Début septembre 2020, le ministère des Affaires étrangères pakistanais protestait contre la décision de Charlie Hebdo de republier les caricatures de Mahomet. Dans le même temps, des militants islamistes joignaient l’acte à la parole en descendant dans la rue et en brûlant un drapeau français. Au premier rang, des membres du Tehrik-i-Labbaik Pakistan, fer de la lance de la lutte anti-blasphème et mouvement qui aurait inspiré l’individu qui s’est attaqué à des journalistes devant l’ancien siège parisien de Charlie Hebdo. Leur indignation ne s’étend toutefois pas au sort réservé aux musulmans ouïgours du Xinjiang, les groupes islamistes étant parfaitement conscients des lignes rouges fixées par les autorités militaires et civiles du pays. Le blasphème est un délit mortel au Pakistan. Si la sentence n’est pas appliquée, les accusés peuvent être victimes d’exécutions extrajudiciaires, languir en prison et leurs avocats menacés.
L’acquittement en octobre 2018 par la Cour suprême, comme plus tard l’extradition au printemps 2019 d’Asia Bibi vers l’Occident, ne sauraient être analysés comme une quelconque dilution de la loi sur le blasphème. Cet enchaînement a plus à voir avec la médiatisation de son cas à l’international et avec la volonté des autorités de ne pas donner du grain à moudre au moment où le pays est dans le collimateur du Groupe d’action financière qui combat le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Le 8 septembre, une cour de Lahore a d’ailleurs condamné à mort un chrétien, Asif Pervaiz, pour des SMS blasphématoires. Amnesty International et la Commission pakistanaise des droits humains ont récemment dénoncé une augmentation des accusations de blasphème à l’encontre non seulement de minorités non-musulmanes, mais aussi envers les Ahmedis, une secte musulmane accusée d’hérésie. S’il est constitutionnellement interdit à ceux-ci de se déclarer musulmans dans ce pays très majoritairement sunnite, les plus radicaux vont jusqu’à demander que les chiites soient rangés au rang des kafirs (non-musulmans). En juillet 2020, l’assemblée de la province du Pendjab, dominée par le parti du Premier ministre, Imran Khan, a voté en faveur d’un projet de loi soutenu par le clergé sunnite visant à la préservation du fondement de l’Islam (Tahaffuz-i-Bunyad-i-Islam). Si le projet devait être légalement formalisé, il conduirait à un resserrement de la censure autour d’une lecture univoque de la norme et de l’histoire islamique conduisant à l’interdiction de toute publication jugée répréhensible. Le mois précédent, cette même assemblée avait adopté un amendement à la loi sur les programmes et les manuels scolaires faisant que ceux-ci devront être approuvés par le conseil uni des oulémas. Dans la foulée, il fut annoncé que la délivrance d’un diplôme universitaire, quelque soit la matière, dans la province serait conditionnelle à la capacité du candidat à démontrer également des compétences en matière coranique, dont l’enseignement devient obligatoire.
Si la religion a toujours joué un rôle central dans la République islamique du Pakistan – pays né sur une base confessionnelle –, cette centralité est redynamisée depuis l’accession au poste de chef du gouvernement d’Imran Khan. Il avait mené campagne en 2018 en promettant l’édification d’une société islamique idéale semblable à celle de Médine au temps du prophète Mahomet (VIIe siècle). Si les résultats en matière socio-économique se font attendre, la réaffirmation de l’essence religieuse du pays dans la conduite des affaires est par contre bien présente, et à un niveau rappelant l’islamisation à marche forcée du temps du régime dictatorial du général Zia ul-Haq (1977-1988), lorsque, par exemple, le ministère de l’Éducation était confié à un membre du Jamaat-i-Islami. Récemment, le gouvernement pakistanais a annoncé un programme scolaire national unique (Single National Curriculum), pour l’instant limité à l’enseignement primaire. Les écoles publiques et les madrassas recevront dorénavant un enseignement similaire. Jusqu’alors les différentes écoles de pensées représentées dans les établissements religieux s’étaient opposées à une telle perspective, soucieuses de préserver leur indépendance éducative et financière. Une concession faite à celles-ci est l’accroissement du contenu religieux qui tient davantage de l’apprentissage par cœur de textes sous la conduite d’enseignants venus des madrassas que de l’analyse critique.
Le conservatisme ambiant peut avoir des prolongements inattendus. La Turquie a toujours exercé pour le Pakistan un attrait particulier. Mais si le fondateur du pays, Mohammed Ali Jinnah, avait une admiration certaine pour Atatürk, c’est la Turquie d’Erdogan qu’Imran Khan tient pour modèle, au point même d’encourager ses concitoyens à regarder pour ses valeurs islamiques la série télévisée historique « Diriliş : Ertuğrul » annonçant la fondation de l’empire ottoman. Traduite en ourdou, la série est un immense succès populaire. Le « nouveau Pakistan » promis par l’ancien joueur de cricket peine à afficher un visage libéral.