Le contexte

  • Les graves dégâts causés par la tornade qui a dévasté les maisons de nombreuses municipalités de l’est de La Havane en 2019 ont mis en évidence la capacité d’organisation de la société civile cubaine, qui contraste avec la réponse tardive des institutions étatiques. À la suite de ces événements, des manifestations de rejet public du président Miguel Díaz-Canel ont commencé à être observées dans de nombreuses municipalités de La Havane, lors de ses visites dans les zones les plus touchées par le passage de la tornade. 
  • Après l’approbation de la nouvelle Constitution de la République de Cuba en 2019, le gouvernement de l’île a approuvé le décret 349, qui oblige les artistes et ceux qui les engagent à avoir l’autorisation préalable du gouvernement de Cuba pour opérer dans des espaces publics, ou privés, sous peine de confiscation du matériel, ou d’imposition d’amendes ou de sanctions ; et le décret 370, qui réglemente la libre diffusion d’informations sur Internet, et qui impose des sanctions à cet égard.
  • Un groupe d’artistes indépendants (non reconnus par les institutions culturelles de l’État) a lancé une protestation contre les deux décrets, en articulant un mouvement social qui a entraîné de nombreuses arrestations à domicile et/ou en prison, des grèves de la faim et des détentions arbitraires de ceux qui ont soutenu le « Mouvement 27N », créé en novembre 2020. 
  • Les organisations internationales de défense des droits humains ont condamné ces arrestations pour violation des libertés fondamentales, et infraction à l’article 54 de la Constitution cubaine de 2019, qui garantit la liberté d’expression. 
  • L’écho des protestations, amplifié par la couverture médiatique internationale et les réseaux sociaux, a conduit quelque 300 personnes à se rassembler devant le ministère cubain de la Culture pour réclamer la liberté d’expression.
  • Fin 2019, le gouvernement cubain a créé une monnaie librement convertible (MLC), qui est liée aux comptes bancaires personnels recevant des dépôts en devises étrangères, comme le dollar américain, l’euro, la livre, entre autres. Grâce aux cartes associées à ces comptes, les Cubains peuvent acheter des produits de première nécessité et de la nourriture dans les magasins prévus à cet effet. Les files d’attente quotidiennes massives pour accéder à la nourriture ont rendu impossible l’application des mesures de restriction de la mobilité et de confinement, nécessaires pour réduire la circulation du virus.
  • En ce mois de juillet 2021, Cuba a enregistré le pic le plus élevé du taux de positivité pour le Covid-19 (supérieur à 20 %). Sur les 6422 cas confirmés à travers l’île, 3559 se trouvaient dans la province de Matanzas, l’une des principales stations touristiques du pays, et qui a vu ces derniers mois l’arrivée d’une vague de touristes étrangers après la réouverture du tourisme dans le pays.
  • La capacité des hôpitaux a été gravement affectée et a conduit le pays à un scénario épidémiologique critique, qui a suscité une mobilisation des Cubains de l’étranger exigeant l’ouverture d’un canal humanitaire pour envoyer des médicaments sur l’île.
  • Le gouvernement cubain a criminalisé ces initiatives, qualifiant les militants de mercenaires payés par les ennemis de la Révolution.

Ce que les Cubains réclament dans les rues

  • Dimanche 11 juillet, une série de protestations spontanées ont commencé à être diffusées sur les réseaux sociaux dans les municipalités de San Antonio de los Baños, dans la province d’Artemisa, et de Palma Soriano, dans le sud-est du pays.
  • La diffusion rapide de cette information par le biais des réseaux sociaux, de messageries instantanées et de Whatsapp, a généré l’expansion progressive des manifestations pour couvrir l’ensemble du pays. On estime qu’actuellement environ 7 millions de Cubains ont un accès régulier ou intermittent à internet à Cuba, soit par le biais d’une connexion 3G, soit par des points d’accès locaux à des réseaux Wi-Fi. 
  • Parmi les slogans entendus lors de ces manifestations, on trouve : « Liberté ! », « Médicaments et nourriture ! », « Nous n’avons pas peur, à bas la dictature, vive Cuba libre ! », et « Díaz-Canel lâche le pouvoir ! » Les manifestants ont exprimé, à travers de nombreuses vidéos postées sur les réseaux sociaux, que la spontanéité des manifestations est due à la lassitude, à la faim et à l’aspiration à vivre mieux. 
  • Le COVID-19 a sans aucun doute entravé l’accès du gouvernement aux devises étrangères, et rendu impossible la récupération des investissements colossaux réalisés par l’État pour augmenter la capacité hôtelière du pays. De même, l’économie informelle qui tourne autour du tourisme a été fortement touchée, laissant de nombreux Cubains sans revenus quotidiens. 

