À peine investi comme 47ème président des États-Unis, Joe Biden a entamé une série de réformes ambitieuses pour rompre au plus vite avec les politiques de l’administration Trump. Si Biden, sénateur expérimenté, a souvent insisté sur le poids du Congrès et l’importance du consensus bipartisan pendant sa campagne, il a choisi dans les premiers jours de son mandat de faire usage d’un pouvoir présidentiel : les executive orders. Les executives orders ou décrets présidentiels constituent une prérogative du chef de l’exécutif depuis George Washington, bien que leur statut ne soit pas explicitement prévu par la Constitution et qu’ils ne puissent être pris que dans les limites des pouvoirs accordés au président par la Constitution, sous peine d’être annulés par le pouvoir judiciaire. Du 20 au 26 janvier, ce sont 22 décrets, 8 memoranda et 3 proclamations (directives) qui ont été publiés. Ils dessinent les priorités des 100 premiers jours de la présidence Biden : la lutte contre la pandémie de COVID-19, le changement climatique et les inégalités, la mise en place d’une nouvelle politique sur l’immigration, et d’un plan de relance économique.
Cet usage des décrets présidentiels n’est pas nouveau. Clinton, lors de son arrivée au pouvoir en 1993, est revenu sur les règles mises en place par les administrations Bush et Reagan pour restreindre l’accès à l’avortement. Trump, lors de son mandat, a utilisé les décrets présidentiels pour revenir sur plusieurs mesures phares de l’administration Obama, comme l’Obamacare ou DACA. Cependant, ce qui frappe dans les premières décisions de l’administration Biden, c’est la rapidité de la promulgation des décrets, leur nombre et l’étendue des domaines dans lesquels ils s’appliquent.
Suspendre au plus vite les décisions administratives en cours
Une des premières décisions présidentielles, prise dans la directive Regulatory Freeze Pending Review (Suspension des examens règlementaires en cours), vise à suspendre le processus de création normative entamé par l’administration Trump, là où il n’a pas complètement été mené à terme. Il s’agit de limiter la portée des « règlements de minuit », comme ceux qui prévoient d’exempter les raffineries, les usines chimiques et d’autres industries polluantes des réglementations de l’Agence de protection de l’environnement sur les émissions de gaz à effet de serre.
L’immigration
Trump avait fait de l’immigration une des thématiques centrales de son programme dès 2016. Réformer la politique migratoire, c’est donc s’attaquer symboliquement à la politique trumpiste en ce qu’elle a eu de plus polarisant. Joe Biden revient dans ses décrets et directives sur la déclaration d’« urgence nationale », qui avait permis à Donald Trump de dégager des fonds supplémentaires pour la construction du mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Il met fin au « Muslim Ban », la directive de Donald Trump qui interdisait aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane (l’Irak, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen) d’entrer sur le sol américain, et empêche à nouveau l’expulsion des ressortissants du Libéria présents illégalement sur le sol américain. Il publie également un décret assurant la prise en compte des sans-papiers dans les recensements décennaux, évènements clés de la redéfinition des équilibres politiques entre circonscriptions.
Enfin, une directive protège et renforce le programme Deferred Action for Childhood arrivals (DACA ou « action différée pour les enfants arrivants »), mis en place sous l’administration Obama. Ce programme, qui protège de l’expulsion les sans-papiers ayant grandi sur le sol américain, avait été attaquée par Donald Trump pendant sa présidence. Si la Cour suprême avait tranché en faveur du maintien du programme en 2020, la directive publiée par Biden met fin à une situation d’incertitude pour les « dreamers », bénéficiaires de DACA. Il appelle également le Congrès à prolonger ces dispositions, en accordant aux « dreamers » un moyen d’accéder à la citoyenneté américaine.
La lutte contre la pandémie de COVID-19
La lutte contre la pandémie de COVID-19 est présentée comme la priorité absolue de l’administration Biden, et les mesures prises dans les décrets présidentiels s’insèrent dans la « Stratégie nationale pour la pandémie » annoncée dans les premiers jours du mandat. Le point commun des executive orders pris dans le domaine sanitaire est qu’ils visent à développer une réponse coordonnée à l’échelle fédérale, plutôt qu’à celle des États.
