1 – Les canicules : plus fréquentes, plus longues, plus intenses
La canicule est définie, selon l’Organisation météorologique mondiale, comme une période de plus de cinq jours consécutifs au cours de laquelle la température excède de cinq degrés Celsius la température normale. Il est aujourd’hui avéré que la hausse globale des températures est la conséquence directe de niveaux élevés d’émission et de concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Pour que la température de la Terre reste stable, le volume de rayons infrarouges émis par le soleil doit rester équivalent au volume de rayons infrarouges qui quittent l’atmosphère après avoir été réfléchis par la surface de la terre. Or la concentration croissante de gaz à effet de serre dans l’atmosphère agit comme un isolant qui absorbe les radiations infrarouges sans les rejeter. Si l’effet de serre est un phénomène nécessaire au maintien d’une température moyenne sur Terre, son déséquilibre cause le réchauffement progressif de l’atmosphère et de la surface terrestre 1.
Comme le rapporte Wired, les années 2015 à 2018 ont toutes été plus chaudes que n’importe quelle année depuis 1850, soit depuis le début de la mesure fiable des températures 2. La courbe de Keeling indique en effet que la concentration de gaz à effet de serre, mesurée en ppm (parties par million), ne cesse de croître et a franchi, en 2013, le cap symbolique des 400 ppm – niveau inédit depuis plus de 450 000 ans – à une vitesse tout aussi anormale (le seuil préindustriel s’élevait à 280 ppm 3). Selon une étude de 2015 parue dans Nature Climate Change, les événements météorologiques extrêmes qui se seraient produits deux fois par siècle, pourraient désormais se produire deux fois par décennie depuis les années 2000 4. Les épisodes caniculaires devraient devenir de plus en plus fréquents, longs et intenses ces prochaines décennies.
On ne saurait néanmoins rendre compte du changement climatique sans reconnaître la part d’incertitude qui accompagne la recherche climatologique. L’horizon temporel, l’ampleur et les effets du changement climatique tel qu’accentué par l’homme sont difficilement mesurables et prévisibles avec précision. Son caractère non-linéaire en fournit une illustration éloquente : par exemple, la fonte du pergélisol de l’Arctique a commencé et favorise la libération de grandes quantités de méthane, gaz à fort effet de serre, dans l’atmosphère. Le réchauffement résultant de la libération de méthane risque de s’auto-alimenter en accélérant le réchauffement, et donc une fonte plus rapide encore du pergélisol. Au-delà des cycles naturels du climat, la fréquence rapprochée des événements climatiques extrêmes (les évolutions par rapport aux conditions atmosphériques globales à moyen et long terme) et des épisodes météorologiques (phénomènes atmosphériques locaux et à court terme) présente des enjeux économiques, sociaux, humains et environnementaux inédits et croissants. Le coût total du changement climatique est aujourd’hui évalué à près de 1 400 trillions de dollars d’ici 2300 dans le cas du respect des objectifs de l’Accord de Paris ; dans le cas d’un maintien de la trajectoire actuelle, ce coût pourrait s’élever à plus de 2 000 trillions de dollars 5. À titre de comparaison, le coût de l’épidémie de coronavirus pour l’économie mondiale s’élèverait, selon une estimation de la Banque asiatique de développement, à 8 trillions de dollars 6.
2 – Les points de bascule : vers la disparition irréversible des écosystèmes éternels ?
L’intensification et la multiplication récentes des épisodes caniculaires exerce une pression nouvelle sur les écosystèmes, y compris des milieux présentés comme « éternels ». C’est ainsi que l’on désigne par exemple les neiges et glaciers persistants au sommet des montagnes, les calottes glaciaires de l’Arctique ou de l’Antarctique, ou encore le pergélisol mentionné plus haut. Bien qu’impropre, le terme « éternel » renvoie à la notion de stabilité géoclimatique des écosystèmes sur le très long terme (plusieurs centaines d’années) en dépit de la variabilité des cycles météorologiques.
