1 – L’influence française sur la scène internationale n’est pas reconnue

Seules 7 % des personnes interrogées parmi les 11 pays couverts par le sondage considèrent que la France est le pays le plus influent en Europe. Par comparaison, l’Allemagne est perçue comme le pays le plus influent du continent par 60 % des sondés, tandis que 19 % placent le Royaume-Uni à la première place. Ces résultats révèlent le décalage entre la rhétorique ambitieuse du gouvernement Macron au niveau européen symbolisée par le discours de la Sorbonne, et la perception de ses partenaires. Les initiatives et décisions européennes récentes qui sont le fruit du leadership diplomatique et politique français, tels que l’accord pour le plan de relance 2020 ou les discussions sur la taxe GAFA, ne se traduisent pas non plus dans les opinions publiques. 

Les voisins méridionaux de la France sont particulièrement critiques, puisque seuls 1 % des Italiens et 2 % des Espagnols considèrent que la France est le pays européen le plus influent, alors qu’ils sont respectivement 79 % et 81 % à choisir l’Allemagne. Incapacité de Paris à faire valoir son influence à l’étranger ou lecture différente des rapports de force et du poids de l’Allemagne : ces résultats mettent en lumière les difficultés françaises à valoriser son leadership aux yeux des partenaires transatlantiques.

Quel est selon vous le pays le plus influent d’Europe  ?

Ce sondage remet également en question le travail de diplomatie publique auprès des citoyens français. En effet, l’Allemagne est perçue comme le pays le plus influent en Europe par 72 % des Français – 12 points de plus que la moyenne des 11 pays – tandis que la France ne recueille que 17 % des réponses dans l’Hexagone. Un tel écart ne peut s’expliquer par des incompréhensions culturelles ou un problème de communication. De fortes différences générationnelles apparaissent néanmoins  : les Français de plus de 65 ans ne sont que 7 % à considérer la France comme le pays le plus influent, contre 36 % des 18-24 ans. Les Français les plus âgés– qui sont également ceux qui considèrent avoir la meilleure connaissance de la politique étrangère de leur pays – sont donc particulièrement sceptiques vis-à-vis de l’influence française et survalorisent le rôle de Berlin. 

2 – La Chine a gagné en influence durant la crise du Covid – et cette influence est durable

La compétition stratégique entre les États-Unis et la Chine est omniprésente dans les débats politiques et la couverture médiatique des enjeux internationaux. Pour autant, cette bipolarité ne se reflète pas encore dans les perceptions du public. Comme en 2020, les États-Unis demeurent la puissance la plus influente aux yeux du public (62 %) tandis que la Chine consolide sa place comme deuxième puissance mondiale (20 %) devant l’Union européenne (14 %).

Quels sont les acteurs les plus influents dans les affaires internationales  ?

Si le monde n’est pas bipolaire, les évolutions perçues en 2020 sont confirmées en 2021  : l’influence que la Chine avait gagnée dans les opinions publiques depuis le début de la crise du Covid, au détriment des États-Unis, s’avère durable. La pandémie semble avoir joué un rôle de catalyseur en rendant le rôle de la Chine dans les affaires internationales – qu’il s’agisse des chaînes d’approvisionnement, de la santé mondiale ou des infrastructures – plus palpable, tout en renforçant celle-ci grâce à une «  diplomatie sanitaire  » chinoise très active. 

La France est, après l’Italie, le pays où la part de la population qui considère la Chine comme l’acteur le plus influent dans le monde est la plus importante. À l’inverse, l’influence de l’Union est reléguée loin derrière celle de Pékin aux yeux de Français, alors qu’elle était perçue comme la seconde puissance après les États-Unis en janvier 2020. Les conséquences de la pandémie sont multiples, mais il semble aujourd’hui que si l’origine du Covid a eu un impact négatif sur l’image de la Chine, la crise mondiale a renforcé l’idée d’une Chine puissante et influente, au détriment de l’Europe.

3 – La solidité du partenariat franco-allemand est confirmée par les opinions publiques

Les résultats des Transatlantic Trends 2021 révèlent un niveau de confiance très élevé entre la France et l’Allemagne, ainsi qu’une convergence des priorités de leurs opinions publiques dans plusieurs domaines stratégiques. Ils constituent des éléments positifs sur lesquels Paris et Berlin pourront s’appuyer pour renforcer la coopération bilatérale dans les années à venir. 

