Présenté le 3 septembre dernier par le gouvernement français, le plan « France Relance » s’inscrit en complément de long terme du premier dispositif de plan d’urgence économique déployé dès le mois de mars. Dans un document de près de 300 pages, tous les pans de l’économie sont adressés par le gouvernement, pour une enveloppe globale de 100 milliards de dollars. Ce plan intervient dans la deuxième moitié du mandat du président Macron, plus de deux ans après sa proclamation du slogan « Make the Planet Great again », et quelques mois à peine après la tenue de la Convention citoyenne pour le climat — cette assemblée de 150 citoyens tirés au sort, représentative de la société et qui a rendu des propositions concrètes pour la transition écologique de la France. Ce plan voit surtout le jour à l’heure où les conséquences socio-économiques du coronavirus sont toujours aussi difficiles à quantifier, mais semblent s’aggraver à mesure que la pandémie se poursuit. Derrière ce plan, et son ambition reconstructrice d’une économie « résiliente » et « durable » pour 2030, quelle place occupe la transition écologique ?
L’écologie : un objectif global, et une thématique transversale
Dans ses trois volets, Ecologie, Compétitivité et Cohésion, la transition écologique apparaît en filigrane des mesures annoncées par le gouvernement comme une thématique transversale. L’objectif du gouvernement de créer « la première économie décarbonée d’Europe » s’illustre notamment par des mesures destinées aux secteurs de l’industrie, des transports et du bâtiment, secteurs dont la réduction de l’empreinte carbone est insuffisante au regard de la trajectoire souhaitée d’ici à 2050.
Sur un total de 100 milliards d’euros, le plan France Relance consacre 34 milliards d’euros à des mesures relatives à la compétitivité de l’économie — indépendamment des 30 milliards de mesures spécifiquement orientées vers la transition écologique, et qui comprennent de fortes dimensions innovantes, comme en matière de décarbonation de l’industrie ou de développement des technologies vertes. L’écologie est donc pour le gouvernement un levier important d’accroissement de la compétitivité et de la capacité d’innovation nationales. Le plan prévoit par exemple que le Plan sur les Investissements d’Avenir (PIA), un dispositif de financement engagé depuis 2010, mobilise dans son 4e volet 3,4 milliards d’euros sur des projets innovants au service de la transition écologique, par exemple en matière de recyclage, de mobilité électrique, ou encore d’équipements agricoles durables. Par ailleurs, dans l’objectif de réduire la dépendance industrielle et technologique de la France mise en évidence par la crise sanitaire, le plan prévoit des mesures de financement de certains secteurs stratégiques permettant la relocalisation de certaines technologies électroniques, industrielles ou, bien sûr, médicales. Par exemple, des prêts verts pourront être consentis par la banque publique d’investissement, Bpifrance, à des projets de décarbonation ou de relocalisation de l’industrie. A titre d’illustration, des centres de valorisation des déchets plastiques ou l’installation de nouveaux procédés plus économes en ressources dans l’industrie agroalimentaire ont d’ores et déjà été financés.
La transition écologique est également présente dans le volet Cohésion, qui comprend 36 milliards d’euros de mesures à destination des territoires, et plus généralement de la société, dans l’optique de limiter la hausse des inégalités socio-économiques. Au sein de ce volet figure notamment le soutien à l’emploi, notamment des jeunes, via le soutien à des formations et à des métiers « d’avenir », comme l’accroissement des droits de formation des salariés dans les compétences relatives à la transition écologique. Le soutien aux « dynamiques territoriales », qui vise à favoriser l’émergence de projets et la création d’activité dans les territoires, concerne également des projets de transition énergétique à l’échelle locale, comme le déploiement de bornes de recharge électriques ou le soutien au tourisme durable.
Indépendamment du volet « Ecologie » lui-même, qui vient compléter les mesures « Cohésion » et « Compétitivité », les mesures d’accélération de la transition écologique sont donc omniprésentes dans le plan France Relance, et témoignent d’une très forte volonté de l’État de soutenir une activité économique à tous les niveaux durablement orientée vers la décarbonation de la société.
Le volet « Écologie » : une vision très large des enjeux de la transition énergétique et écologique
Au sein du volet « Écologique » du plan de relance se côtoient des initiatives multiples : la modernisation des stations d’assainissement dans les territoires ultramarins, le soutien à l’économie circulaire et la valorisation des déchets, au même titre que la transformation du secteur agricole, la rénovation des infrastructures de transport, notamment ferroviaires, et le verdissement des ports. Notons cependant quatre points saillants de la démarche du gouvernement en matière écologique :
- Hydrogène vert : la filière hydrogène vert, appelée de ses vœux par la Commission européenne et l’Alliance européenne pour l’hydrogène propre, fait partie intégrante du plan France Relance, et doit permettre de créer entre 50 000 et 100 000 emplois d’ici 2030 sur le territoire national. Jusqu’à 7,2 milliards d’euros pourront être investis d’ici 2030 au titre des investissements du PIA4.
