Key Points
  • L’OCDE lance un benchmark des politiques climatiques fondées sur des critères uniformes par pays.
  • Cette logique risque d’uniformiser l’action climatique sans regard aux métabolismes énergétiques très diversifiés des pays de l’OCDE et du G20.
  • Le PIAC pourrait compléter des savoirs manquants sur les différentes voies de lutte contre le changement climatique en abandonnant la logique d’indicateurs et en situant les données par rapport à des projets propres à chaque états/associations d’états/entreprises/régions/syndicats.
  • La nouvelle logique  horizontale pourrait renouer avec l’histoire de l’OFCE donner un rôle de coordinateur des solidarités climatiques à l’équipe française de direction du PIAC.

L’OCDE, née du besoin d’orchestrer la reconstruction européenne d’après-guerre, souhaite effectivement créer une plateforme d’évaluation des politiques publiques liées à l’action du climat1. Après la santé, l’éducation, la richesse et les inégalités, la corruption et la compliance, ou encore l’innovation, c’est au tour de l’action climatique de devenir un objet de benchmark pour les États dits « développés ». La nouvelle plateforme du PIAC développera ainsi un moniteur annuel de l’action climatique, un tableau de bords d’indicateurs et de notes par pays ainsi qu’une plateforme d’apprentissage. Les données seront fournies par les États après l’émission de guides méthodologiques précis sur leur construction. L’initiative est ouverte aux partenaires clés de l’OCDE, aux membres potentiels et aux pays du G20 et le financement de l’initiative est volontaire. Les indicateurs seront construits à partir des analyses des agences de l’OCDE : Agence Internationale de l’Énergie, Forum International des Transports et Agence pour l’Énergie Nucléaire.

L’OCDE et la pensée verticale du développement

L’OCDE, un temps concurrente de la CEE et représentante naturelle des européens de l’Ouest dans l’ordre mondial d’après-guerre, se concentre sur la publication d’études économiques qui définissent les canons du développement international. L’enjeu est de taille pour les Européens au sortir de la grande vague de décolonisation et d’une séquence du tiers-mondisme moins favorable aux intérêts des anciens colonisateurs. Dès la réforme de l’organisation en 1961, le développement devient un sujet important avec la création d’une agence fille : le Comité d’Aide au Développement, organe de travail, et le centre de développement de l’OCDE qui assure l’interface avec les pays à développer.

Ces organes se sont alors faits les promoteurs d’un développement industriel calqué sur l’économie de la reconstruction européenne d’après-guerre. Ces théories présentent le développement comme un mouvement historique uniformisé conditionné au respect d’une certaine hygiène proposée par l’économie politique. C’est une pensée verticale : les États/économies sont tous en lice dans ce grand chemin du développement et la solidarité et l’évaluation ne peuvent se faire qu’à l’aune du positionnement relatif des États dans le chemin. Fressoz et Bonneuil y voient là le mime d’une économie de guerre, caractéristique de la guerre froide2. Nous admettrons qu’en théorie, cette manière de partager des connaissances est fermée : elle ne laisse pas la place au développement de modèles alternatifs, de synthèses utiles et d’agencements fins, pourtant indispensables à la préservation de l’habitabilité dans le nouveau régime climatique.

Les organes de l’OCDE se sont faits les promoteurs d’un développement industriel calqué sur l’économie de la reconstruction européenne d’après-guerre. Ces théories présentent le développement comme un mouvement historique uniformisé conditionné au respect d’une certaine hygiène proposée par l’économie politique. C’est une pensée verticale.

Antoine Goutaland

Cette pensée verticale a pu donner lieu à des développements variés, notamment les statistiques énergétiques de l’AIE à partir de 19743 ou encore les prospectives issues des modèles TIMES. Les premières ont permis et justifié l’autonomisation européenne par rapport au pétrole arabe et le lancement des industries du gaz naturel et du pétrole en eau-profonde. Les secondes ont cimenté les premières politiques d’atténuation du changement climatique et notamment l’élaboration du marché ETS, qui a failli jusqu’à 2020 à contrer le rebond gazier et charbonnier de l’Europe.

Le PIAC, continuité ou nouvelle donne ?

On peut aujourd’hui considérer que le PIAC hérite de l’aveu d’échec partiel de ces politiques climatiques. L’initiative propose en effet de publier de nouvelles statistiques pour le climat fondé sur des indicateurs agrégés d’action. Un exemple remarquable de cette logique est le Climate Action Tracker et nous pouvons sûrement préfigurer la note concise par État du PIAC grâce à lui. Cet instrument a été fondé par Climate Analytics. Il détermine pour chaque pays le niveau d’engagement de son action d’atténuation contre le changement climatique et permet ainsi de comparer les pays dans une échelle en °C, redoutable médiatiquement.

