Alberto Pimenta, Ilhíada (Îl-iade), Lisbonne, Edições do Saguão, mars 2021
Les voix sont unanimes pour voir dans l’Iliade l’éclat de la grande fureur narrative épique d’une culture de héros et de super-héros, jaloux de leur dignité d’homme au milieu d’une nature qui accueille les dieux. Elles seront unanimes pour voir Ilhíada (Îl-iade) comme l’exploration d’un autre rythme (mais avec des « miettes de la table d’Homère ») pour la culture actuelle, faite d’aspiration au profit et au pouvoir et de dieux qui se disputent entre eux, dans une nature épuisée, exploitée à outrance.
Poète, narrateur, essayiste, traducteur, interprète et professeur d’université, Alberto Pimenta (1937) est une figure controversée et emblématique de l’avant-garde portugaise, alliant expérimentalisme technique et intervention politique et sociale transgressive. Pendant le régime de Salazar, il a vécu près de deux décennies hors de son pays, travaillant comme lecteur de portugais à Heidelberg. Il est revenu d’exil après la révolution de 1974, se consacrant à une carrière littéraire qui englobe l’écriture, la réalisation, la performance, la réflexion théorique et la critique sociale. Auteur anti conformiste, porté à l’expérimentation moderniste et au mélange des genres, il théorise et pratique la « déviation de la norme » comme un jalon fondamental de l’innovation artistique et politique.
Il est resté célèbre son happening au zoo de Lisbonne en 1977 : enfermé dans une cage, dans la section des singes, l’artiste affiche une pancarte avec l’étiquette “Homo sapiens”. Sa production la plus récente est centrée sur l’exposition des contradictions de la mondialisation, de la numérisation et du capitalisme tardif.
« Ainsi étaient les enfants des îles avec qui
ma parole a été créée, où j’ai parlé et, sans cesser de recréer,
j’ai parlé de tout ce qui en elles égratigne et se crée ; elles
sont au début
et elles seront à la fin, parce que tout est comme ça, c’est
rond comme
l’univers, tous trous qui semblent vides, tout comme
derrière la porte des îles, vous imaginez des escaliers qui montent
et qui descendent, des trous vides pour vivre, juste un passage,
et pas cette chienne maigre de vie insulaire, d’un partir sans
retour,
une vie qui à un moment donné n’avait plus de valeur […] »
J. Á. González Sainz, La vida pequeña. El arte de la fuga (La Petite vie. L’art de la fugue), Madrid, Anagrama, mai 2021
« Un journal de bord pour affronter la vie d’une manière nouvelle. Une réponse à la pandémie par l’écriture.
Après un cataclysme aux dimensions colossales provoqué par une chose minuscule qui infecte tout, une voix réfléchit, imagine, se souvient ou récite, ou prie. Elle perçoit que, sous la crise mondiale déclenchée par la pandémie, se cache une autre maladie épidémique, plus locale mais de dimensions analogues, ou peut-être même plus grave : celle de nos modes de vie, celle de notre rapport au réel et aux mots. La voix, pur exercice de la raison, égrène les thèmes et les variations d’une mélodie morale tantôt modulée narrativement, tantôt sous forme de monologue théâtral ou d’enquête poétique ou philosophique, et où tous les registres, du plus sérieux au plus humoristique, sont tissés dans une sorte d’art de l’évasion conceptuelle et musicale à la fois.
