Key Points
  • Les phases de recapitalisation sont des moments de discussions, tous les quatre ans, entre les pays contributeurs à propos des résultats du précédent cycle et des objectifs du prochain.
  • Du fait de la crise du Covid-19 et de ses effets sur la dette des pays contributeurs, ces derniers ne devraient pas augmenter sensiblement la capitalisation du FEM, alors même que les défis croissent.
  • La crise du Covid-19 a entraîné une prise en compte d’objectifs sanitaires et des rapports de l’humain avec la faune et la flore.
  • Le STAP, le BIE et le MOPAN, des organismes internes et externes au FEM, ont fourni certaines recommandations concernant les objectifs du fonds.

Créé à l’occasion du Sommet de la Terre de Rio de 1992 pour contribuer à la protection de l’environnement mondial et promouvoir un développement écologiquement durable, le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) constitue aujourd’hui la plus importante source multilatérale de financement des actions environnementales dans les pays en voie de développement, investissant environ un milliard de dollars par an. Alors que, depuis 30 ans, le FEM soutient la mise en œuvre des conventions multilatérales dites «  de Rio  » (climat, biodiversité et désertification 1) ainsi que plusieurs autres conventions internationales sur l’environnement 2, le fonds est en ce moment même engagé dans une campagne de recapitalisation qui fixera ses moyens et ses priorités pour les quatre prochaines années, dans un contexte mondial marqué par les critiques du multilatéralisme, l’urgence climatique et la pandémie de Covid-19. Le 8ème cycle (FEM-8) devra ainsi s’ouvrir en 2022 avec des objectifs révisés, basés sur une évaluation des performances du précédent cycle de financement FEM-7, et des moyens à définir. C’est l’objectif d’une série de quatre conférences internationales – dont la deuxième se tient du 29 septembre au 1er octobre – et qui devrait culminer avec la validation du plan de recapitalisation en mai 2022. Quels sont donc les enjeux et les perspectives de cette phase de recapitalisation du plus important fonds multilatéral pour l’environnement  ?

Bref historique des cycles de recapitalisation

Depuis sa création, le budget du FEM a augmenté régulièrement jusqu’en 2014, avant de connaître une légère baisse lors du cycle FEM-7 – largement due à une diminution de la contribution américaine sous l’administration Trump (273 millions USD pour le cycle FEM-7 contre 576 millions USD pour le FEM-5) 3. Historiquement, c’est le Japon qui constitue le plus gros contributeur, avec 3,3 milliards de dollars depuis 1992. L’analyse des négociations autour des engagements financiers des pays contributeurs – une quarantaine, la plupart développés – pourrait faire l’objet d’une étude spécifique. On peut cependant noter que, dès les débuts du FEM, les pays européens, France en tête, ont tenu une ligne consistant à indexer leurs propres contributions sur celles des Etats-Unis, considérés comme devant être le moteur financier du Fonds.

Au-delà de la question du financement, les conférences de recapitalisation ont été l’occasion de réviser l’orientation de l’action du FEM, avec en filigrane l’idée que, si les pays donateurs n’étaient pas satisfaits des orientations prises et des résultats atteints, leur contribution pourrait être remise en cause lors du cycle suivant. Quelques orientations majeures prises lors des discussions de recapitalisation passées peuvent ainsi être évoquées. Pour le FEM-4 (2006-2010), un mécanisme novateur – car formalisé et technique – a été adopté pour allouer les fonds disponibles à chaque pays au cours du cycle de financement en fonction d’indices de performance : i) le GEF Benefit Index (GBI) qui mesure le potentiel de chaque pays à générer des bénéfices environnementaux mondiaux en termes de climat et de biodiversité  ; et ii) le GEF Performance Index (GPI) qui mesure la capacité, les politiques et les pratiques pertinentes de chaque pays pour la mise en œuvre des programmes et projets du FEM. Au moment de la capitalisation du FEM-5 (2010-2014), ce mécanisme d’allocation des fonds, critiqué, a été remplacé par le système STAR 4 qui ajoute un indicateur socio-économique basé sur le PIB. Par ailleurs, les pays ont dorénavant pu bénéficier d’un accès «  direct  » aux fonds, c’est-à-dire sans passer par des agences de mise en œuvre comme les agences onusiennes ou les banques de développement, pour certaines fenêtres de financement spécifiques 5. Pour le FEM-6 (2014-2018), les pays ont souhaité mettre l’accent sur une programmation intégrée (par opposition avec une logique par projet). Une stratégie sur l’inclusion des problématiques liées au genre a également été adoptée, et un ratio de 7:1 entre cofinancement et financement FEM officiellement recommandé. Enfin, lors de l’ouverture du FEM-7, cette approche programmatique a été renforcée et un engagement plus important avec le secteur privé a été envisagé.