Répression et « guerre de tout le peuple« 

  • Dans l’après-midi du 11 juillet, le président cubain Miguel Díaz-Canel, s’exprimant à la télévision nationale, a appelé les révolutionnaires cubains à descendre dans la rue pour combattre les manifestations populaires. Affirmant que les rues de Cuba appartiennent aux révolutionnaires, il a incité à une confrontation entre Cubains, et à exercer la violence contre les manifestants. 
  • Des groupes spéciaux connus sous le nom de « bérets noirs » ont été appelés pour réprimer les manifestations, ce qui a causé un nombre indéterminé de blessés.
  • Par le biais des organisations politiques du pays, un appel a été lancé pour que les jeunes affiliés à la jeunesse communiste et étudiante descendent dans la rue pour contrer les protestations. 
  • De même, un appel massif a été lancé aux jeunes en âge de faire leur service militaire obligatoire pour qu’ils rejoignent les organes répressifs de l’État. 
  • Les élites politiques cubaines ont justifié la répression militaire par la présence d’actes de vandalisme isolés qui se sont produits dans certains magasins du MLC, et par la confrontation avec la police nationale. 
  • Grâce aux dénonciations faites sur les réseaux sociaux, les organisations de la société civile ont dressé une liste de centaines de personnes détenues ou disparues après les manifestations des 11 et 12 juillet. Des centaines de mères se sont rassemblées devant les commissariats de police pour dénoncer la disparition ou l’emprisonnement de leurs fils et de leurs filles. 
  • Pour contenir les protestations, la société de télécommunications cubaine a retiré le service Internet sur l’île. Les Cubains qui parviennent à se connecter le font en utilisant des moyens alternatifs, tels que les connexions VPN.

La réponse internationale

  • Avant les manifestations du 11 juillet, de nombreux artistes internationaux ont commencé à faire écho au hashtag #SOSCuba sur les réseaux sociaux. 
  • Le secrétaire d’État Antony Bliken a déclaré que le gouvernement américain n’avait pas incité les Cubains à manifester, comme l’a laissé entendre l’administration cubaine dans de nombreuses déclarations à la presse. Par ailleurs, le président Joe Biden a publié une brève déclaration le 12 juillet pour soutenir le peuple cubain qui descend dans la rue. Cependant, l’administration américaine n’a pas répondu aux appels des exilés à une intervention internationale.
  • Le gouvernement espagnol a appelé au respect du droit des Cubains à manifester librement et pacifiquement.
  • En Amérique latine, les gouvernements d’Andrés Manuel López Obrador et de Nicolás Maduro ont exprimé leur soutien au gouvernement cubain et dénoncé les sanctions américaines contre Cuba. D’autres organisations régionales telles que l’Organisation des États américains (OEA) et la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) ont, comme on pouvait s’y attendre, défendu le droit des citoyens à manifester. 
  • Les Nations unies et le Haut représentant de l’Union, Josep Borrell, ont demandé aux autorités cubaines d’autoriser les manifestations afin d’écouter les demandes de la population. Rappelons qu’en juin de cette année, suite à une déclaration de M. Borrell sur la fin de l’embargo américain sur Cuba, les députés européens ont demandé des explications sur la position européenne concernant la situation de la répression politique sur l’île. En juin de cette année, le Parlement européen a rédigé une proposition de résolution sur les droits de l’homme et la situation politique à Cuba, dans laquelle il a clairement exprimé son opposition aux mesures répressives contre la société civile cubaine, dans le contexte des manifestations du Mouvement 27N.