• Pedro Castillo, du parti de gauche radicale Perú Libre, est arrivé en première position des présidentielles avec 18,1 % des voix. Keiko Fujimori, du parti de droite conservatrice Fuerza Popular, est passée de justesse au second tour avec 14,5 %1. L’élection présidentielle s’est traduite par une extrême fragmentation et polarisation du vote autour de 18 candidats, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite.
  • Le contexte électoral a été marqué par une crise institutionnelle, économique (chute du PIB, hausse du chômage et de la pauvreté dus à l’épidémie de Covid), et sanitaire. Le Pérou, pays le plus touché au monde en nombre de décès du Covid par habitants, traversait le 11 avril la semaine la plus meurtrière depuis le début de la pandémie, avec en moyenne 300 morts recensés par jour. Si l’électorat péruvien a pour habitude de choisir son vote au dernier moment, le contexte sanitaire et social n’a pas favorisé l’intérêt des citoyens pour la campagne. À une semaine du scrutin, près d’un électeur sur trois déclarait ne pas avoir choisi de candidat. L’ascension fulgurante de Pedro Castillo s’est réalisée lors de la dernière semaine de campagne. Elle se veut un coup au centralisme de la capitale, Lima, et une remise en question du modèle économique péruvien.
  • Pedro Castillo a touché un électorat plutôt populaire et issu de régions rurales et pauvres du pays, délaissées par l’Etat péruvien ces vingt dernières années (essentiellement les Andes du Centre et du Sud, dans les départements de Cajamarca, Ayacucho, Huancavelica ou Apurimac). Castillo est un maître d’école, rondero et dirigeant syndical, provenant de la province rurale de Chota, dans le département de Cajamarca. Il s’était fait un premier nom en tant que leader de la grève nationale des enseignants en 2017. 
  • Castillo porte un agenda de gauche sur le plan économique (nationalisations, régulation de la minerie, Etat interventionniste, etc.), et un agenda conservateur en terme de droits civils (sur les questions de l’IVG, le mariage civil pour tous, la peine de mort, etc.). Opposé à la Constitution de 1993, rédigée sous l’ère de l’autocrate Alberto Fujimori (Président de 1990 à 2000), et qui accompagne l’introduction du néolibéralisme dans le pays, Castillo s’est prononcé en faveur d’une dissolution du Tribunal Constitutionnel, dont il conteste les prises de position, et pour l’élection d’une Assemblée Constituante. Si le plan de gouvernement de Castillo cite entre autres une inspiration marxiste, le détail de son programme politique demeure, à ce stade, relativement flou, et ponctué de déclarations contradictoires.
  • Face à lui, son adversaire Keiko Fujimori, fille de l’ex-dictateur Alberto Fujimori, en est à son troisième passage au second tour d’une élection présidentielle, à dix années d’intervalle. A l’inverse de la région centre et sud-andine, les principaux bastions du Fujimorisme sont situés en Amazonie (Ucayali), dans certains départements de la Costa (Tumbes et Piura), et des quartiers de Lima, ville qui vote traditionnellement à droite. En 2016, Keiko Fujimori avait obtenu 39,86 % des voix lors du premier tour des présidentielles, faisant campagne au centre-droit afin de rassembler les votants modérés. Elle avait bénéficié alors d’un ancrage massif parmi l’électorat. Cependant, l’image et les scores électoraux du Fujimorisme se sont effondrés ces cinq dernières années, en raison de scandales de corruption à répétition, et de l’instabilité politique attribuée à un Parlement dominé, entre 2016 et 2019, par le parti Fuerza Popular. Son passage actuel de justesse au second tour s’explique par la fragmentation du vote, et le soutien fidèle de ses bases les plus radicales.
  • La période de crise traversée par le Fujimorisme a poussé Keiko Fujimori à radicaliser ses positions lors de cette campagne, et défendre un agenda de droite, libéral sur la plan économique, et conservateur en terme de valeurs, agitant le souvenir nostalgique de la décennie du gouvernement autoritaire de son père. Défenseuse de la Constitution de 1993 et du modèle économique qu’elle institue, Keiko Fujimori a fait campagne autour de l’idée d’un gouvernement de mano dura (main dure) pour lutter contre la pandémie, l’insécurité, l’élargissement des droits civils, ainsi que “la gauche radicale”. La gauche, bouc-émissaire traditionnel, fantasmé et diabolisé du Fujimorisme depuis les années 1990, fait stratégiquement de Pedro Castillo un adversaire idéal pour Keiko Fujimori.
  • À eux deux, Pedro Castillo et Keiko Fujimori atteignent difficilement les 30 % des voix, une situation inédite depuis la transition démocratique en 2000 : le futur chef d’Etat aura bénéficié d’un appui initial relativement faible des bases électorales lors de ce premier tour. De plus, le Parlement, élu en un seul tour, comptera a priori près de 11 groupes partisans éclatés (sur 130 sièges, seuls 32 seraient détenus par Perú Libre, et 24 par Fuerza Popular), qui devront arriver à des compromis et des alliances avec le gouvernement, afin d’assurer la gouvernabilité du pays. Il s’agira d’éviter la spirale de menaces réciproques de dissolutions du Parlement et de destitutions du Président, qui a marqué les relations entre exécutif et législatif ces cinq dernières années.
Sources
  1. Chiffres non-définitifs recueillis par Ipsos Perú suivant la technique de CPR (comptage parallèle des résultats) à 100 % (conteo rápido al 100 %), diffusés le soir des élections.