• Le mois dernier, un article du Washington Post révélait que la Chine avait débuté la construction d’un site d’une centaine de silos à missiles, capables d’héberger des missiles balistiques intercontinentaux équipés d’ogives nucléaires1. Situé près de la ville de Yumen, proche de la frontière avec la Mongolie, le site avait été repéré par des chercheurs du James Martin Center for Nonproliferation Studies.
  • Un second site de silos à missiles en construction a été révélé hier dans un rapport de la Federation of American Scientist se basant sur des images satellites commerciales2. D’une taille similaire au premier (environ 110 silos), ce second site est situé à quelques centaines de kilomètres du premier, au sud-ouest de la ville de Hami. Les deux sites sont hors de portée de missiles de croisières conventionnels lancés à partir des mers et océans bordant l’Asie.
  • Beaucoup d’inconnues demeurent toutefois à ce stade. Rien ne confirme pour le moment que les plus de 200 silos en tout seront bel et bien construits, et que des missiles équipés d’ogives nucléaires y seront déployés. Comme l’expliquent William J. Broad et David E. Sanger dans un article du New York Times, « il pourrait s’agir simplement d’un stratagème créatif, bien que coûteux, utilisé comme levier de négociation »3.
  • Cette découverte suppose cependant un changement dans la stratégie de dissuasion nucléaire chinoise. Aisément repérables (si l’on sait où regarder), ces deux sites n’ont pas été particulièrement camouflés par les autorités chinoises — si ce n’est par des dômes gonflables qui recouvrent les silos en construction, fréquemment utilisés par les ingénieurs chinois pour ce type de sites sensibles.
  • On peut dès lors supposer qu’à défaut de chercher nécessairement à rejoindre le niveau de dissuasion nucléaire des États-Unis ou de la Russie, la Chine semble déterminée à montrer qu’elle est un pays puissant dans ce domaine. Après un pic à plus de 70 000 ogives nucléaires détenues dans le monde (dans une écrasante proportion par les deux plus grandes puissances de l’époque), il n’y en aurait en 2021 plus que 13 100 en circulation, selon des estimations de la FAS4.
  • De ce chiffre qui demeure très important, il faut déduire les ogives nucléaires en attente de démantèlement, ainsi que celles non déployées. Si la Chine compte bel et bien construire ces silos et y déployer des missiles à têtes nucléaires, elle deviendrait la troisième puissance nucléaire, reléguant la France à la quatrième position. Il apparaît qu’au-delà d’une course à l’armement caractéristique de la guerre froide, la Chine entend se montrer comme un acteur crédible sur tous les plans stratégiques : économique, technologique, et militaire.
  • Il convient d’appréhender cette information comme une partie constituante d’un ensemble plus large de montée en puissance militaire de la Chine. Après la mise en service de deux porte-avions en 2012 et en 2019, un troisième est en construction dans le chantier naval de Jiangnan, à Shanghai. Ces outils de projection de force qui viennent compléter la formidable montée en puissance de la marine chinoise ont vocation à permettre à Pékin de sanctuariser la mer de Chine méridionale, et de servir éventuellement à remplir des missions stratégiques.
Sources
  1. Joby Warrick, « China is building more than 100 new missile silos in its western desert, analysts say », The Washington Post, 30 juin 2021.
  2. Matt Korda et Hans Kristensen, China Is Building A Second Nuclear Missile Silo Field, Federation Of American Scientists, 26 juillet 2021.
  3. William J. Broad et David E.Sanger, « A 2nd New Nuclear Missile Base for China, and Many Questions About Strategy« , The New York Times, 26 juillet 2021.
  4. Hans M. Kristensen et Matt Korda, Status of World Nuclear Forces, Federation of American Scientists, mai 2021.