples constitutifs », tels que définis dans la Constitution.
- Au niveau de l’État, le pays a une présidence tripartite avec un représentant élu par chaque groupe ethnique. Pour le membre croate, le sortant du Front démocratique (Demokratska fronta — Демократски фронт) Željko Komšić l’a emporté sur la nationaliste Borjana Krišto de l’Union démocratique croate (Hrvatska demokratska zajednica Bosne i Hercegovine — HDZ). Pour le membre bosniaque, Denis Bećirović, soutenu par 11 partis d’opposition, est arrivé de manière inattendue en tête devant Bakir Izetbegović (Parti de l’action démocratique, Stranka demokratske akcije — SDA), en poste depuis 2010.
- La députée serbe Željka Cvijanović, ancienne présidente de la RS et membre de l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants (Савез независних социјалдемократа — SNSD), semble être la gagnante avec plus de 52 % des voix. Le titulaire de son siège et membre de son parti, Milorad Dodik, a décidé de concourir à sa place en tant que président de la RS, poste qu’il avait également occupée entre 2010 et 2018. Il est actuellement en tête avec 48 % des voix.
- Dans l’ensemble, les résultats des élections à la présidence collective peuvent être considérés comme une victoire sociale-démocrate, les candidats plus modérés et progressistes l’emportant sur leurs homologues nationalistes. Mais l’optimisme est légèrement tempéré par le fait que la députée serbe reste très proche des positions sécessionnistes de Milorad Dodik.
- Durant son mandat de président de la Republika Srpska, ce dernier a boycotté à plusieurs reprises les institutions bosniennes, prônant la séparation de l’entité et tissant des liens étroits avec la Serbie et la Russie. De plus, comme la FBiH sert actuellement de circonscription électorale pour les membres croate et bosniaque de la présidence, la réélection de Komšić a suscité le ressentiment des Croates, laissant penser qu’il a été stratégiquement soutenu par les électeurs bosniaques — qui représentent 70 % de la population de l’entité. Komšić a même été déclaré persona non grata en 2018 dans certaines villes du Sud fortement nationalistes.
- Le jour même du scrutin, le Haut Représentant de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine, Christian Schmidt, annonçait une modification de la loi électorale qui bénéficierait à la composante croate. Cette décision controversée a suscité des protestations et a été pour l’instant stoppée. En effet, bien que chargé à l’origine de fonctions essentiellement de surveillance, le Haut Représentant peut, en vertu des « pouvoirs de Bonn », imposer des décisions contraignantes lorsque les acteurs locaux ne veulent ou ne peuvent pas procéder à des réformes. Cependant, de telles ingérences risquent de déresponsabiliser les élites bosniaques et compromettre le processus même de construction et de renforcement de l’État, tout en fournissant aux dirigeants nationalistes un bouc émissaire facile.
- Outre les craintes d’une résurgence des tensions nationalistes, le pays est confronté à une profonde crise économique et politique, et présente des taux élevés de corruption et d’émigration. La Bosnie-Herzégovine n’a actuellement que le statut de « candidat potentiel » pour intégrer l’Union européenne. Afin d’obtenir le statut officiel de candidat, une évaluation positive de la Commission suivie du feu vert du Parlement et d’un vote à l’unanimité au Conseil sont requis. Les perspectives d’adhésion restent donc assez lointaines, rendant les instruments de conditionnalité moins efficaces pour promouvoir les réformes nécessaires au respect des critères de Copenhague.