Le gouvernement de Guillermo Lasso est en place depuis un mois, et il s’engage pour un « Équateur de la rencontre ». Dans son discours d’investiture, il a évoqué les questions internationales, en mettant l’accent sur un gouvernement ouvert sur le monde : « plus d’Équateur dans le monde, et plus de monde en Équateur ». Dans une interview, le nouveau ministre des Affaires étrangères a parlé de la « diplomatie de la rencontre ». La question centrale est de savoir si l’Équateur, en tant que petit État, disposera d’une marge de manœuvre suffisante pour faire valoir ses intérêts, ou si la diplomatie de la rencontre pourrait réduire l’espace politique du pays.

De la révolution citoyenne à l’Équateur de la rencontre

  • Le 24 mai dernier, un nouveau gouvernement est entré en fonction en Équateur au milieu d’une crise multifactorielle : morale, économique, sanitaire et sociale, qui a conduit le pays à une situation d’extrême vulnérabilité due, entre autres, à la fragilité du système de santé, le positionnant comme l’un des pays les plus touchés par le Covid-19 en Amérique latine.
  • Rappelons le contexte dans lequel Guillermo Lasso prend le pouvoir. Sur le plan économique, la pauvreté et le chômage ont augmenté, en partie à cause de la crise sanitaire1. Il y a deux propositions clés de sa campagne dans le domaine économique : d’une part, augmenter le salaire minimum de subsistance de 400 à 500 dollars, alors que le coût du panier de produits basiques est d’environ 711 dollars2 ; d’autre part, créer des emplois et des opportunités, le slogan de campagne de son mouvement politique « CREO-Creando Oportunidades« . Pour tenir ces promesses, le nouveau gouvernement mise sur le libre-échange et les investissements étrangers.
  • Dans le domaine social, les Équatoriens attendent une meilleure gestion de la crise sanitaire. Au-delà de cette urgence, le président élu hérite d’un pays dont les citoyens sont pessimistes vis-à-vis de l’avenir en général et des institutions étatiques3 qui souffrent d’un manque fort de légitimité, conséquence de la faible popularité du gouvernement du président sortant, Lenin Moreno4 (qui termine son mandat avec environ 6 % de crédibilité) ; de l’instabilité de son cabinet (cinq ministres de la santé publique pendant la pandémie et un plan de vaccination catastrophique), entre autres facteurs5. De plus, au cours des 14 dernières années, la société équatorienne a été confrontée à un important clivage politique, incarné par l’identification du corréaisme – anti-corréaisme (40 % de la population tomberait dans cette division). 