L’Arctique est une région particulièrement vulnérable face au réchauffement climatique, la vitesse observée de son réchauffement étant deux fois plus élevée que la moyenne planétaire. En Sibérie, le record de chaleur de 38°C a été mesuré dans la ville de Verkhoïansk en Russie en juillet ; la probabilité d’occurrence d’une vague de chaleur aurait été multipliée par 600 à cause du changement climatique, selon une étude récente 7 ; des feux de forêt importants ont été constatés, sur une surface tendanciellement à la hausse ; la tragique marée noire du mois de juin est attribuée à la fonte du pergélisol, la fragilisation du sol et des infrastructures qui en résulte ayant touché les réservoirs de produits pétroliers. Si certains phénomènes, comme les feux en Sibérie l’été, ne sont pas nouveaux, leur intensité et leur probabilité accrue sur une zone géographique plus étendue pose la question des mesures publiques d’adaptation à ces changements.
Ces écosystèmes que l’on pensait pérennes sont-ils perdus à jamais ? La notion de « point de bascule » permet d’approcher celle de l’irréversibilité du changement climatique. Un point de bascule (climate tipping point) désigne un seuil à partir duquel le système climatique basculerait dans un nouvel état, dont le retour à l’état initial ne serait pas permis par l’atténuation des facteurs de ce basculement. La désintégration partielle ou totale des calottes glaciaires arctiques et antarctiques constitue l’un de ces points de bascule, pouvant précipiter la hausse du niveau des océans et la libération de gaz à effet de serre dans une mesure inédite.
La notion de point de bascule a été introduite par le GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) il y a plus de vingt ans, mais le risque que ces phénomènes se matérialisent avait initialement été évalué à un scénario de réchauffement de +5°C au-dessus des niveaux pré-industriels. Les rapports spéciaux de 2018 et 2019 tendent à démontrer que ces points de non-retour auraient des chances non-négligeables de se produire dans un scénario de réchauffement situé entre +1°C (réchauffement déjà observé aujourd’hui) et +2°C (objectif limite de l’Accord de Paris) 8.
3 – L’emballement du réchauffement
L’une des principales menaces posées par le réchauffement climatique, et plus généralement par le changement climatique réside dans ces points de bascule et dans les « réactions en chaîne » consécutives, entre et au sein des écosystèmes. Leur niveau élevé d’interdépendance peut déclencher des « boucles de rétroaction », c’est-à-dire des phénomènes d’emballement et d’auto-alimentation des dérèglements climatiques, comme dans le cas de la fonte du pergélisol : en fondant, le sol gelé libère du méthane, alimentant la concentration excessive de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, elle-même accélérant en retour la fonte du pergélisol.
La hausse du niveau des océans constitue un autre exemple des boucles de rétroaction. Le réchauffement de la température de l’océan et la fonte accélérée des glaciers causent l’expansion et la dilatation des océans. La hausse du niveau des océans accroît d’une part le risque de submersion des espaces côtiers, où se concentre une part croissante de la population mondiale ; il augmente aussi le risque de salinisation des sols agricoles, comme on l’observe déjà dans le delta du Mékong. L’intrusion d’eau salée dans les estuaires et les aquifères contamine les eaux souterraines, source importante d’approvisionnement en eau potable. La pluie peut diluer ce sel, jusqu’à un certain niveau de salinité de l’eau et sous réserve d’un volume de précipitations suffisant. Dans certaines régions d’Asie, la sécheresse et la salinisation des sols rencontrent la croissance démographique et la hausse de la demande en eau potable et non-potable, accentuant la pression sur l’accès à l’eau. La concentration plus élevée de sel dans les terres arables diminue également les rendements agricoles, menaçant la sécurité alimentaire et les équilibres socio-économiques régionaux 9.
4 – Une planète inhabitable ?