Sous le titre générique de La vida pequeña, J. Á. González Sainz entreprend une sorte de journal intime, un carnet de bord, composé de courts textes intimes à la recherche d’une nouvelle façon de regarder et de vivre. Un travail d’orfèvre, distillé avec une fine oreille de la langue, fait de pensées tranquilles ou d’imaginations et de souvenirs sauvages, à la recherche d’une nouvelle façon d’affronter la vie et la réalité : « fuir vers le réel », lit-on, « dégager la fantasmagorie et la philia sans fin du brouhaha de nos jours pour glisser vers la légèreté du siège du réel. »
« La vida pequeña capte l’individualité irremplaçable de chaque destin singulier, mais en le plaçant dans le chœur de l’humanité qui l’entoure et dont il fait partie, indissociable, comme la branche fait partie de l’arbre » (Claudio Magris). »
Ubah Cristina Ali Farah, Le stazione della luna, Rome, 66th and 2nd, juin 2021
« Orpheline de mère, Ebla a grandi dans l’arrière-pays somalien. Son vieux père, astronome et devin traditionnel, lui enseigne l’art, interdit aux femmes, de lire les étoiles, les planètes et les signes du ciel. Pour échapper à un mariage arrangé, elle se retrouve dans le Mogadiscio des années 1930, avec l’aide du poète et camionneur Gacaliye. Ensemble, ils ont créé une petite entreprise rentable et ont deux enfants, Kaahiye et Sagal. L’histoire d’Ebla se mêle à celle de Clara, sa fille, née de parents italiens vivant à Mogadiscio. Contrainte, alors qu’elle n’était qu’une adolescente, de quitter le pays avec sa mère et son frère Enrico à bord d’un des fameux « bateaux blancs », Clara ne reviendra dans sa ville natale qu’au début des années 50, en tant que jeune enseignante, au début de la tutelle italienne. À travers sa relation étroite avec Ebla, ses fils Kaahiye et Sagal, et son amie Mirella, Clara se retrouvera personnellement impliquée dans les luttes pour l’indépendance du pays dans une période historique tourmentée, lorsque l’Italie retournera en Somalie avec la tâche de l’accompagner dans le processus d’’indépendance. »
Joseph Andras, Ainsi nous leur faisons la guerre, Paris, Actes Sud, avril 2021
« En 1903, dans une université londonienne, un professeur pratique une expérience sur un chien en vie. Révélée par deux jeunes femmes, l’affaire divisera bientôt toute la Grande-Bretagne. En 1985, sur un campus californien, un bébé singe est rendu aveugle dans le cadre de recherches sur les sonars. Une opération de sauvetage est organisée par le Front de libération des animaux. En 2014, à Charleville-Mézières, une vache et son veau tombent accidentellement d’une bétaillère sur une trois-voies, entraînant une traque policière dans toute la ville.
Dans cette fresque en trois panneaux d’un siècle où s’entrecroisent les causes animale, sociale et féministe, l’évocation des rapports entre bêtes et humains à l’ère industrielle révèle la nature de nos relations ordinaires avec le reste du vivant. »
Joseph Andras, Au loin le ciel du sud, Paris, Actes Sud, avril 2021
« Au sortir de la Première Guerre mondiale, le jeune homme qui n’avait pas trente ans et qui ne s’appelait pas encore Hô Chi Minh vécut quelques années à Paris. En suivant ses traces, de document d’archive en rapport de police, Joseph Andras approche celui qui affûtait les armes idéologiques de la révolution qu’il allait mener en « Indochine » avant d’être pris par les logiques propres au pouvoir.
Remontant le temps au fil des rues, l’auteur croise d’autres histoires, d’autres injustices, d’autres colères – les trottoirs des attentats de novembre 2015, les ombres du métro Charonne, le souvenir de barricades communardes et de celles, à peine démontées, des Gilets jaunes… Sa marche devient alors méditation sur la grandeur des modestes et sur le caractère indépassable de la révolte. »
Anton Beraber, Signes d’un fléchissement à la troisième semaine du Jeûne, Gallimard, avril 2021
« J’expliquai que les religions toutes également me battaient froid. Me fondant sur des baromètres trompeurs j’avais imaginé pour ma fille un monde débarrassé de ces excentricités-là comme on parvint de le faire pour le géocentrisme ou la variole. L’autre passager retint mal son sourire : au contraire, murmura-t-il, on voyait sans peine à quel haut degré de fascination me jetaient les choses de la foi et l’énigme de croire. Je ne trouvai à répondre qu’en sortant de l’aéroport, dans la congestion générale de la porte de l’Est où les taxis au point mort font tourner le compteur avec une pointe de Bic : les religions, aurais-je dû protester, ne suscitaient mon intérêt que dans leurs dysfonctionnements.
Ce carnet restitue sur le mode de la diffraction une vision fantasmée de la Ville immense. En choisissant ce moment particulier où la fatigue du jeûne en révèle les points d’usure, l’auteur porte aussi un regard ironique et tendre sur les ratés de la rencontre entre le dogme religieux et la nature humaine. »
Un compte-rendu de cet ouvrage est à paraître sur le Grand Continent.