L’Équateur et la diplomatie de la Rencontre

  • Les relations internationales et la politique étrangère seront d’une importance capitale dans le mandat actuel, puisque c’est à ce niveau que seront déterminés plusieurs des éléments politiques proposés par Guillermo Lasso, ainsi que l’avenir de l’Équateur. Il est nécessaire de mentionner que la pensée économique qui sous-tend son plan de gouvernement émane du think tank « Ecuador Libre » dont les principes fondamentaux sont les libertés individuelles, l’économie de marché, la propriété privée et l’État de droit6. En outre, sa doctrine économique est grandement influencée par les travaux du grand penseur du libéralisme économique et du laissez-faire, Friedrich Hayek. On peut en déduire que le gouvernement actuel donnera la priorité aux accords au niveau international, du moins dans le domaine économique. 
  • Ainsi, dans son discours du 24 mai, Lasso a fait référence au commerce libre et équitable. « Plus d’Équateur dans le monde et plus de monde en Équateur », signifie ouvrir le pays à des accords de libre-échange avec ses principaux alliés. « L’opportunité, c’est le monde (…) car l’enfermement, c’est la décadence » − a-t-il dit7. Cela pourrait se traduire par une vision du monde comme un marché auquel il faut s’ouvrir. L’Équateur a également l’intention de rejoindre l’Alliance du Pacifique (AP), un bloc avec lequel il partage les principes du libéralisme économique et de la démocratie. Le ministre de la production, du commerce extérieur, des investissements et de la pêche, Julio Prado, a fait plusieurs déclarations sur les progrès réalisés en vue de la signature rapide d’un accord commercial avec le Mexique, grâce auquel l’Équateur pourrait devenir membre de l’AP8. « Cela permettrait au pays de conclure un accord avec l’Asie-Pacifique, ce qui est positif du point de vue de l’accès au marché », a déclaré le ministre9
  • Dans le même ordre d’idées, l’Équateur a tenu plusieurs réunions avec les États-Unis en vue d’ouvrir des négociations pour un accord de libre-échange. Le ministre des Affaires étrangères Montalvo a répété dans plusieurs médias que cet accord est une priorité pour le pays, entre autres raisons, étant donné qu’il fait partie du schéma idéologique du président Lasso10. En ce sens, ces dernières semaines, le vice-ministre du commerce extérieur, Daniel Legarda, a négocié des approches avec l’administration Biden. Cependant, selon Julio Prado, il n’y a toujours pas de feuille de route pour un éventuel accord commercial, bien que l’Équateur ait donné des signes pour rétablir la confiance des acteurs internationaux, par exemple, à travers un risque pays plus faible11. Tout ceci nous amène à penser qu’une grande partie de la dynamisation de l’économie du pays se définira dans l’interface national/international, contrairement à la vision du développement endogène promulguée par la Révolution citoyenne. Cette fois, l’Équateur serait prêt à s’ouvrir au monde. 
  • On parle d’établir des relations avec tous les États et d’un pays des libertés. Pour cela, le nouveau chancelier a déclaré que l’Équateur pourra « dialoguer, être en désaccord aussi, et faire des propositions »12. Il a aussi déclaré que la diplomatie de la rencontre se traduit par le fait de « montrer à un pays avec lequel on peut faire des affaires, qu’il est bon d’être un partenaire », ce qui inclut la promotion du commerce. Bien sûr, l’entourage de Lasso croit ouvertement au libre-échange sans considérer que tous les accords ne sont pas bénéfiques pour le pays et que les formats de négociation sont intrinsèquement basés sur les besoins du pouvoir hégémonique. En d’autres termes, la signature de tout accord commercial pourrait réduire la marge de manœuvre du pays en matière de politique commerciale.
  • En revanche, la diplomatie des vaccins appelle une vision pragmatique et pluraliste. En effet, le pays a négocié des vaccins avec les États-Unis, son allié stratégique, mais aussi avec la Chine et la Russie. Cela aurait des implications géopolitiques, car dans le contexte international actuel, marqué par la récession économique et la rivalité entre la Chine et les États-Unis, il n’y a pas beaucoup de place pour que les pays ayant une plus grande urgence sanitaire mettent en œuvre des demandes, qu’elles soient économiques ou sociales. En d’autres termes, l’urgence sanitaire déterminera, dans un premier temps, la marge de manœuvre du gouvernement de Guillermo Lasso, à la merci d’une stratégie de négociation sophistiquée pour tenir l’une de ses promesses de campagne : vacciner 9 millions de personnes dans les 100 premiers jours du gouvernement. En ce moment, le pays se trouve dans la « phase 2 du plan de vaccination (9/100) » au cours de laquelle il prévoit d’inoculer la population âgée de 50 à 64 ans et les personnes âgées de 16 à 49 ans souffrant de conditions graves, de maladies chroniques ou d’un handicap supérieur à 50 % ; ainsi que les travailleurs des secteurs stratégiques13
  • La vision du gouvernement à cet égard est de respecter les délais de vaccination, afin d’avancer dans le reste des domaines d’action et de relancer l’économie. Selon Mónica Rojas (doyenne de l’école d’économie de l’Universidad San Francisco de Quito -USFQ), « l’Équateur, étant vulnérable, plus petit et dépendant [des marchés internationaux], implique qu’il doit s’ouvrir [à l’économie internationale], chercher un soutien extérieur, attirer les investissements étrangers, signer des accords commerciaux »14. Basé sur la littérature d’économie politique, le facteur sous-jacent de cette vision est un compromis supposé entre les avantages économiques immédiats d’un accès plus sûr au marché par le biais d’accords de libre-échange, et les coûts à long terme du sacrifice de l’autonomie réglementaire pour définir leurs propres politiques publiques15. En d’autres termes, un degré élevé d’ouverture, caractéristique typique des petits pays dans leurs relations extérieures, entraîne le risque d’un compromis, ou d’une réduction de l’espace politique.

