Douze milliards : c’est la somme, en euros, que viennent d’annoncer conjointement les principaux bailleurs de fonds internationaux par la voix d’Emmanuel Macron afin de donner un second souffle à la Grande Muraille Verte. Pour rappel, ce projet pharaonique né en 2005 consiste à planter une bande de terre de 8 000 km de long – du Sénégal à Djibouti – et 15 km de large dans le but de freiner le processus de désertification, générer des opportunités économiques dans des régions parmi les plus pauvres du monde et, incidemment, contribuer à séquestrer quelques 250 millions de tonnes d’équivalent CO2.
Depuis son lancement, le projet a essuyé de nombreuses critiques, tant sur son ambition que sur ses accomplissements.
Du côté du concept, il a d’abord fallu renoncer à l’idée d’une sorte de mur vert, qui stopperait net une hypothétique avancée homogène du Sahara liée à une augmentation des températures et à une baisse de la pluviométrie. Cette vision relève d’un fantasme nourri par l’analogie avec la Grande Muraille de Chine et entretenu dans une rhétorique vendeuse auprès des populations locales par les responsables politiques africains – ce qui, incidemment, rapproche l’électorat de Donald Trump des populations sahéliennes – comme des bailleurs de fonds. Or, on sait bien désormais que les dynamiques de dégradation des terres ne dépendent pas uniquement, voire pas principalement, de facteurs climatiques, que ces facteurs climatiques n’évoluent pas de manière identique sur un front de 8 000 km de long, et que, par ailleurs, certaines zones sahéliennes anticipent une augmentation de la pluviométrie plutôt qu’une diminution. La désertification, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, doit plutôt être comprise comme un phénomène de dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et sub-humides sèches sous l’effet conjoint de pressions anthropiques et de facteurs climatiques1. Dès lors, la Grande Muraille Verte doit être appréhendée comme un continuum de projets de restauration des terres correspondant, bon an mal an, à cette fameuse ligne transcontinentale.
Du côté des accomplissements, il est bien évidemment plus compliqué d’effectuer le suivi d’une mosaïque d’initiatives plus ou moins explicitement liées à la Grande Muraille Verte que celui d’un investissement unifié, coordonné par une agence d’exécution unique. Le rapport de suivi2 publié par la Convention des Nations Unies pour la Lutte contre la Désertification (CNULCD) en septembre dernier estime que 20 millions d’hectares replantés peuvent être associés à la Grande Muraille Verte (pour un objectif de 100 millions d’hectares en 2030) – sans précision sur le taux de survie des plants, une donnée critique pour des projets de reforestation en zone sèche. De même, difficile d’avancer des chiffres fiables sur les sommes engagées en regard de ces 20 millions d’hectares. En réalité, c’est dans l’analyse qualitative des difficultés rencontrées que ce rapport d’évaluation apporte le plus d’éclairages. Et ces difficultés ne manquent pas : manque de soutien politique de haut niveau, faible capacité des institutions d’exécution, peu de poids des ministères de l’environnement (généralement en charge de tels projets) dans les arbitrages institutionnels, manque de coordination intra et internationale, absence d’un cadre de suivi et évaluation adéquat, manque de moyens et imprévisibilité des flux de financements… Face à cette litanie d’obstacles, comment donc investir au mieux ces 12 milliards d’euros annoncés au One Planet Summit ? Quelques pistes peuvent être esquissées.
Tout d’abord, la gouvernance du programme doit être repensée. C’est d’ailleurs une condition évoquée par le Président français lui-même : un Secrétariat sous l’égide de l’ONU devra être établi pour suivre les initiatives estampillées Grande Muraille Verte. Ce désaveu de l’action de l’Agence Panafricaine de la Grande Muraille Verte ne devra cependant pas conduire à s’aliéner certains acteurs institutionnels africains dont la coopération, même passive, demeure essentielle à la bonne mise en œuvre de tels projets. Au niveau national, associer des ministères traditionnellement plus influents et mieux dotés que les ministères de l’environnement (par exemple les ministères de l’agriculture, voire les primatures) pourrait également permettre une exécution plus efficace.
Ensuite, l’occasion d’expérimenter des modalités d’exécution novatrices devrait être saisie. Ces modalités peuvent être techniques, comme par exemple l’utilisation du dispositif de « waterboxx », une sorte de boite en plastique semi-enterrée remplie d’eau dans laquelle on place un plant et une quantité d’eau initiale, ce qui permet d’optimiser l’apport en eau, de réaliser des économies substantielles en termes d’irrigation et d’améliorer significativement le taux de survie des jeunes arbres3. On peut également citer la plantation d’arbres par drone, une solution développée par une ancienne ingénieure de la NASA et qui a déjà donné des résultats expérimentaux encourageants4. En Mauritanie, on se souvient que les peuplements d’acacias du vaste Trarza, entre Nouakchott et le fleuve Sénégal, ont été en partie constitué grâce à des graines tombant de sacs percés fixés aux dromadaires des voyageurs locaux. Avons-nous beaucoup progressé en efficacité technique depuis ces solutions originales d’un autre temps ?