Petr Stančík, Pravomil, Druhé Město, 2021
« Le nouveau roman de Petr Stančík s’inspire de l’histoire vraie d’un héros de guerre qui a connu plus de prisons que d’amour, a toujours mis une majuscule au mot Patrie et est revenu d’Amérique à la fin de sa vie pour punir un crime ancien, là où la justice séculaire avait honteusement échoué. Pravomil revit de première main l’histoire tortueuse du XXe siècle, des alambics de la Première République tchécoslovaque aux interrogatoires de la Gestapo en passant par l’enfer glacial du goulag soviétique, les batailles sanglantes sur les crêtes des Carpates et les conspirations contre la dictature communiste, jusqu’à l’extraction de l’uranium pour produire les bombes de Staline. Finalement, il se rendra compte que faire justice lui-même signifie perdre son cœur. Pravomil est une chronique poétique et obsédante du XXe siècle, traversée par les thèmes du crime et du châtiment, de la justice et de l’injustice, et plus généralement du sens de la vie. »
Edina Szvoren, Phrases sur l’étonnement, Magvető, 2021
Personne ne s’étonne dans les nouvelles d’Edina Szvoren, mais les écrits déconcertent le lecteur. Le livre se divise en deux parties : les notes d’Ohrwurm qui évoquent les formes les plus brèves des nouvelles, et sept écrits plus longs. Combien de choses peuvent provoquer la panique d’un cheval ? Pourquoi les aveugles prennent-ils le téléphérique ? Quelles sont les conséquences du déménagement vers un appartement plus bas de plafond ? Les nouvelles montrent l’effet qu’un lecteur vidéo apporté de l’autre côté du Rideau de fer peut produire sur la vie d’une famille, elles indiquent ce qu’il faut faire lorsqu’une mère est trop agacée par les cheveux de son fils, ou encore à quoi peuvent servir les beaux volumes de grand format de la Chronique médiévale du monde. Les histoires époustouflantes d’Edina Szvoren surprennent le lecteur comme un feu d’artifice sombre.
« Quelqu’un, qui s’appelle d’ailleurs Malcsik, a vu des aveugles sur le téléphérique. Il a raconté à tout le monde que c’était un couple, un homme et une femme, des trentenaires. C’est vrai, pas facile à savoir l’âge des aveugles. Leur corps les fait plus jeune mais leur style fait plutôt vieillot. Ils sont compliqués. Ils utilisent des parfums forts, étonnamment forts, et Malcsik pense comprendre pourquoi. »
Rihards Bargais, Nemodernās Slampes meitenes (Les Filles ringardes de Slampe), Riga, Aminori, 2021
Sans fiction ni intrigue ni dénouement, ce troisième texte en prose du poète Rihards Bargais est-il vraiment, comme il nous l’assure, un roman ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un « carnet » ou d’un « journal » masqué, d’une mosaïque de textes autobiographiques – anecdotes hétéroclites foisonnantes, déboires quotidiens montés en épingle, réflexions théologiques ou philosophiques décoiffantes, divagations diverses, parfois des sortes de contes ou de microfictions ?
Le matériau de ce gros roman qui, au premier abord, semble ne pas en être un, c’est la vie de Bargais, et ce qu’il veut bien nous en dire – un être d’exception. Né en 1969 dans les profondeurs de la campagne courlandaise à une soixantaine de kilomètres de Riga, entre Džūkste et Slampe, justement – là où vivent encore selon lui ces « filles ringardes », infiniment attendrissantes, oubliées de la modernité. Il étudie à l’institut de Pédagogie de Liepaja, puis il se convertit, et s’inscrit au séminaire orthodoxe de Riga – à un moment où le luthéranisme préempte le renouveau national postsoviétique. Homosexuel revendiqué dans un des pays les plus homophobes d’Europe, c’est un admirateur fanatique des Smiths et de Morrisey, un incorrigible mauvais sujet. Sa carrière ecclésiastique tourne court, jamais il ne deviendra pope, mais il reste fidèle au christianisme oriental – sa chaleur, sa naïveté, ses odeurs, ses images. Bargais existe dans les yeux du public, et il sait aussi bien se faire détester qu’adorer. Il raffole des rumeurs et potins, qui furent d’ailleurs le sujet d’un de ses livres (Tenkas, Satori, 2012). Il dévoile ses amours, parle très explicitement de sexe, confesse ses failles, ses ridicules, et surtout sa peur, sachant que le destin de tout gayest de se faire casser la gueule. Il vivote, enchaîne divers boulots éphémères : aide-soignant, maquettiste, animateur télé. Il connaît de près la vraie dèche – a dormi longtemps n’importe où, au gré de ses dérives éthyliques, de ses amants d’un soir. Il habite aujourd’hui à la lisière des bois dans la lointaine banlieue de Riga, où des malotrus viennent parfois lui voler ses serviettes de bain sur le fil à linge.