Quelques perspectives

  • La nouvelle politique étrangère de l’Équateur s’inscrira dans une logique de rencontre, de réconciliation, de pragmatisme et de pluralisme. En ce sens, il faut se demander quel rôle et quelle marge d’action seront laissés au pays s’il parvient à rejoindre l’AP, un bloc régional dont les membres connaissent actuellement l’une de leurs plus grandes crises politiques. 
  • Le rapprochement avec les États-Unis est imminent, en vue de la signature d’un accord de libre-échange fondé sur les principes de la concurrence du marché et s’éloignant d’autres valeurs comme le commerce équitable. Cela est projeté au milieu d’un scénario d’incertitude quant aux priorités des États-Unis concernant les négociations commerciales avec un petit pays comme l’Equateur. 
  • Enfin, les actions du premier mois du gouvernement équatorien montrent des signes de pragmatisme. Toutefois, l’engagement du nouveau gouvernement en faveur de l’ouverture impliquerait une moindre marge de manœuvre dans les politiques publiques et dans l’agenda international, comme le suggère la littérature sur l’économie politique. 
Sources
  1. Les taux de chômage et d’extrême pauvreté ont atteint respectivement 13,6 % et 17,8 % en 2020, selon les données de l’Institut national des statistiques et du recensement (INEC).
  2. Selon les données de l’Institut national des statistiques et des recensements (INEC).
  3. Selon le CEDATOS, environ 9 équatoriens sur 10 ont une perception pessimiste de l’avenir. Ces niveaux n’ont été observés qu’en 1999, lors de la pire crise économique du pays. Anecdotiquement, cette caractéristique est un élément commun à deux dates historiques impliquant Guillermo Lasso : la crise de 1999, lorsque Lasso était ministre de l’économie dans le gouvernement de Jamil Mahuad, moment où l’Equateur est dollarisé ; et la date de 2021 où il se positionne comme président élu. CEDATOS, Vision nationale et panorama électoral.
  4. Bien que Moreno arrive au pouvoir avec le corréisme, il rompt rapidement avec le parti et adopte par conséquent une ligne politique contraire aux préceptes de la révolution citoyenne.
  5. BORJA, María Sol, L’héritage de Lenin Moreno, GK, 22 mai, 2021.
  6. Site officiel We are free Équateur.
  7. LASSO, Guillermo, dans son discours d’investiture, 24 mai 2021.
  8. L’une des conditions pour rejoindre l’Alliance du Pacifique est d’avoir un accord de libre-échange bilatéral avec tous les membres du bloc. Pour s’y conformer, l’Équateur et le Mexique doivent conclure un accord commercial.
  9. Entretien avec leministreJulio Prado, Primicias Ecuador, 10 juin, 2021.
  10. Interview du ministre des affaires étrangères Mauricio Montalvo, Primicias Ecuador, 27 juin 2021.
  11. Au cours du premier mois du gouvernement, le risque pays de l’Équateur est resté inférieur à 800 points, clôturant à 749 points le 25 juin 2021. Cela contraste avec les niveaux historiques qui se situaient entre 2000 et 3000 points. Voir https://www.ambito.com/contenidos/riego-pais-ecuador.html.
  12. MONTALVO Mauricio, Proyectaremos al mundo un Ecuador diferente, El Comercio, 24 mai, 2021.
  13. Au 27 juin 2021, 22,5 % de la population totale de l’Équateur a été vaccinée, selon le « vaccinomètre » du ministère de la Santé de l’Équateur. Ministère de la santé publique, « Inicia Fase 2 del Plan de Vacunación 9/100 en Ecuador » (La phase 2 du Plan de vaccination 9/100 commence en Equateur), 14 juin 2021.
  14. ROJAS, Mónica, « No hay que cerrarse a un solo socio comercial« , interview GK, 17 juin 2021.
  15. HERON, Tony (2011) Asymmetric bargaining and development trade-offs in the CARIFORUM-European Union Economic Partnership Agreement, Review of International Political Economy, 18:3, p. 333.