L’outil classe ainsi les efforts dans une logique verticale : les États sont tous évalués par rapport à leurs contributions à l’objectif de température global de l’Accord de Paris. Un lecteur pressé du PIAC, haut-fonctionnaire, financier, stratège d’entreprise ou analyste de think-tank, pourra lire dans ce nouvel organe, de la même manière que le lecteur des statistiques énergétiques des années 1970 et détecter quel État ne fait pas suffisamment d’effort ou n’est pas suffisamment transparent et pourra ainsi agir, modifier une notation financière, lancer le projet d’une note administrative, ajuster un plan industriel… Si l’équipe du PIAC choisit cette logique nous pouvons dire deux choses. Tout d’abord, il ne sera pas une extension de la logique de 1974 et des modèles historiques de l’AIE et il fait table rase des politiques promues par ceux-ci pour coller à une logique plus proche de celle de la CCNUCC. Par contre, il reprend les outils similaires aux études sur le  développement de l’OCDE et cela pourrait conduire à certains écueils qui tiennent en un mot : des œillères !

Une autre logique pour le PIAC 

Créer des comparaisons entre États permet probablement de susciter l’action à l’intérieur des administrations. Cependant les exemples historiques du développement international – calqués sur la reconstruction – montrent surtout la capacité de ces logiques d’évaluation à uniformiser l’action autour de normes trop simplistes, incitant à la pensée magique.

Or l’action climatique, même pour les sujets industriels, doit se réserver des marges d’échanges et de discussions. Nous pouvons coordonner la sortie de la combustion des fossiles à partir d’installations, d’équipements et de métabolismes énergétiques très variés de pays en pays.

L’action climatique, même pour les sujets industriels, doit se réserver des marges d’échanges et de discussions. Nous pouvons coordonner la sortie de la combustion des fossiles à partir d’installations, d’équipements et de métabolismes énergétiques très variés de pays en pays.

Antoine Goutaland

Cette approche réaliste et pragmatique de l’action climatique doit s’atteler à concevoir les enveloppes pertinentes pour l’action4. Par exemple, l’Argentine et l’Italie ont des morphologies énergétiques actuelles similaires notamment sur la place du gaz dans la mobilité, l’Allemagne et l’Indonésie aussi pour leur dépendance à l’extraction charbonnière et à l’industrie automobile. A l’inverse, l’Allemagne et la France présentent certaines complémentarités intéressantes sur la production d’électricité. Si certains pays comme la Chine consentent à un effort pour décarboner leurs procédés industriels pour que l’empreinte carbone d’autres pays dépendants soit soulagée. Cette logique s’applique entre secteurs industriel et bien entendu au développement du continent africain au moment de certains choix énergétiques cruciaux.

Dans notre nouveau régime climatique, la solidarité coordonnée est plus innovante (et vraisemblablement plus efficace) que l’action incitative individuelle. Les équipes de l’OCDE peuvent choisir de devenir des artisans de cette coordination et inventer les nouvelles solidarités indispensables pour une réelle action climatique. Pour cela elles devront abandonner la pensée verticale et s’inspirer de certaines initiatives académiques ou opérationnelles initient déjà ces logiques (Green Climate Fund, devoir de diligence, gouvernance soutenable des entreprises) qui loin d’être suffisantes, marquent de réelles ruptures en permettant des logiques d’actions différentes et complémentaires. Alors seulement, peut-on espérer que le PIAC serve effectivement une décarbonation profonde et résiliente.

Sources
  1. OECD, 2021, « L’OCDE annonce la création du Programme International pour l’Action sur le Climat (PIAC) », consulté le 20 avril  2021, disponible en ligne : https://www.oecd.org/fr/environnement/l-ocde-annonce-la-creation-du-programme-international-pour-l-action-sur-le-climat-piac.htm.
  2. Bonneuil C., Fressoz J.-B., 2013, L’Événement Anthropocène : la Terre, l’histoire et nous, Média Diffusion, 268 p.
  3. Mitchell T., 2017, Carbon Democracy : Le pouvoir politique à l’ère du pétrole, La Découverte, 283 p.
  4. Charbonnier P., 2020, « Le tournant réaliste de l’écologie politique », Le Grand Continent.