Le réchauffement est donc l’un des symptômes du changement climatique, au même titre que (et en lien avec) d’autres phénomènes extrêmes affectant tous types de milieux. Un indicateur étroitement lié au réchauffement et à sa létalité est celui de l’humidité. Dans certaines régions, là où le réchauffement aura lieu, la hausse du taux d’humidité de l’air risque de l’accompagner et de rendre l’air tout simplement irrespirable pour de nombreuses espèces, dont l’homme. La température « humide » (wetbulb temperature) mesure à la fois la température et le taux d’humidité, et celle à laquelle l’organisme ne peut plus ramener sa température à un niveau soutenable par la transpiration. Cette température mortelle est évaluée à 35°TW, un niveau jamais observé sur la planète depuis plusieurs millions d’années. Dans une étude parue en mai dernier 10, des chercheurs ont démontré que les épisodes de forte chaleur récents se rapprochent toujours davantage de cette limite fatale. En cas de réchauffement planétaire supérieur à 2°C, ces épisodes pourraient se produire fréquemment, a fortiori dans des régions comme le Golfe persique et l’Asie du sud.
Dès aujourd’hui, la fréquence des épisodes de température humide très élevée, et déjà difficilement soutenable pour le corps humain, a doublé depuis 1979 – aux Émirats arabes unis, par exemple, les 35°TW ont déjà été quasiment atteints, par brèves occurrences. Les conséquences pour de nombreux organismes vivants, dont le corps humain, sont rapides : en quelques heures, les organes ne peuvent plus fonctionner correctement et défaillent, et le corps succombe à une hyperthermie. À terme, l’habitabilité pour l’homme de ces régions repose donc sur des moyens de compensation, comme la climatisation des espaces de vie.
À 35°TW, ces épisodes sont aujourd’hui rarissimes. En revanche, la multiplication de périodes de forte chaleur humide pose la question, bien plus tôt que les scientifiques ne le pensaient, de l’habitabilité de régions entières de la planète, conditionnée à la présence de ressources importantes, en eau comme en énergie.
5 – Les pays du Sud, moins préparés et plus vulnérables
Il est aujourd’hui avéré que les pays les plus pauvres seront aussi les plus exposés au réchauffement climatique : selon des études récentes, c’est au Moyen-Orient et dans certaines régions d’Afrique et d’Amérique du Sud que les hausses de températures sont les plus importantes 11. Cette vulnérabilité est d’autant plus forte que ces régions connaissent des croissances démographiques souvent plus élevées, exposant des populations de plus en plus nombreuses aux vagues de chaleur plus fréquentes et intenses.
Cette année, des records historiques de températures ont été atteints à Bagdad (51,6°C), à Damas, Amman et Riyad (> 46°), dans des territoires d’ores et déjà confrontés à des climats chauds, à des niveaux de stress hydrique élevés et à des niveaux de sécurité d’approvisionnement électrique souvent préoccupants 12, impactant directement la capacité des sociétés à lutter contre les effets immédiats des canicules.
L’Europe est aujourd’hui la région du monde où les canicules sont les plus meurtrières, avec un total de 83 épisodes et 140 000 décès depuis le début du XXe siècle, selon le Centre for Research on Epidemiology of Disasters (CRES) 13. Mais le faible niveau de surveillance des décès liés aux canicules dans les pays du Sud rend particulièrement difficile l’acuité du diagnostic. Leur croissance démographique, associée à l’accélération de l’urbanisation mondiale et au faible niveau de surveillance des décès liés aux épisodes de canicule, accentue l’urgence de la mise en place de mesures de mitigation des effets du réchauffement.
Le réchauffement climatique accroît également la compétition pour, et les inégalités d’accès à, certains services essentiels comme l’eau potable. Du fait de la déplétion des nappes phréatiques, de la baisse d’intensité des moussons (qui représentent parfois jusqu’à 80 % du volume de précipitation annuel d’un pays), d’une gestion insuffisante des ressources et d’un manque d’infrastructures adaptées, c’est aujourd’hui un quart de la population mondiale, dans 17 pays, qui fait face à un risque de stress hydrique élevé 14. En Inde, c’est un quart de la population, soit plus de 330 millions de personnes, qui fait d’ores et déjà face à des pénuries d’eau 15.