Des innovations pourraient également être testées en matière de partenariats d’exécution. Récemment, le potentiel des climate impact bonds, ou « contrats à impact climatique » a été évoqué5 pour améliorer le pourcentage de succès des projets climatiques. Ces contrats, initialement testés dans la Grande-Bretagne de Gordon Brown pour des projets de développement social, consistent à déléguer l’exécution de programme donnés, et à conditionner les paiements à l’agence d’exécution à l’atteinte dûment démontrée de cibles définies au préalable. Les domaines d’application de tels contrats sont variés, de la réduction de la récidive criminelle à l’amélioration des scores d’alphabétisation dans les écoles primaires. Pourquoi, dès lors, ne pas imaginer que les bailleurs de fonds conditionnent une partie de leur aide à la plantation réussie de tant d’hectares, l’amélioration du revenu moyen de tant de pourcents de telle population locale etc. ? Actuellement, les conséquences de l’évaluation négative d’un projet sont extrêmement indirectes pour les agences d’exécution, qu’ils s’agissent d’ONG internationales, d’agences onusiennes ou de ministères. Par exemple, un projet financé par le Fonds pour l’Environnement Mondial qui serait évalué comme insatisfaisant conduira le Fonds à dégrader la note du pays, ce qui, de manière très marginale vus les barèmes utilisés, pourrait diminuer l’enveloppe attribuée à ce pays lors du prochain cycle de financement. Autant dire qu’il en faudrait beaucoup plus pour que le pays en question se sente contraint autrement que moralement à remettre en cause ses pratiques de gestion de projet. Bien entendu, des mécanismes tels que les climate impact bonds supposent qu’un cadre de suivi robuste soit mis en place, un domaine crucial dans lequel de nombreux progrès restent à accomplir.
La communauté internationale dispose de moyens techniques avancés pour mesurer l’évolution du couvert végétal à partir d’images satellites. Ces moyens doivent être employés dans le cadre d’une évaluation systématique à grande échelle, accompagnée d’un suivi de terrain indispensable à l’acquisition de données fines sur l’état des zones reboisées. Une équipe d’évaluateurs indépendants internationaux devrait être missionnée par les bailleurs de fonds de manière concertée – c’est-à-dire en parallèle des contrats d’évaluation associés indépendamment à chaque projet de la mosaïque. Une base de données géolocalisée devra être construite pour rassembler ces évaluations qualitatives et quantitatives, et informer les décisions d’investissement. Ce suivi ne saurait être limité aux 3 à 6 ans que durent généralement les projets en question, et devrait s’étendre sur au moins une décennie. Pour mettre le sujet en perspective, un Acacia senegal (une espèce à forte valeur ajoutée qui produit la gomme arabique utilisée comme émulsifiant dans l’industrie agro-alimentaire mondiale) mesurera moins d’un mètre de haut au bout de 5 ans s’il est planté dans une zone aride avec une irrigation adaptée6. Ces plants sont donc très vulnérables, notamment à la pression des herbivores, et nécessitent une maintenance continue (protection, arrosage)7. En l’état, on ne dispose que d’informations très parcellaires sur les 20 millions d’hectares déjà plantés, et il est probable qu’une partie de ces parcelles n’existe déjà plus.
Douze milliards, c’est une chance pour progresser dans la mise en place de la Grande Muraille Verte, mais également pour faire évoluer structurellement la manière dont les projets de lutte contre la désertification sont mis en œuvre et évalués en Afrique. Les bénéfices d’une telle évolution pourraient même, à terme, dépasser ceux attendus de la Grande Muraille Verte elle-même.
Sources
- Voir ici.
- CNULCD. 2020. The Great Green Wall Implementation Status and Way Ahead to 2030. Accessible ici.
- Voir ici.
- Voir ici.
- Puri J., Khan A. 2020. Climate impact bonds and the GCF. Green Climate Fund blog post. Accessible ici.
- Soule A., Salihi A.V., Abidine M., Yahya Lafdal M., Bégat P., Mills A. 2018. Evaluation of the Restoration Process of a Plantation : Case of Benichab (Mauritania). International Journal of Advanced Research. 6. 941-951.
- Mills A, Tan D., Bégat P. et al. 2020. Ecosystem‐based adaptation to climate change : Lessons learned from a pioneering project spanning Mauritania, Nepal, the Seychelles and China. Plants, People, Planet. 2. 10.1002