Au lendemain des élections régionales, départementales et territoriales françaises, le Grand Continent vous propose une série d’entretiens croisés pour tirer le bilan de chacun de ces scrutins. Pour ce troisième et dernier volet, nous vous emmenons en Bretagne et en Auvergne-Rhône-Alpes.
Entretiens croisés avec Romain Pasquier, directeur de recherches au CNRS et titulaire de la chaire « Territoires et mutations de l’action publique » à Sciences-Po Rennes, et Florent Gougou, maître de conférences à Sciences-Po Grenoble.
Quelles problématiques régionales spécifiques, quels équilibres politiques particuliers ont marqué ces élections régionales ?
Romain Pasquier : Pour la Bretagne, l’enjeu majeur était celui de l’héritage de l’homme politique breton très influent qu’a été Jean-Yves Le Drian, actuel ministre des affaires étrangères, qui a été pendant 15 ans président de la région Bretagne et ne se représentait pas à sa propre succession. Il avait deux héritiers qui avaient la volonté de poursuivre son héritage. L’un était le président sortant, Loïg Chesnais-Girard, qui était est socialiste et qui menait une liste de rassemblement de centre-gauche. L’autre était Thierry Burlot, ancien socialiste qui avait le soutien de la majorité présidentielle et des centristes. Au bout des deux tours, c’est Loïc Chesnais-Girard qui l’a emporté. C’est le premier enseignement de ce scrutin : la prime au sortant a été déterminante pour solder cet héritage, très important en Bretagne, qui était celui de la domination politique d’un notable emblématique.
Le second enseignement, c’est la poussée des écologistes, représentés par une liste principale et une liste dissidente. La liste Europe-Écologie-Les-Verts (EÉLV, Verts/ALE) de Claire Desmares-Poirrier a obtenu un peu plus de 14 % au premier tour et surtout près de 20 % au second tour. Les Verts sont ainsi devenus la troisième force politique bretonne, étant arrivé en tête notamment à Rennes. Ce sont des éléments que l’on retrouve aussi au niveau national en France.
Le troisième enseignement est celui de l’affaiblissement très fort du Rassemblement National, dont le score est bien moins bon qu’en 2015. Traditionnellement, le Rassemblement National (RN, ID) est plutôt faible en Bretagne, nettement plus faible que la moyenne française. Or, le RN, qui avait fait pratiquement 18 % en 2015, termine cette fois à moins de 14 %. Le recul est très net. Donc voilà les principaux enseignements de ce scrutin : l’héritage de Jean-Yves le Drian qui est soldé par la continuité du président socialiste sortant, la poussée des écologistes et l’affaiblissement du Rassemblement national.
Florent Gougou : La campagne électorale dans la région Auvergne Rhône Alpes n’a pas eu de spécificités fortes par rapport aux autres régions de France. Sa principale caractéristique a été le fait que la droite gouvernait la région depuis 2015, ce qui a permis au Président sortant Laurent Wauquiez (LR) de porter à l’agenda de ces élections régionales ses thèmes de prédilection, en particulier la sécurité. On voit d’ailleurs cette dynamique dans les autres régions, où les présidents sortants étaient dans une position qui leur permettait de dicter les thématiques de la campagne. Leur notoriété était plus grande que celle de tous leurs concurrents, ce qui leur conférait un avantage considérable.
Dans un contexte de faible participation, les résultats du premier tour ont été marqués par la percée de la liste Laurent Wauquiez (43,8 % des suffrages, en progression de 13 points sur 2015). Cette percée lui a permis de distancer très largement ses concurrents : 29 points d’avance sur sa première poursuivante, la liste EELV menée par Fabienne Grébert. Un tel écart était du jamais-vu au premier tour des élections régionales depuis la réforme du mode de scrutin en 2004, et il s’est confirmé par une nette victoire au second tour.
Certains territoires ont-ils manifesté des dynamiques spécifiques ?