Malgré des désaccords politiques largement couverts par la presse des deux pays, la relation franco-allemande se caractérise par un très haut niveau de confiance mutuelle  : près de deux tiers des Allemands (76 %) considèrent la France comme un partenaire fiable, et plus que quatre Français sur cinq (84 %) perçoivent l’Allemagne comme fiable. Le niveau de confiance mutuelle entre les deux pays figure ainsi parmi les plus élevés dans cette étude transatlantique. La perception des populations semble ainsi dépasser les différends au niveau des politiques économiques et européennes, et offre une certaine stabilité au partenariat. Néanmoins, le niveau de confiance moins élevé chez les jeunes de la Génération Z (18 et 24 ans) montre le besoin constant d’investir dans la relation bilatérale des deux côtés du Rhin.

En outre, la coopération franco-allemande s’illustre par les points de convergence importants entre les priorités stratégiques des opinions publiques, notamment vis-à-vis de la Chine. En France comme en Allemagne, les personnes interrogées ont une perception plutôt négative de l’influence de la Chine dans les affaires internationales (respectivement 59 % et 67 %), et demandent plus de fermeté à l’égard de Pékin en matière de droits de l’Homme (67 % et 69 %), de cybersécurité (62 % et 63 %), de climat (65 % et 63 %), et d’expansion territoriale (50 % et 46 %).  

4 – La relation franco-britannique souffre d’un manque de confiance mutuel

À l’inverse de la relation franco-allemande, les opinions publiques mettent en lumière la crise de confiance traversée par la relation franco-britannique. La fiabilité des deux alliés est remise en question par leur population, ce qui ne manquera pas de susciter des inquiétudes à Paris comme à Londres  : à peine la moitié des Britanniques considère la France comme un partenaire fiable (52 %), tandis que la confiance des Français envers le Royaume-Uni est encore plus basse (47 %). 

Cette méfiance mutuelle, résultat direct des tensions suscitées par les négociations du Brexit dans les deux pays et la politisation de la relation durant cette période, ne remet évidemment pas en cause les fondamentaux du partenariat stratégique franco-britannique. La relation bilatérale, qui a connu bien d’autres intempéries, bénéficie par ailleurs d’une convergence de leurs opinions publiques dans de nombreux domaines  : la politique vis-à-vis de la Chine, le réchauffement climatique, ou encore la lutte contre le terrorisme. Cette méfiance, néanmoins, risque d’alimenter un climat politique peu propice aux initiatives communes et au renforcement de la coopération. Etant donné le rôle joué par les Britanniques et les Français dans le domaine de la défense et des affaires stratégiques au niveau européen, on ne peut que le regretter.

Quel pays est le partenaire le plus fiable pour votre pays  ?

5 – La crise de confiance avec la Turquie affecte tous les pays européens

La relation bilatérale franco-turque connaît une période de crise profonde. Les intérêts stratégiques des deux pays s’opposent dans de nombreuses régions du pourtour méditerranéen et en Afrique notamment, et les dirigeants ont largement exposé leurs différends. Pourtant, si la France apparaît souvent comme une cible privilégiée dans le discours des officiels turcs, l’étude des opinions publiques transatlantiques révèle une crise qui affecte l’ensemble des partenaires de la Turquie.

En moyenne, seules 23 % des personnes interrogées des deux côtés de l’Atlantique considèrent la Turquie comme un partenaire fiable. C’est de loin le résultat le plus faible parmi les pays considérés, et les résultats sont encore plus mauvais au sein de l’Union  : 15 % des Français, des Néerlandais et des Allemands, et 16 % des Italiens perçoivent la Turquie comme fiable. Même parmi les pays plus positifs, tels que les États-Unis (36 % des Américains voient la Turquie comme fiable), le Canada (33 %) ou le Royaume-Uni (31 %), la Turquie reste dans une classe à part. Cette perception est par ailleurs mutuelle, puisque la population turque considère les partenaires transatlantiques comme peu fiables  : les États-Unis, la France et le Royaume-Uni en particulier sont perçus avec grande méfiance.