6 – Chaleurs extrêmes : les infrastructures essentielles menacées
Outre la fragilisation de l’environnement, les épisodes de forte chaleur mettent en péril de nombreuses infrastructures critiques, notamment en matière de transport et d’énergie. Construites pour être opérationnelles dans une fourchette précise de conditions météorologiques et climatiques, les infrastructures ferroviaires, autoroutières et même aéroportuaires peuvent être confrontées à des aléas et à des avaries matérielles susceptibles de suspendre leur exploitation pendant plusieurs jours. C’est notamment le cas des rails et du matériel roulant, où des températures élevées peuvent provoquer le relâchement des rails. C’est aussi le cas des avions, dont l’air chaud affaiblit la portance et complique les conditions de décollage, ou encore des routes, dont le bitume peut fondre sous l’effet de chaleurs extrêmes.
Selon un récent rapport de la Commission européenne, les pays du Sud de l’Europe seraient les plus exposés aux fortes variations de températures de l’air et de l’asphalte. À l’échelle européenne, le coût total de la maintenance et de l’adaptation des infrastructures routières en Europe est estimé entre 38 et 210 millions d’euros par an sur la période 2040-2100. Le risque de relâchement des rails pourrait lui aussi occasionner des coûts supplémentaires de l’ordre de 20 à 130 millions d’euros par an sur la période 2040-2100 16, selon le même rapport et dans les conditions d’exploitation actuelles.
Parmi les infrastructures énergétiques, les centrales nucléaires sont les principales infrastructures menacées par les fortes chaleurs. De par leur conception, la majorité d’entre elles puisent en effet l’eau servant à refroidir leurs réacteurs dans des cours d’eau voisins ; or, si l’eau est trop chaude, la puissance de la centrale nucléaire peut être revue à la baisse pour ne pas affecter la sûreté des réacteurs. De même, l’eau rejetée par la centrale après refroidissement ne peut excéder une certaine température (28°C en France) de façon à ne pas déséquilibrer les écosystèmes aquatiques et rivulaires. Ce risque est aujourd’hui faible, et son impact minime sur la production électrique européenne. En 2018, ce sont 7 des 126 réacteurs en opération en Europe qui ont dû baisser leur puissance en raison des fortes chaleurs. La fréquence et l’intensification des vagues de chaleur pourrait néanmoins accroître le nombre de réacteurs concernés ces prochaines années 17.
D’autres sources de production électrique sont également menacées par les fortes chaleurs, comme l’hydroélectricité, en raison du niveau exceptionnellement bas des cours d’eau, des lacs et donc des barrages. Comme l’a souligné le rapport du Sénat sur la canicule de 2003, le réseau de transport et de distribution d’électricité a été également affecté, les liaisons aériennes et souterraines de haute et basse tension ayant par endroits atteint leurs conditions limites d’exploitation face à la hausse des températures de l’air et des sols 18.
7 – Canicule et climatisation : un cocktail énergétique explosif
La hausse durable des températures et la multiplication des vagues de chaleurs sont deux des principaux motifs d’accroissement de la demande énergétique mondiale. Le refroidissement de l’air et la climatisation, pour des usages résidentiels, commerciaux ou tertiaires, représentent aujourd’hui 20 % de la consommation d’électricité des bâtiments – eux-mêmes concentrant environ 40 % des émissions de CO2 mondiales. Or, sous l’impulsion d’une forte croissance démographique dans des pays en développement (qui font d’ores et déjà face à des climats très chauds), de leur croissance économique soutenue depuis les années 2010, l’usage des ventilateurs et des systèmes de climatisation tend à se généraliser et à être symbole social de développement 19.