Romain Pasquier : Oui. D’abord, et de manière assez claire, les écologistes sont plus fort dans les villes que dans les campagnes. C’est très vrai à Rennes par exemple, où le vote vert dépasse le vote socialiste dans la plupart des quartiers. On peut également noter que le Rassemblement National a un ancrage un peu plus fort sur certaines côtes très touristiques où vivent de nombreux retraités. Enfin, on observe que le vote socialiste est plus fort dans l’ouest et dans l’est de la Bretagne et qu’il l’est beaucoup moins au centre, au nord et au sud. L’implantation locale de la tête de liste et l’affiliation partisane des élus locaux jouent un rôle dans les résultats des différentes listes.
Par ailleurs, sur un même territoire, on observe parfois des différences entre les résultats des scrutins régional et départemental. Aux élections régionales, la liste socialiste était en tête dans le Finistère. Dans le même temps, le conseil départemental du Finistère, détenu par la gauche de 1998, a basculé vers la droite à la faveur des évolutions dans un ou deux cantons. La gauche finistérienne, qui voyait d’année en année sa majorité se réduire, a perdu la présidence au profit d’un jeune élu de droite assez connu, Maël de Calan (LR). À l’inverse, les Côtes-d’Armor qui avaient basculé par surprise de la gauche vers la droite en 2015 reviennent à gauche.
Florent Gougou : Il y a en effet des différences. Je me suis particulièrement intéressé aux départements de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie. À l’intérieur de ces trois départements, on observe un certain nombre de distinctions, qui, sans surprise, dépendent de leur sociologie respeective. Par exemple, la gauche qui est significativement plus forte en Isère qu’en Haute Savoie. Dimanche soir, la liste de Laurent Wauquiez (LR, PPE) a atteint 55 % en Haute Savoie et moins de 50 % en Isère. On observe le mécanisme inverse chez les écologistes : au premier tour, leur niveau est supérieur en Isère et plus faible en Haute Savoie.
La faible participation peut-elle s’interpréter comme le signe d’un désintérêt pour la politique régionale, ou au contraire comme le résultat d’une nationalisation excessive de la campagne ?
Romain Pasquier : Les deux. Effectivement, ces élections régionales à huit mois à peine des élections présidentielles, notamment dans les médias nationaux, ont été essentiellement captées par la question du potentiel duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, avec des thématiques bien éloignées des réalités régionales, comme celle de la sécurité. L’attention s’est concentrée sur les d’éventuels « présidentiables » qui se présentaient dans les Hauts de France, en Île de France, en Auvergne Rhône-Alpes. Cette nationalisation a été très claire mais, dans le même temps, le millefeuille administratif à la française obscurcit très fortement les enjeux pour les électeurs. Les pouvoirs régionaux en France n’ont pas beaucoup de pouvoir, et d’une certaine manière les Français ont du bon sens : ils ne se déplacent que pour des élections où il y a de forts enjeux, c’est-à-dire les élections présidentielles et éventuellement les élections municipales. Là ils ne percevaient pas des enjeux très forts, surtout dans un contexte conjoncturel très particulier de sortie de confinement. L’échéance ne les a pas mobilisés.
On observe par exemple – vous l’avez déjà vu dans l’analyse du scrutin en Corse – que dans les régions françaises où il y avait une collectivité territoriale unique, comme la Corse et Mayotte, les taux de participation ont été nettement plus élevés. Là où les enjeux de pouvoir sont forts et les clivages présents, des élections territoriales ont pu mobiliser, même à huit mois des présidentielles. Elles n’ont pas mobilisé dans des régions métropolitaines où ces élections régionales, entremêlées à des élections départementales, concernaient des pouvoirs qui ne semblaient pas très puissants au commun des Français.
Florent Gougou : À mon avis, ni l’un ni l’autre. Vous évoquez là des explications institutionnelles et conjoncturelles, or selon moi la principale explication est structurelle. Depuis 40 ans, on observe un déclin progressif de la participation électorale, qui touche toutes les élections à l’exception de la présidentielle. Cela se passe sur fond de renouvellement générationnel, avec des nouvelles générations entrant dans le corps électoral partageant de moins en moins le sens du devoir civique qui était le premier moteur structurel de la participation électorale.
