• Dimanche 12 septembre, les Argentins ont été appelés aux urnes pour déterminer la composition des listes, là où des oppositions internes devaient être résolues, et élire les candidats pour l’élection législative du 14 novembre. Ouvertes, simultanées et obligatoires, les primaires, vaste sondage national des intentions de vote, tel qu’on les conçoit dans l’imaginaire collectif argentin, ont déclenché une crise au sein de la coalition péroniste au pouvoir, caractérisée par une forte opposition entre péronistes modérés, répondant au président Alberto Fernández, et kirchnéristes dirigés par la vice-présidente Cristina Fernández de Kirchner (CFK). Or des signaux faibles des primaires permettent aussi de dresser une première image de la société politique qui pourrait émerger en Argentine.
  • Une balkanisation de la coalition au pouvoir de plus en plus évidente. La liste pour l’élection des députés de la province de Buenos Aires de la coalition au pouvoir ayant été portée par Victoria Tolosa Paz, proche du président, la défaite a permis à la vice-présidente CFK de conforter ses demandes concernant le besoin d’un remaniement ministériel. Mercredi, le ministre de l’Intérieur, Eduardo « Wado » de Pedro, et quatre autres membres du gouvernement, tous proches de CFK, ont présenté leur démission. Cette séquence a été interprétée comme une stratégie dans le cadre de ces demandes. Les démissions n’ont finalement pas été acceptées et Juan Manzur, gouverneur de la province de Tucuman, a été nommé chef de cabinet, en remplacement de l’albertista Santiago Cafiero1. Alors que le ministre de l’Économie, Martín Guzmán, chargé des négociations avec le FMI, ainsi que le ministre du Développement Productif, Matías Kulfas, modérés, étaient parmi les ministres que CFK avait critiqué entre les lignes en décembre 2020, l’albertismo a pu assurer leur ratification. Les nouveaux ministres, proches du cristinismo, Anibal Fernandez (Sécurité)2, Julian Dominguez (Élevage, Agriculture et Pêche), Juan Perzyck (Éducation) et Daniel Filmus (Science et Technologie), ont pris hier leurs fonctions.
  • Un dur revers inattendu pour la coalition péroniste au pouvoir. Cette année, la moitié des sièges (127) de la Chambre des députés est renouvelée. Avec 98 % des bulletins dépouillés, la coalition péroniste au pouvoir, Frente de Todos, obtient à l’échelle nationale 31 % des voix, face à Juntos por el Cambio, la coalition au pouvoir entre 2015 et 2019 qui obtient quant à elle 40 %. Même dans la province de Buenos Aires (37 % des électeurs et son bastion électoral), le péronisme connaît une défaite que les plus pessimistes n’attendaient pas non plus : 33,64 % v. 38,99 % (96,91 % des bulletins dépouillés). D’autre part, huit provinces –Catamarca, Chubut, Córdoba, Corrientes, La Pampa, Mendoza, Santa Fe et Tucumán– doivent renouveler leurs 3 représentants au Sénat. Si les résultats des primaires se répètent en novembre, alors la coalition au pouvoir perdra 6 sièges et devra négocier avec l’opposition pour atteindre le quorum et tenir des séances.
  • Premier signal faible : au-delà de la grieta, une percée de la gauche à l’échelle nationale. Le Frente de Izquierda y de los Trabajadores-Unidad (FIT-U) se positionne comme troisième force dans une élection qui a été considérée comme «  la meilleure en dix ans » par Myriam Bregman, référente et candidate à la députation nationale pour la capitale, la Ville Autonome de Buenos Aires (CABA). Le FIT-U obtient plus de 5 % dans dix provinces. Dans la province de Jujuy, limitrophe avec la Bolivie, la liste portée par Alejandro Vilca, éboueur, obtient aux alentours de 23 %.
