L’année prochaine, le Bangladesh fêtera ses 50 ans d’existence. En 2020, le pays célèbre le centenaire de la naissance de Sheikh Mujibur Rahman, leader du mouvement national de libération et premier dirigeant du pays qui connut une fin tragique.  Assassiné, ainsi que la plupart des membres de sa famille, en août 1975, c’est sa fille, Sheikh Hasina, qui, en tant que présidente du parti au pouvoir – la Ligue Awami -, occupe depuis 2009 le poste de Première ministre.

Pour célébrer l’anniversaire, les autorités du pays ont décidé d’ériger des statues représentant le « père de la Nation ». Une initiative qui ne plait pas aux islamistes radicaux car contraire aux règles de la charia. En 2017, Hifazat-i-Islam, une organisation à la tête d’un réseau de madrassas développant une vision rigoriste de la société et qui a fait de la lutte contre les blasphémateurs son cheval de bataille, avait déjà poussé le  gouvernement de Sheikh Hasina a déplacer une statue dressée devant la Cour suprême figurant une version locale de Thémis, la déesse grecque de la justice. Au moins autant que le caractère « non-islamique » d’une statuaire représentant une figure humaine, c’est l’héritage laïc de Mujibur Rahman, revendiqué par la ligue Awami, qui offense des milieux islamistes de plus en plus actifs sur la place publique. Il y a peu, la France était dans leur ligne de mire avec « l’affaire des caricatures » à l’origine de manifestations demandant la fermeture de l’ambassade de France à Dhaka et une résolution du Parlement national dénonçant les mesures « anti-Islam » du gouvernement français.

Le pays n’a pas échappé à des actes terroristes visant les minorités religieuses, des blogueurs et plus généralement des personnes défendant la laïcité.  En juillet 2016, des étrangers ont aussi été les victimes d’une fusillade dans un restaurant de la capitale. Récemment, une vedette de l’équipe nationale de cricket a été la cible de menaces pour avoir assisté à une cérémonie religieuse hindoue au cours d’un déplacement à Kolkata (Calcutta). Il a du faire amende honorable. Une vindicte aussi attisée par la détermination du gouvernement de Sheikh Hasina à mener à leur terme les procès pour crimes de guerre dirigés contre la mouvance islamiste qui, en 1971, s’était associée à la violente répression exercée par les troupes pakistanaises contre les militants indépendantistes. Plusieurs dirigeants de la Jamaat-i-Islami ont été condamnés à mort et exécutés au cours de la décennie écoulée.

Le retour en politique du premier parti religieux du pays avait été autorisé en 1977 par Ziaur Rahman, un militaire porté au pouvoir quelques mois après le coup d’Etat contre Mujibur Rahman. Il fut à l’origine  du retrait de la notion de laïcité comme principe fondamental de la Constitution au profit d’une déclaration de foi absolue en Allah. La laïcité fut officiellement rétablie avec le 15e amendement en 2011, tout en conservant l’Islam comme religion d’Etat. La veuve de Ziaur Rahman, Khaleda Zia, Première ministre à deux reprises (1991-96, 2001-06) a dirigé le pays avec le soutien du Jamaat-i-Islami. Si Sheikh Hasina a pu occasionnellement faire des compromis avec la nébuleuse islamiste, notamment à des fins électoralistes, la Ligue Awami paraît déterminée à s’opposer au danger d’une islamisation dans ce qui est, par le nombre, le troisième pays musulman au monde après l’Indonésie et le Pakistan. Un combat idéologique auquel l’Europe ne peut être indifférente d’autant que le Bangladesh affiche des résultats socio-économiques faisant mentir Henry Kissinger, qui qualifia le pays à sa création de cause désespérée (« basket case »).