Lorsque l’on prend cela en compte, on peut s’expliquer pourquoi d’élection en élection on observe presque systématiquement un déclin de la participation. Si on regarde l’évolution de la participation depuis 1986 au niveau national, on a un déclin quasi linéaire. Certes, des forces de court terme peuvent accélérer ou ralentir cette dynamique. Deux me semblent importantes : (1) l’impopularité du gouvernement : si un gouvernement est très impopulaire, l’opposition va avoir tendance à se surmobiliser ; (2) la place dans le cycle électoral national : quand un scrutin intermédiaire arrive en premier dans le cycle électoral national, les électeurs sont plus enclins à se déplacer aux urnes pour adresser un message. Aucune de ces deux forces ne jouait en 2021, alors que le premier facteur avait joué à plein en 2015. Emmanuel Macron était nettement moins impopulaire que François Hollande et de toute façon, la majorité présidentielle ne présentait pas de candidatures compétitives.
Résultat, les discours catastrophistes sur le déclin de la participation électorale sont surtout liés au fait que le niveau absolu de participation est tombé très bas, à moins de 40 %. En revanche, la dynamique structurelle de déclin n’a rien de nouveau. Les facteurs conjoncturels – les non-distributions des professions de foi, l’absence relative de la campagne électorale due à la pandémie – ont évidemment pu jouer un rôle, mais celui-ci reste marginal par rapport à la dynamique historique.
Comment expliquez-vous le recul du Rassemblement national dans votre région entre 2015 et 2021 ? Quelle est son implantation ?
Romain Pasquier : La Bretagne est, avec Paris, le territoire de France métropolitaine hors Corse où le Rassemblement National obtient ses scores les plus faibles. Pour le Rassemblement national, ce sont des terres de mission. Le FN avait connu une certaine croissance en 2015 dans un contexte post-attentat. Il était monté en Bretagne jusqu’à 18 %, pour une moyenne nationale autour de 27 %. Le RN n’a jamais gagné, en Bretagne, ni ville ni canton. Il n’a jamais eu de point de fixation. Depuis les années 1980, il est traditionnellement dans le sud de la Bretagne, sur une côte relativement privilégiée qui compte beaucoup de retraités aisés. C’est là qu’on retrouve les origines de la famille Le Pen, dans une petite ville du Morbihan qui s’appelle la Trinité-sur-Mer. Dans cette région, il y a un vote Rassemblement national traditionnel, qui existe, mais même ce vote n’atteint pas les moyennes nationales.
Par ailleurs, on observe un vote RN « de désespoir » dans des territoires marqués par la présence de retraités du secteur agricole disposant de peu de revenus, de travailleurs précaires, de personnes plus âgées qui observent les transformations de la société française à travers la télévision et qui craignent, par exemple, que soient importées en Bretagne les flambées observées dans certains quartiers des grandes villes françaises. Il y a donc dans les campagnes bretonnes – je pense au Morbihan oriental, au sud de l’Île-et-Vilaine – quelques groupes de petites communes rurales où les scores du RN sont assez élevés.