  • Deuxième signal faible : une consolidation du populisme ultra-libéral et conservateur dans la capitale. Portée par Javier Milei, économiste qui se définit comme un libertaire et ayant bénéficié d’énormément d’exposition dans les médias argentins, une liste conservatrice et ultra-libérale obtient aux alentours de 14 % des voix pour l’élection des députés. Alors que le succès de la figure de Milei semblait cantonnée à la jeunesse porteña aisée, l’économiste a obtenu ses meilleurs résultats dans les communes du sud de la CABA, les plus défavorisées. Les analyses se tournent alors vers l’encadrement du phénomène dans les tendances à l’échelle globale. En juin, Javier Ortega Smith, co-fondateur du parti espagnol Vox, s’était rendu à Buenos Aires pour participer dans une conférence avec Victoria Villaurel, deuxième de la liste portée par Milei et présidente d’un cabinet d’avocats qui défend les militaires condamnés pour crimes contre l’humanité pendant la dernière dictature militaire. 
  • Troisième signal faible : Juntos por el Cambio démontre sa vitalité. Avec le départ de la scène médiatique de l’ancien président Mauricio Macri, la principale coalition d’opposition a fait preuve de dynamisme dans ses querelles de leadership grâce aux primaires, en empruntant, d’après les mots de Pablo Touzon et de Fererico Zapata, la maxime des péronistes : « il semble que nous nous battions, mais en réalité nous nous reproduisons »3.
  • À la différence de la coalition au pouvoir, qui a préféré montrer une unité monolithique contrastant avec sa réalité balkanisée, dans les provinces de Buenos Aires, de Santa Fe et de Córdoba, aussi bien que dans la CABA, plusieurs listes ont été présentées. Le maire de la CABA, Horacio Rodríguez Larreta (HRL), semble être le grand vainqueur de ces primaires, se positionnant comme le candidat naturel à l’élection présidentielle de 2023. De tradition péroniste, modéré et proclamant un discours anti-grieta, il a déjà fait preuve de sa capacité politique en 2019, en intégrant un grand nombre de dissidents à sa coalition pour être réélu au premier tour, une première dans la capitale. Cette fois-ci, un léger repositionnement vers la droite se profile : si le phénomène Milei constitue maintenant un danger, Juntos por el Cambio a déjà démontré sa capacité d’absorber ses expressions les plus libérales et/ou conservatrices.
  • D’ici novembre, une relance économique hétérogène. Avec la progression du rythme de vaccination (42,31 % de la population a reçu deux doses et 63,15 % une seule) et la fermeture quasi-complète des frontières pour retarder le plus possible l’arrivée du variant Delta (une stratégie qui a réussi), le tsunami pandémique semble s’éloigner. Or la relance économique présente des signes, pour l’instant, divergents. Alors que l’industrie intensive en capital a déjà atteint des niveaux plus élevés qu’avant la pandémie, le chômage et les bas salaires persistent, face à une inflation structurelle encore poussée par l’émission monétaire. Pour booster la consommation privée qui représente aux alentours de 70 % du PIB du pays, et qui est donc essentielle pour l’ensemble des variables macroéconomiques, plusieurs mesures seront mises en place après cette défaite inattendue : augmentation des retraites et du salaire minimum ; rétablissement du Ingreso Familiar de Emergencia (IFE, Revenu familial d’urgence), ce transfert monétaire qui, pendant la pandémie, était destiné à contribuer à l’équivalent des besoins alimentaires d’un ménage traditionnel ; et augmentation du minimum non imposable de l’impôt sur le revenu.
Sources
  1. Santiago Cafiero a toutefois été nommé ministre des Affaires étrangères, à la place de Felipe Sola, qui se trouvait au Mexique lorsqu’on lui a transmis la nouvelle, notamment en campagne pour assurer la présidence pro tempore de l’Argentine de la Communauté d’États latino-américains et caraïbes (Celac).
  2. Ancien chef de cabinet sous le dernier gouvernement de Cristina Fernández Kirchner et candidat kirchnériste à l’élection de 2015 pour gouverneur de la Province de Buenos Aires, dans laquelle il est battu par María Eugenia Vidal, de Juntos por el Cambio.
  3. Touzon, P. et F. Zapata, Un país sin fortalezas, Panamá Revista, 14 septembre 2021.