Les enjeux de la recapitalisation pour la phase FEM-8

Le montant

L’enjeu pour le 8ème cycle de financement sera donc de reprendre une trajectoire de capitalisation conforme aux défis climatiques et environnementaux qui, eux, n’ont cessé de croître. Après l’épisode Trump, le contexte politique américain devrait théoriquement être propice à un retour des Etats-Unis sur leur trajectoire de contribution passée. En effet, le FEM a historiquement bénéficié d’un soutien bipartisan depuis l’enthousiasme fondateur d’un G. H. Bush déclarant au Congrès en mars 1992 que «  la prévention de la dégradation de l’environnement doit être considérée comme un moyen de promouvoir la sécurité nationale et la croissance économique  ». Dans la vision du président Bush, le FEM devait devenir «  le principal moyen d’aider les pays en développement à assumer les coûts supplémentaires liés à l’obtention de bénéfices environnementaux mondiaux dans le cadre de nouveaux accords internationaux.  » Cependant, cet enthousiasme originel s’inscrivait dans le contexte de l’après-guerre froide, alors que les bénéfices de la coopération internationale semblaient évidents aux yeux de tous. Aujourd’hui, et même si la rhétorique anti-multilatéralisme ne raisonne plus à la Maison Blanche, il est malaisé d’anticiper dans quelle mesure les défis propres au contexte mondial actuel – plus que des tendances idéologiques – pourront constituer un frein à un retour espéré des Etats-Unis comme contributeur majeur du FEM. Les Etats-Unis n’étant par ailleurs pas le seul contributeur confronté à un bondissement de la dette publique depuis le début de la pandémie de Covid-19, une certaine incertitude peut également prévaloir quant aux contributions des autres principaux donateurs. En tout état de cause, il est donc peu probable de voir la recapitalisation du FEM reprendre la pente ascendante qui a prévalu de 1992 à 2018.

Au-delà de la question du financement, les conférences de recapitalisation ont été l’occasion de réviser l’orientation de l’action du FEM, avec en filigrane l’idée que, si les pays donateurs n’étaient pas satisfaits des orientations prises et des résultats atteints, leur contribution pourrait être remise en cause lors du cycle suivant.

Pierre bÉgat

La programmation

La programmation du FEM-8 va devoir s’inscrire dans un contexte mondial caractérisé par l’urgence climatique rappelée par le sixième et dernier rapport en date du GIEC 6 et étayée par la litanie des catastrophes climatiques de ces dernières années – mégafeux, inondations, sécheresses etc. Par ailleurs, la sixième extinction de masse anticipée 7 par la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (le «  GIEC de la biodiversité  ») ne devrait pas permettre au FEM et à ses contributeurs d’être beaucoup plus détendus sur le deuxième pilier du mandat du fonds, à savoir la conservation de la biodiversité. Globalement, tout semble donc indiquer qu’un changement d’échelle, et non une négociation à la marge, devrait s’imposer pour le FEM. Il faudra donc faire (beaucoup) plus avec (sans doute presque) aussi peu qu’avant. Si les conclusions indiquant quelle solution sera mise en œuvre pendant quatre ans ne seront validées qu’en mai prochain, quelques pistes peuvent être envisagées.

Tout d’abord, la future programmation devra tirer les leçons de la pandémie de Covid-19, que le FEM et ses agences partenaires ont entrepris d’identifier dans un Livre blanc 8 paru en novembre 2020. Si les principales mesures prises par le FEM en réaction au contexte pandémique ont jusqu’à présent été d’allonger les délais accordés entre la validation d’une note de concept et la soumission d’un document de projet complet, ainsi que d’exiger que lesdits documents de projet incorporent un succinct plan de gestion du risque pandémique, la programmation FEM-8 devrait proposer des orientations en cohérence avec la crise sanitaire, notamment en soutenant davantage l’amélioration des connaissances sur les conséquences sanitaires des interactions entre humains et faune sauvage, ou encore en explicitant les liens entre résilience aux effets du changement climatique et résilience à d’autres phénomènes globaux tels que les pandémies. Certaines agences du FEM, comme la FAO, ont d’ores-et-déjà anticipé ce type de raisonnement et soumis des projets de renforcement de la résilience multidimensionnelle des populations locales au Mali et au Burkina Faso (qu’il s’agisse de chocs climatiques, de pressions anthropiques liés aux déplacements de population pour cause d’insécurité ou de pandémie) – l’argument essentiel étant qu’une gestion durable des ressources naturelles permet aux populations dont les moyens de subsistance dépendent étroitement de celles-ci de mieux absorber les chocs externes.

Les orientations du FEM-8 pourront ensuite s’appuyer sur des recommandations déjà formulées en interne et en externe. En interne, le STAP (Scientific and Technical Advisory Panel), c’est-à-dire le conseil du FEM chargé de veiller à la qualité scientifique des propositions de projet, a proposé 9 trois orientations principales pour le prochain cycle de financement  :

  1. Veiller à ce que les investissements soient efficaces, transformateurs et durables  ; l’idée sous-jacente étant qu’une stratégie d’amélioration progressive ou incrémentale ne sera pas suffisante pour atteindre les objectifs mondiaux en termes de lutte contre le changement climatique ou de dégradation des écosystèmes.
  2. Veiller à ce que l’ensemble du portefeuille soit plus intégré et cohérent en termes de transformation  ; il s’agit ici de réaffirmer que l’objectif devrait être de s’attaquer aux causes fondamentales des problèmes environnementaux (par exemple le manque de connaissances et de moyens permettant de déployer une agriculture intensive et durable, se traduisant par des pratiques de déforestation pour gagner des terres arables et compenser les faibles rendements à l’hectare) et non seulement aux symptômes (la déforestation).
  3. Former des partenariats avec d’autres acteurs afin de parvenir à un développement plus durable sur le plan environnemental, par exemple en faisant en sorte que les investisseurs disposent des informations dont ils ont besoin pour prendre de meilleures décisions sur les plans environnemental et climatique, ou travailler avec des groupes de pays sélectionnés pour adopter des politiques en faveur du bien-être humain plutôt que de la seule croissance du PIB.

