Depuis le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni ne fait plus officiellement partie de la famille européenne et de son marché commun. Ce qui aura de nombreuses conséquences, notamment sur le plan footballistique. Le football britannique ne pourra en effet plus se prévaloir de l’arrêt Bosman du 15 décembre 1995, qui avait permis la liberté de circulation des joueurs au sein de la Communauté européenne, limitée jusque-là par des quotas liés à la nationalité.
Les instances du football anglais avaient toutefois anticipé la situation. Le mois dernier, la Football Association (fédération de football anglaise) a annoncé son plan, co-construit avec la Premier League et la Ligue anglaise de football (EFL) et approuvé par le gouvernement britannique, pour préparer le football anglais de demain.
Le plan du football anglais pour favoriser les joueurs nationaux
D’abord, les clubs anglais ne peuvent désormais pas recruter plus de 3 joueurs étrangers de moins de 21 ans lors d’une seule fenêtre de transfert, et pas plus de 6 par saison. Par ailleurs, avec le Brexit, l’Angleterre retombera sous le coup des règles de la FIFA, qui interdisent le recrutement de joueurs étrangers de moins de 18 ans. Ce qui va rendre impossible des achats tels que nous avons pu le voir dans le passé, comme Paul Pogba acheté par Manchester United au club du Havre en 2009 alors que le joueur n’avait que 16 ans.
Ensuite, les joueurs ressortissants de l’Union Européenne devront disposer d’un permis de travail, comme c’est actuellement les cas pour les joueurs extraeuropéens, pour pouvoir jouer en Angleterre. Ce permis sera attribué en fonction d’un système par points.
Les points seront calculés en fonction de plusieurs critères : le nombre de sélections internationales (en A et en espoirs) ; le nombre de minutes jouées lors des apparitions en club ; la “qualité” du club vendeur, en fonction de la ligue dans laquelle il se trouve et de sa progression en compétition continentale.
Selon une analyse de la BBC en 2016 1, avec les critères du permis de travail, ce sont près de 332 joueurs des ligues anglaises qui n’auraient pas pu évoluer en Angleterre à l’époque. Parmi les cas les plus frappants, peut penser à N’Golo Kanté qui n’avait pas de sélection internationale avant de rejoindre Leicester, et de devenir un des joueurs décisifs dans la conquête inespérée du titre de champion d’Angleterre.
Des exceptions pour attirer les meilleurs joueurs en Premier League
Toutefois, il existera des exceptions pour obtenir le précieux sésame. Le permis de travail pourra être automatiquement accordé aux joueurs qui auront disputé au moins 70 % des matchs internationaux d’une équipe nationale sur une période de deux ans si celle-ci est classée parmi les 50 premières du classement FIFA.
Une autre clause permettra de contourner le système à points, si le joueur est considéré par les instances du football anglais comme apportant une « bonification au championnat » grâce à son talent hors-norme. Cette clause aujourd’hui surnommée « Haaland / Mbappé » a notamment été utilisée pour que le transfert de Mohamed Salah à Liverpool soit accepté en 2017.
Objectif : un trophée international pour l’équipe d’Angleterre de football
L’objectif de ces mesures est double. Elles doivent permettre aux meilleurs joueurs locaux de pouvoir jouer dans les meilleurs clubs anglais, et ainsi améliorer le niveau des équipes nationales d’Angleterre pour remporter un titre international. Il s’agit aussi de restreindre les conditions d’obtention des permis de travail pour ne recruter que les meilleurs joueurs étrangers, et ainsi que la Premier League garde sa place de ligue de football la plus lucrative et la plus médiatisée au monde.
Le tout a été résumé par Richard Masters, Président de la Premier League, lors de l’annonce du communiqué : « En continuant à recruter les meilleurs joueurs, la Premier League restera compétitive tout en complétant notre philosophie de développement des meilleurs talents étrangers aux côtés des meilleurs joueurs locaux ».
Toutefois, ces mesures auront des conséquences sur les pays et les clubs européens qui vendent le plus de joueurs aux clubs anglais.
Conséquences à venir pour le football français et ses clubs
Au premier rang de ceux-ci on trouve les clubs français, pourvoyeur historique de jeunes joueurs pour le football britannique. Selon l’Observatoire du Sport Business, les clubs de Premier League ont investi plus de 1,25 milliard € sur les joueurs de Ligue 1 et de Ligue 2 durant la période 2010-2019. On peut donc s’interroger sur les conséquences de ces mesures sur l’économie du football français. Par exemple, dans de telles conditions, le transfert de Wesley Fofana à Leicester cet été pour 35M€ aurait-il pu avoir lieu ?
Par-delà une question purement sportive, il en va aussi de la survie des clubs français, dont les budgets dépendent pour moitié des revenus liés aux transferts. L’économie du football français étant déjà fragilisée par les conséquences de la crise de la Covid-19 ainsi que par la crise créée par Mediapro, qui avaient acheté les droits de diffusion de la Ligue 1 pour une somme colossale, avant d’annoncer que le groupe ne pourrait honorer ses engagements. La crise devrait s’aggraver alors que Canal + semble décidé à obtenir les droits de la Ligue 1 à prix cassé.
Vers un nouveau modèle de financement transnational ?
La donne est donc claire : le projet de la Premier League et des autres ligues anglaises est de se refermer sur elles-mêmes pour que le football anglais soit plus victorieux. En somme, on reviendrait à l’organisation professionnelle du football de la fin des années 1980. Ainsi, à la fondation de la Premier League en 1992, 70 % des effectifs étaient composés de joueurs anglais, contre à peine 30 % aujourd’hui. Les nouvelles mesures tendent à rééquilibrer la donne pour que les futurs talents anglais que sont Jadon Sancho, Jack Grealish ou encore Mason Mount puissent mener l’Angleterre au sommet du football international.
Certains clubs ont toutefois peut-être trouvé la parade pour toujours avoir la main sur les meilleurs talents internationaux. Comme Manchester City qui a racheté en septembre, via la société City Football Group, le club de Troyes (l’ESTAC), pour garder ainsi un lien privilégié avec le premier vivier européen de joueurs (1.027 footballeurs français évoluent à l’étranger en 2020). 2
En France comme au Royaume-Uni, ces réformes devraient donc creuser l’écart entre les clubs les plus riches et les plus pauvres. Les premiers ont les revenus sportifs et extrasportifs et la surface économique globale qui leur permettront de tourner ces nouvelles règles à leur avantage. Les autres subiront sans doute une compétition encore plus féroce. Dans tous les cas, rien ne garantit que le berceau du football redevienne la première puissance du ballon rond sur tous les terrains.