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Key Points
- Au niveau des forces en présence, les Russes et les Ukrainiens disposent de ressources militaires assez équilibrées.
- Les Russes concentrent leur action sur la zone de Sloviansk, Kramatorsk et Severodonetsk (SKS). Leur avancée est concrète, mais le rythme de progression est lent, et il faudra attendre le mois de juin pour savoir si l’opération aboutira.
- Les Ukrainiens s’organisent pour résister à cette offensive, mais ils profitent aussi de l’engagement massif des troupes russes dans cette zone pour regagner du terrain sur d’autres fronts.
Situation générale
Les opérations en cours en Ukraine se déroulent sur 900 kilomètres de front, de Kharkiv à Mykolayev, et dans les zones de l’arrière, accessibles aux unités légères infiltrées. En revanche, les forces aériennes englobent l’Ukraine toute entière, la partie de la Russie proche de la frontière, la Biélorussie et la mer Noire jusqu’à l’île aux Serpents.
L’économie des forces sur le front
Ces 900 kilomètres sont tenus par 27 brigades de manœuvre ukrainiennes, représentant trois à cinq bataillons, et des brigades de Garde nationale ou territoriale inégalement réparties en ligne et dans les bastions urbains. Ces brigades sont appuyées par quelques régiments ou brigades d’artillerie de zones de défense.
En face, les divisions et brigades russes alignent pour l’instant 95 groupements tactiques (GT) sur 140 au maximum de l’engagement — 1 GT correspond à la combinaison d’un bataillon blindé renforcé et d’un bataillon d’artillerie —, accompagnés par les deux corps d’armée des républiques séparatistes, soit une force équivalente à une quinzaine de GT. Les armées combinées russes disposent chacune de deux brigades d’artillerie, de missiles et d’obusiers, mais aussi d’éléments d’appui divers, dont un régiment du génie et une brigade spetsnaz. L’ensemble peut bénéficier enfin des 200 à 300 sorties quotidiennes des forces aériennes russes, dont l’action aide les unités au contact, mais aussi parfois celles restées dans la profondeur du théâtre d’opération.
Les forces sont donc sensiblement équilibrées sur l’ensemble du front. Sur les points de contact, les bataillons ukrainiens sont plutôt de gamme tactique supérieure aux bataillons russes, mais les forces russes compensent cette infériorité par une plus grande puissance de feu, en particulier d’artillerie. Les deux camps — surtout du côté ukrainien — bénéficient de l’avantage défensif de positions organisées. Il est difficile dans ces conditions de pouvoir progresser, et donc d’obtenir des effets stratégiques.
La seule manière d’y parvenir est d’avoir un rapport de forces de 2 contre 1 en nombre de bataillons de combat dans les secteurs jugés prioritaires. Or, les réserves sont rares. Après avoir récupéré presque tous les GT disponibles, les Russes ont utilisé les unités dégagées de la région de Kiev et de Marioupol — même si les combats continuent autour de l’usine d’Azovstal à Marioupol — pour les déployer dans la zone principale de combat. Or, on peut se demander dans quel état seront ces bataillons, déjà usés, pour les prochains combats ?
Du côté ukrainien, les réserves susceptibles d’être engagées sur le front sont également assez limitées — peut-être 5 brigades — compte tenu également de l’usure des combats dans le Nord-Est de l’Ukraine, et la nécessité d’y maintenir des unités. La véritable réserve opérative ukrainienne vient de l’aide matérielle occidentale, principalement américaine. Cette aide est accompagnée par un effort massif d’instruction qui peut permettre, au-delà de recompléter les unités déjà engagées, de constituer de nouveaux bataillons, voire des brigades de manœuvre, mais pas avant plusieurs semaines.
La zone Sloviansk, Kramatorsk et Severodonetsk (SKS)
Il n’y a donc guère d’autre solution que de redistribuer les forces le long de la ligne de front, en les concentrant sur les zones d’attaque et en admettant une infériorité dans les secteurs jugés secondaires. Sans doute pressés par la nécessité d’obtenir des résultats rapides, ce sont les Russes qui ont procédés aux plus grandes redistributions en acceptant une faible densité de forces dans les secteurs de Kherson et de Kharkiv, et de concentrer 48 GT et beaucoup d’appuis dans la zone prioritaire, de Yzium à Popasna, autour des trois villes cibles de Sloviansk, Severodonetsk et Kramatorsk, face à dix brigades de manœuvre ukrainiennes, elles-mêmes appuyées par la 17e brigade blindée et sans doute par l’équivalent de 20 bataillons de territoriaux et gardes nationaux.
Appuyés par de grandes masses d’artillerie, les forces russes poursuivent toujours leurs trois attaques convergentes : autour de Severodonetsk, autour de Sloviansk par le Nord et enfin plus largement autour de toute la poche via Barvinkove à l’Ouest. C’est le même plan qui est mis en œuvre depuis la mi-mars, mais alimenté depuis début avril par les forces venues du secteur de Kharkiv et de Kyiv, avec une augmentation d’intensité depuis le 18 avril.
Dans ces trois dernières semaines, la grande force russe de la poche d’Yzium (22 GT) a franchi la rivière Donets et progressé vers l’Ouest sur 10 kilomètres face à la 25e brigade aéroportée et la 81e brigade d’assaut aérien, mais aussi plein Sud contre la 3e brigade blindée, jusqu’à la petite localité de Kurulta à 15 kilomètres de Sloviansk. Au Nord-Est de Sloviansk, les forces russes ont progressé contre la 95e brigade d’assaut aérien jusqu’à Lyman et Ozerne, à environ 15 kilomètres. Une poche s’est formée entre ces deux zones, tenue de plus en plus difficilement par la 57e brigade motorisée ukrainienne.