Cette crise de confiance, particulièrement visible chez les sondés de plus de 55 ans, touche l’ensemble des populations quel que soit le niveau d’étude ou de richesse. À la fois cause et conséquence de l’action politique, la perception de l’opinion publique ne laisse pas apparaître une amélioration dans la coopération avec la Turquie, et pourrait nourrir de nouvelles tensions au sein de l’OTAN.

6 – La perception de la menace terroriste sépare la France de ses partenaires au sein de l’Union 

30 % des Français considèrent que le terrorisme et l’extrémisme constituent la plus importante menace pour la sécurité de leur pays dans les années à venir. Cet enjeu arrive en tête des priorités françaises dans le domaine de la sécurité, devant les pandémies (23 %) ou le changement climatique (18 %). Les résultats révèlent une évaluation très différente des menaces parmi nos partenaires et voisins européens  : seuls 6 % des Polonais, 7 % des Espagnols, 9 % des Italiens, 12 % des Allemands ou 14 % des Néerlandais placent le terrorisme en tête de leurs préoccupations pour les années futures. À l’inverse, les pandémies et le changement climatique sont systématiquement considérés comme les priorités pour leur sécurité nationale. 

Ces écarts s’expliquent évidemment par des expériences nationales différentes de la menace terroriste et de l’extrémisme dans le passé récent. Ils illustrent également une singularité française quant à la perception des menaces futures  : tandis que le Covid et les implications du réchauffement climatique ont relégué les autres menaces dans les autres pays de l’Union interrogés, le terrorisme est toujours perçu par près d’un tiers des Français comme le fait marquant des années à venir.

Dans l’ensemble des pays interrogés, les sondés entre 18 et 24 ans sont plus sensibles aux menaces climatique et pandémique que leurs aînés de plus de 65 ans. Si cet écart générationnel apparaît également en France, le terrorisme et l’extrémisme sont néanmoins perçus comme la priorité la plus importante après le réchauffement climatique par une part importantes des jeunes Français. Ainsi, 25 % des 18-24 ans l’ont placé en tête des menaces, contre seulement 5 % des jeunes Allemands et 8 % des jeunes Néerlandais. Ce décalage dans les priorités guidant la politique de défense et internationale risque donc bien de perdurer dans le temps, et d’affecter la coopération européenne sur le long terme.

7 – Les Français souhaitent diminuer la présence militaire française au Moyen-Orient

Les populations interrogées des deux côtés de l’Atlantique font preuve d’un scepticisme évident à l’encontre de nouvelles interventions militaires, et rejettent massivement l’idée d’une augmentation de leur présence au Moyen-Orient. Avec 41 % des Français en faveur d’une diminution de la présence militaire de leur pays, la France apparaît comme le pays le plus critique vis-à-vis des interventions militaires dans la région. Cette opinion est généralement justifiée par une opposition de principe aux interventions militaires mais, dans le cas de la France, elle s’explique également par le fait que ces actions sont considérées comme trop onéreuses.

L’engagement de votre pays au Moyen-Orient

Les jeunes sondés français sont les moins critiques  : tandis que 53 % des 65 ans et plus souhaitent voir une diminution de la présence française, 19 % des 18-24 ans partagent la même opinion. Cette différence générationnelle est notable dans la plupart des pays couverts par le sondage, et peut paraître contre-intuitive. Elle reflète néanmoins des visions différentes des responsabilités internationales et de l’usage de l’instrument militaire selon l’âge des sondés. À l’inverse, le niveau d’éducation ou de richesse ne semble pas affecter fondamentalement les réponses sur cette question.

8 – Le débat économique français est centré sur les relocalisations industrielles

Les attentes des Français dans le domaine économique se distinguent des autres pays transatlantiques  : alors que la réduction de la pauvreté et du chômage est la priorité de la plupart des pays interrogés, l’opinion publique française place la relocalisation et la sauvegarde du tissu industriel national comme l’objectif principal de la politique économique du pays. Les différentes options se recoupent largement, puisque la lutte contre les délocalisations est évidemment liée à la lutte contre le chômage, mais elles reflètent des perspectives différentes sur la manière d’améliorer la situation économique et sociale nationale.

