• Comme le souligne l’historien des relations internationales Pierre Grosser, « le 9 mai est la date la plus importante de l’histoire russe »1. Le régime de Vladimir Poutine exalte la mémoire des vétérans de la Seconde Guerre mondiale ainsi que de la population russe, qui se sont battus pour débarrasser le monde du nazisme après la rupture du pacte germano-soviétique, en juin 1941.
  • Ainsi, ce matin, les forces armées russes ont défilé sur la place Rouge devant le Président russe, dans une cérémonie qui a été lue comme un exercice quelque peu décevant. Allant à l’encontre des rumeurs planant au-dessus du 9 mai prévoyant des annonces importantes de Vladimir Poutine — allant d’une mobilisation générale à une menace réitérée de l’utilisation de l’arme nucléaire —, le défilé militaire a finalement correspondu à celui des années précédentes, le défilé aérien en moins. Le discours a quant à lui été prononcé sur un ton moins menaçant que son discours de mars dernier, mettant l’emphase sur le patriotisme plutôt que sur la menace nucléaire2.
  • Si l’appel à la mobilisation générale ne figurait pas dans le discours de Vladimir Poutine, cela ne signifie pas que la population russe n’est pas prise en compte dans la politique du Kremlin. Les sondages d’opinion du Levada Center (institut indépendant) croisés avec la dernière édition de l’Eurobaromètre fournissent un précieux panorama de la manière dont la guerre en Ukraine est perçue, en Russie comme dans l’Union européenne.
  • Comme l’illustrait un sondage publié le 12 avril par le Chicago Council on Global Affairs en coordination avec le Levada Center, la population russe soutient très majoritairement la guerre menée par la Russie en Ukraine : 53 % se dit la soutenir « fortement », 28 % « plutôt »3. Ces résultats s’expliquent à la fois par le patriotisme très développé parmi la population russe, bien souvent dès l’école primaire ou le collège, mais également par la vérité alternative qui est proposée par les médias russes à sa population ; Guillaume Lancereau parlait dans nos colonnes de « construction sur un mode quasi-orwellien ».
  • Les sondages du Levada Center indiquent une claire montée des sentiments « négatifs » portant sur les États-Unis ou sur l’OTAN dans la population russe depuis le début du conflit, en février dernier. Entre novembre 2021 et mars 2022, la proportion de la population russe qui se disait avoir une attitude « positive » vis-à-vis des États-Unis est ainsi passée de 45 à 17 %. Ces chiffres se rapprochent de l’attitude vis-à-vis de l’OTAN dont 10 % seulement de la population russe se dit avoir une « bonne » vision. Il est toutefois à noter que l’OTAN jouit d’une meilleure image parmi la jeune population russe, comme l’illustre le graphique ci-dessus. 
  • Alors que la Russie mène depuis février dernier une guerre contre l’Ukraine, la population russe n’a, selon les sondages du Levada Center, pas une si mauvaise image de l’Ukraine. Si les niveaux ont bien baissé depuis le début des années 2000, en mars dernier 30 % de la population russe disait toujours avoir une image « positive » de l’Ukraine. Les opinions négatives en Russie vis-à-vis de l’Ukraine avaient considérablement augmenté à la suite de la révolution de Maïdan de 2014, passant en mars (sur des sondages réalisés début février donc) de 25 % d’opinion négative à 49 % en mai 2014. 
  • Vladimir Poutine, en dépit des condamnations internationales et des sanctions imposées par un grand nombre de puissances occidentales, dispose toujours d’un important soutien populaire, selon les sondages, malgré des disparités générationnelles. Comme le disait Andreï Kolesnikov dans les colonnes de Foreign Affairs : « La peur de l’autorité n’empêche pas seulement les gens de protester contre une guerre barbare ; elle les rend également incapables d’admettre, même à eux-mêmes, que la Russie de Poutine a commis quelque chose d’épouvantable »4
  • La courbe d’approbation de l’action du gouvernement russe depuis 1999 fait ressortir les pics de soutien à l’action du président Vladimir Poutine. Trois pics de soutien sont visibles : en 2007-2008, avec la guerre en Géorgie et les tensions avec l’Occident, en 2014 après l’annexion de la Crimée et désormais en 2022, avec la guerre en Ukraine. Néanmoins, le soutien au gouvernement a légèrement chuté en avril, passant de 69 % en mars 2022 à 66 % en avril 2022. Il faut aussi noter qu’il y a eu une forte baisse de la popularité du gouvernement russe en 2018, lors d’une réforme des retraites. 
  • Enfin, il est intéressant de souligner qu’en parallèle de la détérioration de l’image des États-Unis et de l’Union européenne dans l’opinion publique russe, l’image de la Chine s’améliore fortement. Entre août 2021 et mars 2022, la proportion de Russes ayant une bonne image de la Chine est passée de 70 % à 83 %, un phénomène lié en partie à la neutralité bienveillante de la Chine dans le conflit actuel en Ukraine
Sources
  1. Pierre Grosser, « Russie : le 9 mai 1945, une commémoration « poutinisée », Libération, 8 mai 2022.
  2. Présidence de la Russie, Défilé de la Victoire sur la Place Rouge, 9 mai 2022.
  3. Chicago Council on Global Affairs et Levada Center, « Russian Public Accepts Putin’s Spin on Ukraine Conflict », 12 avril 2022.
  4. Andreï Kolesnikov, « Russians at War. Putin’s Aggression Has Turned a Nation Against Itself », Foreign Affairs, 18 avril 2022.