Dans un rapport paru en 2019, l’Agence internationale de l’énergie estime le taux d’équipement des ménages occidentaux en appareils de climatisation à au-delà de 75 %, comme au Japon ou aux États-Unis, contre seulement 20 % au Mexique et moins de 10 % en Inde. Le potentiel de développement de ce marché, et d’explosion de la demande énergétique associée, est colossal. Selon l’AIE, d’ici 2050, sans mesure de renforcement de l’efficacité énergétique des bâtiments, la consommation mondiale d’électricité pour la climatisation pourrait représenter autant que la consommation électrique actuelle de la Chine et de l’Inde cumulées.
Deux principaux risques émanent de ce phénomène : d’abord, l’accroissement de la demande énergétique nécessitera d’autant plus d’accélérer la décarbonation de la production d’électricité, a fortiori dans des pays où les énergies fossiles représentent encore la grande majorité du mix électrique. En Inde, par exemple, 75 % de la production d’électricité provient du charbon, contre 20 % pour les énergies renouvelables 20. D’autre part, le recours accru et généralisé à la climatisation, combiné au phénomène d’urbanisation mondiale accélérée, contribue à accentuer le réchauffement des grandes villes, particulièrement vulnérables face à ce phénomène.
55 % de la population mondiale vit aujourd’hui en ville ; en 2050, plus de 75 % habitera des métropoles 21. Or, la climatisation enclenche un cercle vicieux : celui des îlots de chaleur urbains, particulièrement répandu dans les grandes villes. L’augmentation des températures accroît l’usage de la climatisation, tandis que la climatisation rejette de l’air chaud dans l’air ambiant, contribuant à augmenter la température ressentie en ville.
Face à cette impasse, les villes mondiales développent de nouvelles stratégies d’aménagement. Il a par exemple été démontré que la végétalisation des sols urbains pouvait réduire la température diurne et nocturne, tandis que la végétalisation des toitures des bâtiments pouvait améliorer l’isolation thermique et phonique des bâtiments, réduisant à long terme le niveau global stress thermique des villes. Compte tenu de l’urbanisation et du bilan carbone du bâtiment, l’adaptation des normes de construction est particulièrement critique pour limiter le réchauffement des villes. Cela passe notamment par la prise en considération systématique des paramètres météorologiques locaux, comme l’ensoleillement et l’humidité, et par le développement de stratégies de construction appropriées, par exemple en s’inspirant des méthodes traditionnelles. Au-delà de l’investissement financier à consentir pour adapter les villes au réchauffement, ce phénomène ne pourra être endigué sans la mise en œuvre et le suivi rapproché de politiques ciblées.
8 – Le coronavirus, répit pour le climat ?
La pandémie de coronavirus a donné lieu à une chute brutale et importante de la demande énergétique, lors du confinement de la Chine puis des pays européens aux mois de mars et d’avril. Selon une étude parue dans Nature Climate Change, les émissions mondiales auraient baissé de 17 % en avril 2020 par rapport aux niveaux de 2019, et pourraient baisser de 8 % au total sur l’année 2020 par rapport à l’année dernière 22.
La réduction drastique des émissions liées aux transports automobile et aérien, et à l’activité économique commerciale et industrielle a donné des embellies momentanées. La biodiversité a ponctuellement profité de la suspension d’une grande partie de l’activité humaine 23, et la qualité de l’air de nombreuses villes s’est améliorée, comme en témoigne la visibilité restaurée, inédite depuis trente ans, des montagnes de l’Himalaya depuis Saharanpur en Inde ce printemps. En revanche, la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère dont nous souffrons en 2020 n’est pas héritée de 2019, ni même des années récentes, le CO2 “résidant” dans l’atmosphère pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies pour certains gaz à effet de serre comme les hydrofluorocarbures (HFC). Ainsi, la réduction momentanée des émissions n’est pas en mesure d’endiguer rapidement la variété de phénomènes dus au changement climatique.
De même, l’urgence du réchauffement est d’autant plus criante que cette “dette carbone” n’est pas immédiatement réversible, au regard de la notion de “budget carbone” planétaire, c’est-à-dire le volume d’émissions maximal permettant de respecter un réchauffement climatique limite. Selon le GIEC dans son rapport spécial paru en 2018, au rythme d’émissions actuel, le budget carbone mondial serait épuisé en 2030, et avec lui notre capacité à respecter l’objectif de +1,5°C de l’Accord de Paris.