La frappe ukrainienne du 1er mai sur l’état-major de la 2e armée combinée à Yzium et les menaces sur l’arrière ont sans doute freiné la progression russe, mais celle-ci se poursuit lentement. À ce rythme, les Russes pourraient être devant Sloviansk à la fin du mois de mai. Ce rythme peut être accéléré si la 57e brigade ukrainienne, menacée d’encerclement, se replie sur Sloviansk, mais elle peut aussi s’arrêter à tout moment par l’usure des unités engagées — il y a 15 à 20 véhicules de combat russes perdus par jour, contre contre 5 à 10 ukrainiens —, l’insuffisance logistique ou un événement extérieur.
La progression est encore plus lente autour de Severodonetsk où après deux mois de combat les Russes peuvent se targuer de la prise de Rubizhne face à la 79e brigade d’assaut, en périphérie Nord de la ville, et le 7 mai de Popasna, 20 kilomètres au Sud de la ville, avec notamment les combattants de Wagner et de la 150e division motorisée russe (retirée de Marioupol) face à la 24e brigade mécanisée ukrainienne.
L’objectif suivant depuis Popasna est probablement Bakhmut, à une dizaine de kilomètres, et à une vingtaine de kilomètres de Kramatorsk et Sloviansk. La prise de Bakhmut mettrait en danger toute la zone de Severodonetsk, mais il sera sans doute impossible d’y parvenir sans un effort parallèle depuis Horlivka de la part des 1er et 2e corps d’armée des républiques séparatistes contre la 30e brigade mécanisée ukrainienne, qui est en position retranchée. Ainsi, il paraît difficile d’imaginer quelque chose de décisif de ce côté avant un mois.
Il faudra donc attendre au mieux pour les Russes le début du mois de juin, pour envisager le siège de la ville de Severodonetsk — presque aussi difficile à prendre que Marioupol — et l’investissement par ailleurs sans doute incomplet du couple Sloviansk-Kramatorsk, dont le siège sera aussi difficile que celui de Marioupol.
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Les secteurs équilibrés
En faisant des efforts dans la zone SKS, les Russes ont mécaniquement négligé les autres. La ligne de frontière des deux républiques séparatistes est occupée par 20 GT face à 4 brigades ukrainiennes solidement retranchées. Après les trois grandes villes du Nord, Propovsk à 40 kilomètres de Donetsk est le quatrième objectif indispensable à la conquête du Donbass. Elle paraît à ce stade inaccessible.
La zone s’étendant de Zaporijjia à Donetsk est plus favorable aux forces russes qui réunissent 13 GT face à quatre brigades ukrainiennes dont une territoriale et une de garde nationale. La progression russe est sensible à Orikhiv, à 30 kilomètres de Zaporijjia et Houliapole au centre de la ligne, mais c’est une zone où les Ukrainiens peuvent accepter de perdre du terrain. Il est une nouvelle fois difficile d’imaginer un résultat important avant juin, à moins d’un effondrement ukrainien.
Les secteurs faibles
Il reste deux secteurs où les Russes sont faibles. Du côté de Kherson, au-delà du Dniepr les combats sont équilibrés, malgré un avantage du côté ukrainien. Une grande activité à l’ouest de la zone — agitation en Transnistrie, frappes de missiles sur Odessa, destruction du pont de Zatoka sur l’embouchure du Dniestr — est sans doute destinée à maintenir l’attention ainsi que, de facto, des forces russes de ce côté. Il y aurait là un énorme potentiel de succès pour les Ukrainiens s’ils parvenaient à couper les forces russes des passages sur le Dniepr.
C’est du côté de Kharkiv que les Ukrainiens portent leur effort. Le fait qu’ils y consacrent des brigades qui pourraient être engagées dans le secteur de Sloviansk témoigne sans doute de leur confiance dans la capacité de résistance de la zone SKS. Après avoir progressé à l’Est de Kharkiv, les forces ukrainiennes progressent désormais au Nord-Est et se sont emparées de la localité de Staryï Saltiv, sur la rivière Donets. La frontière russe devrait être atteinte rapidement. Dans l’immédiat, cela écarte la menace de l’artillerie sur la ville et à court terme, cela peut obliger les Russes à retirer des forces de la poche d’Yzium afin de renforcer leurs arrières.
Les espaces profonds
On observe une intense activité aérienne russe en profondeur avec un emploi massif de missiles, en grande partie pour entraver les approvisionnements occidentaux. Depuis le 30 avril, les Ukrainiens pratiquent une campagne de frappes sur l’île aux Serpents/de Bile, à 35 kilomètres au large de la frontière ukraino-roumaine, transformée en base anti-aérienne et anti-navires après la destruction du croiseur russe Moskva. L’île a fait l’objet d’attaques par des drones turcs TB-2, qui ont détruit plusieurs systèmes de défense antiaériens, un chaland de débarquement et un hélicoptère Mi-8. La neutralisation des défenses a facilité un raid de deux chasseurs Su-27 le 7 mai sur les bâtiments du centre de l’île. On ne peut exclure l’hypothèse d’une reprise de l’île par les Ukrainiens et la mise en place d’une défense anti-accès qui pourrait aller jusqu’à menacer la base russe de Sébastopol, située sur la péninsule de Crimée.