Globalement, tout semble donc indiquer qu’un changement d’échelle, et non une négociation à la marge, devrait s’imposer pour le FEM. Il faudra donc faire (beaucoup) plus avec (sans doute presque) aussi peu qu’avant.

PIERRE BÉGAT

Si les conseils du STAP ne sont pas directement opérationnels – ce n’est pas son mandat premier –, l’évaluation interne 10 réalisée par le Bureau Indépendant de l’Évaluation (BIE) du FEM, et présentée lors de la première conférence de la phase de recapitalisation en avril dernier, contient quelques propositions concrètes. Ces propositions concernent des ajustements des priorités d’investissement (par exemple, investir davantage dans la gestion des écosystèmes d’eau douce et l’aquaculture, délaissés sous le FEM-7 au profit de la gestion des pêcheries marines) mais également des modalités plus essentielles de la stratégie du FEM. Il est ainsi recommandé au FEM de signaler plus clairement sa volonté d’aider les pays à combler le fossé entre la conceptualisation, le pilotage et la démonstration d’idées innovantes, et leur éventuelle mise à l’échelle et reproduction, ce qui, d’après l’évaluation interne, suppose de communiquer plus clairement sur la tolérance du FEM aux risques associés à toute démarche d’innovation. 

De même le BIE – tout comme le MOPAN 11, un groupement de pays donateurs qui commandite ponctuellement des évaluations de mécanismes multilatéraux, dont le FEM en 2018 – recommande au FEM d’adopter une stratégie de gestion des connaissances explicite qui permette de mieux capitaliser sur la masse de leçons apprises, issues du portefeuille de plus de 5 000 projets soutenus par le fonds. On ne peut que souscrire à cette suggestion, d’autant qu’à l’heure actuelle, il n’existe pas de plateforme permettant d’accéder de manière centralisée aux évaluations de projets FEM, celles-ci n’étant rendues disponibles qu’à la discrétion des agences de mise en œuvre – et toutes ne jouent pas le jeu de la transparence. Enfin, l’engagement du FEM avec le secteur privé est décrit par le BIE comme un processus «  fastidieux  » du point de vue du secteur privé, qui rapporte que, si travailler avec le FEM semble faisable pour des experts, la complexité de l’institution et des processus de financement constitue une véritable barrière à l’entrée pour les autres partenaires potentiels. Le temps investi dans l’élaboration, la réécriture et la soumission de propositions apparaît disproportionné par rapport au montant potentiel du financement obtenu, ce qui peut facilement dissuader ces efforts. Globalement, beaucoup reste à faire pour établir le FEM comme un interlocuteur crédible pour le secteur privé, tant en termes de souplesse et de fluidité de ses procédures et de ses exigences que de notoriété auprès du secteur privé afin que celui-ci puisse identifier les fenêtres de financement du FEM comme autant d’opportunités.

On le voit, les trois dernières recommandations évoquées ci-dessus – financement de l’innovation, gestion des connaissances et engagement avec le secteur privé – sont autant de moyens qui doivent viser la même fin  : démultiplier par l’intelligence la force de frappe d’un fonds dont le périmètre financier, même s’il reste à définir pour les quatre prochaines années, restera de toute façon sans commune mesure avec les besoins réels des problématiques qui lui ont été confiées. Rendez-vous en mai 2022 pour évaluer dans quelle mesure le FEM et ses partenaires auront pu résoudre la quadrature du cercle.

Sources
  1. CCNUCC  : Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques  ; CDB  : Convention sur la Diversité Biologique  ; CCNULD  : Convention-cadre des Nations Unies sur la Lutte contre la Désertification
  2. Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants et Convention de Minamata sur le mercure
  3. Source  : Congressional Research Service. 2019. The GEF. Disponible ici.
  4. System for Transparent Allocation of Resources
  5. Overseas Development Institute. 2013. The effectiveness of climate finance : a review of the Global Environment Facility. Accessible ici. Cette modalité s’est cependant révélée un échec, car les procédures administratives, fiduciaires et légales étaient trop complexes à mettre en œuvre.
  6. Disponible ici.
  7. Résumé à l’intention des décideurs du rapport sur l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, accessible ici.
  8. Disponible ici.
  9. Voir ici.
  10. Disponible ici.
  11. Multilateral Organisation Performance Assessment Network. L’évaluation en question est disponible ici.