Un roman ? Au fond, c’est assez juste : car au-delà de la ruse ou de la provocation qui font aussi partie de la palette de Bargais, le récit est porté par un élan qui enjambe les fragments, pousse la lecture vers l’avant, une énergie proprement « romanesque ». Il est tenu par une voix inimitable, habitée d’une formidable jubilation narrative, d’une gourmandise à raconter – à faire roman de tout bois. Au fond, ces filles ringardes de Slampe s’inscrivent à leur façon dans la filiation de Jacques et de son Maître puis du roman d’éducation : qu’est-ce que devenir homme et écrivain dans ces marges de l’Europe quand on a précocement conscience de son irréductible marginalité ? Si, sur une carte, « Slampe » est en effet une marge de la marge – une « hyper-marge » –, « slampa » (nom commun féminin), se traduit selon le contexte par « putain », « salope » ou encore « sagouin », « propre à rien », « vagabond ». Ironie, jeux sur les mots, démultiplication des effets sémantiques et comiques.
« En eux [les marginaux, les perdants de la vie], je vois un truc spécial. Les personnages principaux du livre n’ont jamais été au centre. Ou s’ils l’ont été, ça n’a duré qu’un instant, ils ont brillé, ils sont tombés, et aujourd’hui, leur situation est assez misérable. Dans la vie, on fait comme on peut. Mais moi, c’est sur eux que je dois écrire, pour la bonne raison que je suis des leurs ».
Le « je » de Bargais est compact, souverain, incorruptible, et l’on pensera immanquablement aux grands textes autobiographiques d’Adamov ou de Gombrowicz, car sous ses allures foutraques ou débraillées, Les filles ringardes de Slampe de Rihards Bargais est un des livres les plus sérieux et exigeants de la littérature lettone d’aujourd’hui – incontestablement le plus le plus libre.
Leonardo Sciascia, Portrait sur mesure, traduit et présenté par Frédéric Lefebvre, Paris, Nous, 2021
« Tous mes livres, en effet, en font un seul. Un livre sur la Sicile qui touche les points sensibles du passé et du présent, et qui vient s’articuler comme l’histoire d’une continuelle défaite de la raison, et de ceux qui furent personnellement emportés et anéantis dans cette défaite ». (Le parrocchie di Regalpetra, préface écrite en 1966.)
À l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Leonardo Sciascia (1921-1989), les éditions Nous nous proposent un choix d’essais inédits en français écrits dans les années 1960.Écrivain engagé, né en Sicile en 1921 et ayant vécu la majeure partie de sa vie à Racalmuto (Agrigente), Sciascia ne cessera pas, tout au long de son existence, de consacrer son œuvre à sa Sicile natale, île mythique et singulière, située aux confins de l’Europe : « Le mythe de la Sicile perdue : perle et honneur de la mer, bijou sur le visage de l’eau, beauté brûlante, berceau d’une civilisation ». Mais ses textes sont surtout une exploration lucide et sans compromis d’une réalité sociale et politique, celle sicilienne, en souffrance, qui traduit, dans un jeu de miroirs, l’Italie tout entière.
Sciascia publie son premier livre en 1950, un court recueil de fables politiques. Les livres importants, qui le feront connaître, s’en suivent : les romans, les essais et les chroniques. Dès les années 1960, ses ouvrages sont traduits et appréciés en France. Dans Le jour de la chouette (Einaudi, 1961), fait son apparition, pour la première fois, le terme « mafia », alors que l’existence même du phénomène est débattue et contestée en Italie. Installé à Palerme (1967), à partir de 1969 il écrira régulièrement dans le Corriere della Sera. Instituteur, il prendra sa retraite en 1970 pour se consacrer entièrement à l’écriture.
Dans ce recueil, traduit et présenté par Frédéric Lefebvre, figurent d’abord les textes autobiographiques, puis des textes sur les grands problèmes de la Sicile, autour du pouvoir, de la corruption et de la violence. Ensuite des pages sur la période médiévale de la domination arabe et normande. D’autres sur Le Guépard, roman posthume de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, sur la guerre d’Espagne ou encore sur son activité d’écrivain.