Une première série de mesures met en œuvre des instances de coordination et de contrôle : un des décrets nomme un coordonnateur chargé de rapporter directement au président les différents éléments portant sur la gestion de la crise sanitaire. Il évaluera les modes de collecte des données sanitaires en collaboration avec d’autres administrations et agences. Est aussi créé un groupe de travail sur l’équité sanitaire, qui devra analyser les besoins des populations les plus touchées par le virus et dégager des fonds pour répondre à ces besoins. Un Bureau des tests en période pandémique (Pandemic Testing Board), inspiré du Bureau de la production de guerre établi par Roosevelt, est mis en place pour augmenter le volume des tests.
Une deuxième série de mesures vise à accélérer la production de tout le matériel nécessaire à la lutte contre la COVID-19 : masques, tests, et plus généralement équipements pour le personnel médical. Un décret présidentiel invoque le Defense Production Act déjà utilisé par Trump pour le programme de vaccination, pour développer de nouveaux types de seringues.
Des instructions ont également été données aux ministères de l’éducation et de la santé (Department of Education et Department of Health and Human Services) pour protéger le personnel éducatif et les élèves lors de l’ouverture des écoles, ainsi que le personnel soignant et administratif. Joe Biden mobilise le gouvernement fédéral mais sa marge de manœuvre sur les questions sanitaires est faible. L’État fédéral ne peut agir au-delà des prérogatives qui lui sont explicitement confiées par la Constitution. C’est à la lumière de cette répartition des pouvoirs que l’on peut comprendre le périmètre des mesures prises par Joe Biden : l’obligation du port du masque dans les transports qui réalisent des trajets inter-états et de la mise en quarantaine pour tous les voyageurs internationaux arrivant aux États-Unis. L’État fédéral peut également soutenir l’action des États : un autre décret prévoit de rembourser les frais engagés par les États qui font appel à la garde nationale pour accélérer la vaccination. Joe Biden a aussi annoncé que les États-Unis réintégreront l’Organisation mondiale de la santé.
L’esquisse d’un plan de relance économique
Sur le plan économique, le président Biden a signé le 25 janvier un décret pour augmenter la part de produits américains dans les achats de l’administration fédérale. La définition d’un “produit américain” sera également réétudiée, afin que des produits dont 50 % des composantes proviennent de l’étranger ne soient pas achetés de manière préférentielle par les agences fédérales. L’objectif de ce décret est de relancer l’emploi mais aussi la production américaine, des enjeux fréquemment mis en exergue pendant le mandat de Trump.
D’autres décrets annoncent des mesures d’ordre économique comme la prolongation d’un moratoire sur les expulsions locatives. Ces décrets seront complétés par une série de projets de loi dont la présentation est prévue au Congrès.
La protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique
Une part importante des décrets publiés le 20 janvier a pour objectif la lutte contre le réchauffement climatique. Sur le plan international et symbolique, les États-Unis rejoignent à nouveau l’Accord de Paris sur le climat, après s’en être officiellement retiré en novembre 2020.
À ce retour à la diplomatie climatique s’ajoutent des mesures de protection de l’environnement sur le territoire américain. Le décret présidentiel « sur la protection de la santé publique et de l’environnement et sur la restauration de la science pour lutter contre le changement climatique » (Executive Order on Protecting Public Health and the Environment and Restoring Science to Tackle the Climate Crisis) sonne le coup d’arrêt de la construction de l’oléoduc Keystone XL, qui devait acheminer les hydrocarbures de l’Alberta vers le Golfe du Mexique.
Le président Biden encourage également les agences fédérales à revoir les régulations allégées sous le mandat de Trump. Il suspend les concessions de gaz et de pétrole dans le Refuge national arctique de faune sauvage, en Alaska.
Un engagement pour l’égalité
Une partie des décrets présidentiels porte sur les questions de justice sociale et visent à défaire des mesures mises en place par l’administration Trump. Un décret supprime la « 1776 Commission », créée en réponse au « 1619 Project » du New York Times, et critiquée par de nombreux historiens pour son analyse du rôle de l’esclavage aux États-Unis.
Un décret « sur la prévention et la lutte contre les discriminations liées à l’identité de genre ou à l’orientation sexuelle » renforce les obligations du gouvernement fédéral sur la base du Civil Rights Act de 1964. Un travail de collecte et d’analyse des données est demandé aux différentes agences administratives pour évaluer les efforts faits dans la lutte contre le racisme systémique.