À cela s’ajoute une méfiance plus importante de l’opinion française vis-à-vis des effets du commerce sur l’économie du pays. Alors que 80 % des Suédois, 77 % des Néerlandais, 72 % des Allemands et 69 % des Espagnols considèrent que le commerce a un effet plutôt voire très positif sur leur économie nationale, seuls 54 % des Français partagent cette opinion. Ces différents résultats tendent à confirmer l’idée d’une population française plus méfiante que celles des partenaires européens et transatlantiques quant aux effets du libre-échange. 

Ces résultats révèlent par ailleurs une différence générationnelle importante. Alors que les Français de plus de 65 ans ont trois fois plus de chance que les 18-24 ans de placer les relocalisations industrielles en tête des priorités économiques (33 % contre 11 %), la réduction de la pauvreté est la priorité de plus d’un quart des jeunes Français (27 %). De même, 62 % des 18-24 ans ont une opinion positive des effets du commerce sur l’économie nationale, contre 50 % des 65 ans et plus. La France est donc relativement plus protectionniste que ses partenaires, mais les dynamiques démographiques pourraient faire évoluer les priorités économiques.

Quelles priorités en matière économique  ?

9 – Les Français ont toujours une position singulière au sein de l’Alliance atlantique

La France est, parmi les pays couverts par le sondage, le partenaire le moins convaincu de l’importance de l’OTAN pour sa sécurité. Si une majorité de Français (52 %) considère l’OTAN comme importante – une opinion stable par rapport à 2020 – elle reste loin derrière les résultats des autres alliés européens. Les explications politiques, géographiques et militaires sont nombreuses et connues, et la différence de plus de 30 points avec la Pologne ne surprendra personne. Il faut néanmoins bien internaliser que, dans ce domaine, c’est la France qui se distingue de ses voisins et, étant donné le rôle particulier de Paris dans les discussions sur l’autonomie stratégique européenne, cette spécificité française ne doit pas se traduire en isolement. 

Alors que plus de deux tiers des Allemands, Néerlandais et Italiens perçoivent l’OTAN comme importante ou très importante pour leur sécurité, la France doit continuer son effort pour articuler l’Alliance transatlantique et la coopération européenne de défense de manière cohérente. Il est donc nécessaire de comprendre que l’idée même de souveraineté européenne ne trouvera aucun écho chez la plupart des alliés si elle s’accompagne d’une remise en cause de l’OTAN.

À quel point l’OTAN est importante pour la sécurité de votre pays  ?

Les Français sont également parmi les plus sceptiques quant à l’implication des Etats-Unis dans la sécurité de l’Europe. Il faut néanmoins noter qu’un «  effet Biden  » apparaît ici, avec une augmentation de 10 points par rapport à 2020 aussi bien en France qu’en Allemagne1.

C’est donc en continuant de prôner la complémentarité entre l’autonomie stratégique européenne et le partenariat transatlantique que la France pourra jouer un rôle clé dans la définition de l’avenir de la défense européenne.

10 – La population attend plus de fermeté vis-à-vis de la Chine

Les Français sont très largement en faveur d’un durcissement de la politique nationale envers la Chine – et ce sur tous les sujets. La position des personnes interrogées en France est en effet systématiquement plus intransigeante que la moyenne des pays couverts par le sondage.

C’est tout particulièrement au sujet des droits de l’Homme (67 %), du climat (65 %), de la cybersécurité (62 %) et du commerce (56 %) qu’une majorité importante de Français soutient un durcissement de la politique actuelle du gouvernement envers la Chine. Cette approche est particulièrement claire parmi les sondés de plus de 55 ans, révélant à nouveau un écart générationnel important.

Les résultats mettent également en lumière des convergences entre certains partenaires, pouvant guider l’action politique et la coopération dans ce domaine. L’Allemagne et la Suède émergent en effet, aux côtés de la France, comme les pays où les populations souhaitent le plus voir leur gouvernement prendre des mesures plus strictes vis-à-vis de la Chine. Un soutien de près des deux tiers de la population peut ainsi se traduire en leadership politique, à l’échelle européenne, pour ces trois pays. Il s’agira dès lors d’établir des priorités entre les différents enjeux de la relation avec la Chine, et de prendre en compte les réticences de certains partenaires dont l’opinion publique est plus partagée.

Sources
  1. Pour rappel, l’étude Transatlantic Trends a été menée deux mois avant la chute de Kaboul et le départ du dernier soldat américain d’Afghanistan.