Florent Gougou : Le recul du RN est d’abord un phénomène que l’on observe sur tout le territoire. Il ne faut pas, à mon avis, y chercher des explications locales, même si évidemment ce recul ne se réalise pas de la même façon partout. Pour expliquer pourquoi le recul a été un peu plus fort en Auvergne-Rhône-Alpes qu’ailleurs, il faut considérer la configuration de l’offre électorale : le déclin du RN a été plus fort dans les régions avec un sortant de droite que dans les régions avec un sortant de gauche. C’est le cas de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Des facteurs sociologiques jouent également : de manière générale, on observe une baisse de la mobilisation plus marquée dans les endroits où l’électorat du RN était le plus populaire. Le recul du RN est particulièrement fort dans les Hauts-de-France et dans le Grand Est, qui sont des régions où l’électorat du RN est issu du milieu populaire, plutôt qu’en PACA où il s’agit plutôt d’un électorat de personnes âgées. Or les personnes âgées sont structurellement plus mobilisées que les autres à toutes les élections, tandis que les électorats populaires sont plutôt moins mobilisés. En Auvergne-Rhône-Alpes, on a pu voir des déficits de participation qui n’ont fait que creuser les inégalités sociologiques de participation électorale. Les personnes âgées se sont davantage déplacées que les milieux populaires, ce qui affecte chaque parti selon la composition de son électorat.
Comment se structure l’implantation territoriale du parti d’Emmanuel Macron et de ses alliés ?
Romain Pasquier : La Bretagne est la région qui a placé Emmanuel Macron le plus haut au second tour des élections présidentielles de 2017. Une grande majorité des députés bretons actuels sont macronistes : les élections législatives de 2017 ont été un véritable raz-de-marée en sa faveur. Par la suite, en revanche, il n’a pas réussi à s’implanter localement.
Il en résulte une situation complexe. Jean-Yves le Drian, qui était le grand leader politique breton, a basculé du parti socialiste vers le parti macroniste. Dans le même temps, le parti socialiste, qui est dominant en Bretagne depuis 20 ans, s’est fracturé. Un groupe d’élus influents a rejoint la République en marche (LREM, RE), dont Jean-Yves le Drian, Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, alors qu’un autre groupe d’élus est resté fidèle au Parti socialiste, qui détient encore les grandes collectivités territoriales bretonnes : la maire de Rennes, le maire de Brest, les présidents de département, le président de la région. D’où une forme de guerre fratricide entre ex-socialistes. Or, depuis 2017, le parti macroniste a rencontré un certain nombre difficultés en Bretagne. Il n’a pas gagné de ville aux élections municipales de 2020. Puis, il a subi un échec aux élections régionales, puisque Thierry Burlot, ancien vice-président socialiste de Jean-Yves le Drian à l’environnement qui emmenait la liste de la majorité présidentielle, n’a réuni que 15,5 % des suffrages. C’est certes un bon score par rapport aux résultats de LREM dans les autres régions, mais c’est aussi très insuffisant pour lui permettre de briguer la présidence de la région comme il l’espérait.
Florent Gougou : L’implantation était devenue résiduelle car le principal soutien d’En Marche dans la région était Gérard Colomb, ancien maire de Lyon écarté lors des municipales de l’an passé. Dans le département du Puy de Dôme, le président sortant Jean-Yves Gouttebel, ex socialiste qui avait rejoint le parti présidentiel, ne s’est pas non plus représenté. De fait, la capacité de mobilisation d’En Marche en Auvergne-Rhône-Alpes était amoindrie, si bien que sa tête de liste Bruno Bonnell fait un score faible mais qui correspond essentiellement au score de La République En Marche dans les autres régions. Les élections locales, qui favorisent les sortants et les partis fortement implantés, ne sont pas du tout à l’avantage de LREM, parti national aux enjeux nationaux. Le parti n’est pas armé pour des élections aussi territorialisées que celles de cette année.
Observe-t-on une recomposition du paysage politique régional ou un déplacement des équilibres au sein des différents blocs ? Quels sont les clivages au sein de ces blocs ?
Romain Pasquier : Nous avons déjà évoqué la question des socialistes. Il y a également une vraie problématique écologistes en Bretagne. Au premier tour, deux listes écologistes étaient présentes. D’une part celle d’EÉLV,, conduite par Claire Desmares-Poirrier, qui fait 14,5 %, de l’autre la liste dissidente de Daniel Cueff, maire connu sur le plan national comme pionnier des arrêtés anti pesticides, qui a obtenu 6,5 %. Si l’on somme ces deux scores, on voit qu’il y a un potentiel pour que les écologistes deviennent la première force politique en Bretagne. Cette fois, pourtant, les partis verts se sont présentés en ordre dispersé. Plus encore : entre le premier et le second tour, Daniel Cueff, l’écologiste dissident, a fait alliance avec le président sortant, et tous deux l’ont finalement emporté au second tour.