- Industrie nucléaire : le secteur nucléaire fait l’objet d’une mesure à part entière, à hauteur de 200 millions d’euros, dans l’optique de favoriser l’innovation, d’accélérer les opérations de démantèlement des centrales, et d’accroître la compétitivité des entreprises de la filière, qui concentre 220 000 emplois directs et indirects en France. Parmi les projets visés par le plan de relance, un projet de petit réacteur modulaire français, la création d’un un « centre d’excellence » du soudage (compétence éminemment rare et cruciale pour la filière, à l’heure où les difficultés du projet d’EPR à Flamanville et ses 316 000 soudures retardent la livraison du projet et font déraper son coût). Ces mesures sont particulièrement significatives, bien que relativement modestes par rapport à l’enveloppe globale du plan, à l’heure où le gouvernement étudie les scénarios de financement de six nouveaux réacteurs nucléaires EPR d’ici 2044, pour un montant estimé à 47 milliards d’euros.
- Aéronautique et automobile : le plan France Relance comprend un plan de soutien de 2,6 milliards d’euros au secteur de l’aéronautique et de l’automobile, secteurs mis en difficulté par la crise sanitaire ; leur verdissement constitue à la fois une opportunité de croissance, et un lourd engagement financier à consentir dans une période de fragilité sectorielle. Ces mesures visent à la fois à préserver les savoir-faire critiques, d’accélérer la modernisation des entreprises et des procédés, et de soutenir l’innovation dans les aéronefs et les véhicules propres. On peut cependant douter de la pertinence de faire figurer cette mesure dans le volet Écologie du plan de relance, compte tenu, récemment, de la difficulté du ministère de l’Économie de mettre en place une réelle politique d’éco-conditionnalité à destination des entreprises du secteur. Il conviendra de s’assurer que ce plan de soutien est assorti d’exigences réelles en matière de développement technologique et commercial bas carbone.
- Rénovation thermique : la rénovation énergétique du parc immobilier représente le premier poste de dépense du volet Ecologie du plan, avec 6,7 milliards d’euros d’investissement au total. Le bâtiment représente aujourd’hui 40 % des émissions de gaz à effet de serre en France, et représente à ce titre le principal levier de décarbonation de l’économie française. La Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), publiée en 2015 visait la quasi-décarbonation du secteur en 2050. L’enjeu est donc fort de mener des politiques efficaces rapidement, dans la lignée du Pacte vert européen et de la « Renovation wave » appelée de ses vœux par la Commission. Le plan France Relance prévoit de consacrer au total 6,7 milliards d’euros répartis entre les bâtiments publics (4 milliards), les logements privés (2 milliards, notamment via le rehaussement des budgets de subventions aux ménages), les logements sociaux et les TPE/PME. Il convient de préciser que les objectifs fixés par la loi pour la transition énergétique et la croissance verte de 2015, de rénover 500 000 logements par an, dont la moitié occupés par des personnes à faible revenu, ne sont aujourd’hui pas atteint. Le Pacte vert européen prévoit pourtant de doubler l’objectif communautaire actuel, à 2 % du parc européen rénové chaque année. Ces mesures doivent être assorties d’une communication publique simplifiée et d’un accompagnement adapté pour le financement de ces travaux auprès des ménages, car la principale difficulté en France reste une multitude de dispositifs peu lisibles pour les publics ciblés. Il s’agit autant d’une démarche d’efficacité énergétique et de décarbonation que de lutte contre les inégalités socio-économiques et de prévention de la précarité énergétique, à l’heure où de si nombreux ménages sont exposés à des risques économiques accrus.
Quelles critiques et quels exemples ?
Ce sont les axes sur lesquels France Relance compte pour sa diversification. Les critiques ne manquent pas concernant le volet économique du plan sur le sol français, surtout du côté des progressistes. La principale accusation portée contre ce plan est qu’il ne fait que cacher la recette néolibérale habituelle, et ce derrière une forme de marketing réinventée : un trop grand soutien apporté à l’offre, notamment par la réduction de la taxe professionnelle, et peu de soutien à la demande. L’économiste Thomas Piketty aurait souhaité voir plus d’investissements sur les fonctionnaires, et il ne fait aucun doute que le rôle de l’État (à partir de la centralité de ces plans d’investissement pour la relance des économies) se voit de plus en plus ancré dans l’imaginaire collectif. D’autre part, les libéraux, à leur tour, craignent que la dette publique prévue par le plan soit une « bombe à retardement ». Du point de vue de Bruxelles, cependant, le plan peut servir de modèle pour inspirer d’autres pays de l’UE.
De l’autre côté des Alpes, la présentation finale du plan italien tarde à arriver. Sur les questions d’énergie et d’environnement, les propositions en cours d’élaboration sont similaires à celles de la France. Pour stimuler l’ambition du gouvernement, cent signataires issus d’associations et d’entreprises ont mis en avant trois points : augmenter la part des financements du Fonds de relance consacré au climat, concevoir des critères climatiques stricts pour guider les investissements, et dresser une liste des activités expressément néfastes pour le climat qui ne peuvent pas accéder aux financements.
Plus généralement, et ce par rapport au plan français, il semble bon de prendre en compte en particulier au moins deux aspects : en termes de méthode, une harmonie et une clarté des différents domaines de dépenses, ainsi qu’une logique claire et une certaine facilité d’utilisation des contenus par le public. En termes de mérite, outre de nombreux exemples spécifiques, l’ensemble du volet « Cohésion » semble parfaitement convenir à l’Italie, surtout d’un point de vue territorial. La fracture nord-sud continue de s’aggraver dans l’inertie générale, au moment même où la chaîne d’approvisionnement énergétique, entre les énergies renouvelables habituelles (et solides) et le nouvel enthousiasme pour l’hydrogène, pourrait offrir une nouvelle opportunité de relancer le sud.