Les livres de Leonardo Sciascia sont désormais traduits en français et réunis dans une édition d’Œuvres complètes en trois volumes, chez Fayard (1999-2002), sous la direction de Mario Fusco.
Leonardo Sciascia, « Questo non è un racconto ». Scritti per il cinema e sul cinema, sous la direction de Paolo Squillacioti, Milan, Adelphi, 2021
Palerme, années 1960, les guerres de mafia font rage : dans une salle d’audience, une femme de noir vêtue pointe du doigt le chef de file du clan mafieux qui a commandité l’assassinat de son mari, et accuse également son enfant : « Eux, ils ont trahi la loi de l’honneur », déclare-t-elle, « moi non plus, je n’ai plus de comptes à rendre ».
Cette femme est Serafina Battaglia, repentie. Le texte, inédit, « n’est pas un récit », mais l’un des scénarios que Leonardo Sciascia a écrits pour le cinéma et qui n’ont pas vu le jour. C’est à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de l’écrivain (1921-1989), qu’Adelphi publie, sous la direction de Paolo Squillacioti, un recueil de textes inédits, écrits entre 1958 et 1989 pour et autour du cinéma.
Y figurent notamment, en plus des trois scénarios inédits, des réflexions de haut vol sur le rapport périlleux entre littérature et septième art, sur l’érotisme au cinéma, sur la naissance du « star system » ainsi que des magnifiques portraits d’acteurs et réalisateurs (Ivan Mozžuchin, Erich von Stroheim, Federico Fellini, Gary Cooper, René Clair, Claude Autant-Lara, Juan Antonio Bardem…).
Est-ce l’intérêt du cinéma pour l’œuvre littéraire de Sciascia (la transposition cinématographique du roman À chacun son dû, par Elio Petri, date de 1967) qui a fait renaitre chez l’écrivain une passion ancienne née à la fin des années 1920 dans le petit cinématographe de Rocalmuto (Agrigento), sa ville natale ?
Jusqu’aux années 1960, écrit Leonardo Sciascia en 1987, « j’ai vu énormément de films : souvent, deux par jour ». Sa passion pour le cinéma, notamment français et américain, a été dévorante : « Le cinéma était tout à l’époque, tout. On pouvait apercevoir les livres que l’on ne pouvait pas lire, les idées censurées, les sentiments interdits ».
Victoria Kielland, Mine Menn (Mes hommes), Oslo, No Comprendo Press, 2021
« … Comment s’ouvrir à un étranger ? Jusqu’où peut-on aller avec soi-même, comment peut-on saisir la main qui se tend ? Bella a dû cligner des yeux pour comprendre, le sourire dans le miroir, le visage actuel, le sang qui coule glacé dans les veines, – qui êtes-vous vraiment ? »
Mes Hommes est une fantaisie littéraire librement inspirée de faits réels. C’est l’histoire d’une servante, Brynhild qui, à la fin du XIXe siècle, émigra aux États-Unis et devint Bella Sørensen, puis Belle Gunness à La Porte, dans l’Indiana. Il s’agit pour elle d’aller au bout du monde, intérieur comme extérieur, des déceptions et des abîmes, de ne pas se perdre, de savoir qui doit vivre et qui doit mourir : « Celui qui aime complètement ne survivra jamais à l’amour. »
Victoria Kielland (née en 1985) a fait ses débuts en 2013 avec I lyngen, un court recueil de prose nominé pour le prix Tarjei Vesaas Debutant. Son premier roman, Dammyr, publié chez No Comprendo Press en 2016, a été très bien accueilli et nommé au prix de la jeune critique. Kielland a reçu la bourse principale du Book Shops Writer Stipend du Conseil littéraire de l’Union des écrivains.
« (…) Qui écrit comme ça ? C’est une écriture qui rappelle les antécédents modernistes, une prose proche de la poésie, touchant quelque chose de presque tactile, au moins haptique, comme si le texte lui-même vous collait aux doigts. Plus que tout, cette énorme sensibilité, oui, l’expérience esthétique, pour le dire avec une certaine bravade, fait de Mes hommes, et de la paternité de Kielland en général, quelque chose qui sort de l’ordinaire – de la meilleure façon. » (Even Teistung, Bokmagasinet, Klassekampen)