C’est assez amusant : Jean-Yves le Drian avait depuis longtemps refusé de gouverner avec les écologistes d’EÉLV, présentant une telle alliance comme une « ligne rouge ». Or, cette fois, l’un de ses héritiers, sans le dire, reproduit exactement ce modèle : il s’allie avec un écologiste dissident en refusant de faire alliance avec EÉLV. Cela crée des lignes de fractures importantes au sein de l’écologie bretonne entre, une écologie tendanciellement plus radicale, plutôt représentée dans les villes, et une écologie davantage « pragmatique » qui semble plutôt le propre des campagnes. En Bretagne, EÉLV est d’ailleurs alliée aux régionalistes qui auront 4 élus dans la nouvelle assemblée régionale, tandis que d’autres régionalistes sont élus sur la liste socialiste, dont le député Paul Molac ou Christian Troadec.
Cette situation est assez différente de celle qu’on observe sur le reste du territoire breton. Elle est notamment liée au modèle agro-alimentaire breton. Première région agricole de France, la Bretagne nourrit 22 millions de personnes. L’enjeu agricole est donc un ejeu majeur pour l’économie bretonne, qui crée également des tensions très fortes. L’écologie bretonne une pour une large part une écologie des campagnes qui vit avec le monde paysan, avec ses pratiques, avec ses évolutions. D’un côté, la Bretagne connaît des problèmes de pollution ; de l’autre, la révolution agricole des années 50 est ce qui a permis un rattrapage économique extraordinaire de la Bretagne, qui avant cela était une région très pauvre. Ce modèle agroalimentaire a permis une élévation sociale et éeconomique considérable.
Aujourd’hui, évidemment, tout le monde est conscient qu’il faut faire évoluer ce modèle. Certains veulent aller très vite, par effet de rupture : c’est typiquement l’attitude d’Europe-Écologie-Les-Verts. De tels mouvements sont souvent portés par des écologistes plutôt urbains auxquels on reproche de connaître assez mal les réalités rurales. De l’autre côté, on trouve des écologistes plutôt ruraux qui demande à changer de modèle, parfois de manière radicale, mais toujours dans le dialogue avec le monde agricole et le monde agroalimentaire. Les écologistes les plus durs critiquent cette attitude comme une compromission. Ce clivage a été extrêmement central dans les jeux d’alliance en Bretagne entre le premier le second tour.
Florent Gougou : Le déplacement des équilibres au sein du bloc de gauche est selon moi la principale leçon à tirer d’un premier tour où Laurent Wauquiez a écrasé la concurrence. La région Auvergne-Rhône-Alpes, avec l’Île-de-France et les Pays de la Loire, était un des trois cas où l’on avait des listes autonomes à gauche avec un sortant de droite. Or, pour la première fois lors d’élections régionales, et dans ces trois régions, les écologistes ont réussi à être la première force de gauche. Cela n’est bien sûr pas le cas dans les régions où le PSavait des sortants – les socialistes conservant alors le leadership à gauche. Au final, on peut dire que les écologistes n’ont pas écrasé la gauche, mais que leur dynamique depuis 2019 est confirmée, sans avoir l’ampleur de la vague qui a touché les grandes villes en 2020 aux élections muncipales.
Cette recomposition au sein de la gauche a des effets très clairs : au second tour, pour renverser les candidats de droite, ce sont des personnalités écologistes qui étaient les figures de l’alternance. C’est le cas de Fabienne Grébert (EÉLV) en Auvergne-Rhône-Alpes. S’il y avait eu une bascule de la présidence de la région, elle aurait été au profit des Verts.
C’est quelque chose que l’on ne dit pas assez, mais quelques fois la victoire se joue aussi dans l’offre électorale. Déjà, lors des élections municipales de 2020, les écologistes avaient tiré profit du fait qu’ils avaient su prendre le contrôle et la tête des listes de gauche 1, et c’est pourquoi ils ont été aussi efficaces.
Comment interpréter la « prime au sortant » que le commentaire politique a souvent évoquée au soir de l’élection ?
Romain Pasquier : En Bretagne, il y avait beaucoup de listes en concurrence – cinq au second tour. Il y avait le parti socialiste, les écologistes d’EÉLV, la droite avec Isabelle Le Callennec (LR), la majorité présidentielle avec Thierry Burlot et le Rassemblement national. Le président sortant, qui n’avait jamais été élu sur son nom – Loïg Chesnais-Girard a remplacé Jean-Yves le Drian lorsqu’il est devenu ministre de la Défense – était connu, mais pas très connu, étant élu d’une petite commune très à l’est de la Bretagne. La prime au sortant a certes joué pour lui, mais la situation n’est pas complètement comparable à celle d’autres leaders PS ou LR comme Xavier Bertrand ou Carole Delga. Loïg Chesnais-Girard obtient à 21 % au premier tour, devant Isabelle Le Callennec et Thierry Burlot qui font autour de 15 %. La « prime » est faible et s’amplifie quelque peu au second tour où il atteint presque 30 %, grâce aussi à l’apport de la liste écologiste dissidente et du vote utile d’une partie de l’électorat de gauche macroniste.
En conclusion, oui, il y a une prime au sortant en Bretagne, parce que Loïg Chesnais-Girard a un peu plus de notoriété, parce qu’il est président de la région ; il a été très présent sur les réseaux sociaux, il a fait une campagne assez marketing, en s’efforçant de capitaliser sur son prénom breton avec sa liste « la Bretagne avec Loïg »… mais en réalité les gens ne connaissent pas, ou très peu, leurs conseillers régionaux, comme d’ailleurs leurs conseillers départementaux.
Florent Gougou : Tout d’abord, je ne suis pas sûr que tout le monde parle de la même chose en utilisant le terme de prime au sortant. Ce que l’on observe, c’est une reconduction très forte des sortants qui sont d’abord, de mon point de vue, la conséquence de la sociologie de l’électorat. Les personnes qui vont voter sont avant tout des personnes plus âgées qui ont un fort réflexe légitimiste, sans quoi on ne comprendrait pas pourquoi les sortants de gauche autant que ceux de droite ont été favorisés. Cela est dû au statut de sortant plutôt qu’au profil des candidats. Ce fait doit nous inciter à nous méfier de toute surinterprétation des résultats au regard du rapport de force gauche-droite. Il peut y avoir des glissements, mais si on regarde le total national, il faut se souvenir que la droite, ayant plus de sortants, a été avantagée par cette dynamique. L’effet aurait été inverse si la gauche avait eu plus de sortants.
En outre, avoir des sortants change beaucoup de choses en termes de notoriété. En Auvergne Rhône Alpes, Laurent Wauquiez, connu pour ses sorties publiques et son goût de la communication, était incroyablement plus connu des électeurs que ses concurrents. Pour nombre d’électeurs peu informés sur la politique, et dans un contexte où les professions de foi ne sont pas directement arrivées dans les foyers, le fait de pouvoir se rattacher à une figure connue et qui a gouverné est rassurant. En Auvergne-Rhône-Alpes comme ailleurs, les gens continuent à vivre, aucun dysfonctionnement majeur dans l’organisation régionale n’a été observé, la gestion semble acceptable : dans ce contexte, beaucoup d’électeurs ne voient aucune raison de sanctionner les sortants.
Sources
- Voir PERSICO Simon et GOUGOU Florent, La poussée (inachevée) de EELV : leçons tirées du 1ertour des municipales, Note de la Fondation de l’Écologie politique, n°19, 2020.