Cependant, l’épisode du confinement n’aura probablement aucun impact sur le réchauffement climatique et la réduction durable des émissions de CO2. Il n’aurait, selon certains scientifiques, qu’un effet marginal sur la trajectoire CO2 d’ici à 2050, de l’ordre de -0,01°C 24. Au contraire, le coronavirus a fait émerger des comportements potentiellement néfastes pour l’environnement. A titre d’exemple, le Royaume-Uni a retrouvé au mois de juillet son niveau de trafic routier pré-pandémie, alors que les transports publics sont toujours sous-utilisés (fréquentés à 30 % de leur niveau pré-COVID-19) en raison de la crainte des usagers d’y contracter le virus. Les gestionnaires de réseaux de transports urbains subissent d’importantes pertes de revenus en raison de la désertion durable des usagers, qui se reportent sur les véhicules individuels par souci de sécurité sanitaire. 47 % des usagers envisageraient en effet de réduire leur recours des transports publics à l’avenir 25. Ce report pourrait rapidement accroître le niveau d’embouteillages déjà élevé des métropoles, et créer un rebond dans le niveau d’émissions associées. L’impact de ce “rebond” est aujourd’hui difficile à évaluer ; il sera fonction à la fois de la durée de la pandémie et des mesures climatiques prises par les autorités à différentes échelles.
9 – Pandémies et réchauffement : mener deux combats de front
La pandémie de coronavirus a mis en évidence le lien entre crise écologique et crise sanitaire, et plus particulièrement la multiplication des risques sanitaires en raison de la pression que nous exerçons sur les écosystèmes. En accélérant le réchauffement climatique et en réduisant les enclaves de biodiversité, l’activité humaine fragilise ces dernières et nous expose à des contacts plus fréquents avec les espèces sauvages et porteuses de maladies dangereuses pour l’homme. Ces maladies, les « zoonoses », viennent s’additionner à d’autres risques redoutés comme le risque de libération de virus, nouveaux ou endormis, avec la fonte des glaces.
Le coronavirus a fourni un exemple brutal des difficultés économiques, politiques et sociales posées par le changement climatique, dans un environnement en proie à une multitude de risques, en l’occurrence sanitaires. La gestion d’une crise sanitaire comme celle du coronavirus peut se heurter de plein fouet à la gestion des effets du réchauffement climatique, comme les canicules 26. La concentration de populations en quête de rafraîchissement sur les plages met en péril le respect de la distanciation physique ; les personnes vulnérables face au coronavirus sont généralement aussi plus vulnérables face aux vagues de chaleur et à leurs conséquences sur la santé. L’assistance publique aux personnes vulnérables, comme les personnes âgées ou économiquement précaires, peut être rendue plus difficile par la tension exercée par le coronavirus sur les services sanitaires et sociaux, comme l’a récemment souligné l’Organisation Météorologique Internationale 27. L’usage de la climatisation peut être limité ou interdit pour des raisons sanitaires ; alors que la possibilité de la transmission par l’air du coronavirus a été reconnue par l’Organisation Mondiale pour la Santé 28 au début du mois de juillet, les débats sur le risque de propagation par la climatisation et les ventilateurs posent un risque additionnel pour la sécurité sanitaire en espace clos, que des malades ou des personnes vulnérables s’y trouvent ou non.
10 – Limiter le réchauffement : les conditions d’une relance verte
Un consensus politique s’est cristallisé autour de la nécessité de concilier relance économique post-COVID et lutte contre le changement climatique. Cela passe notamment par le soutien aux secteurs d’activité renforçant la résilience économique et énergétique de nos sociétés, et au sein de ces secteurs, par la promotion de techniques et de pratiques durables. C’est notamment le cas du secteur de l’énergie, mais aussi du secteur de la construction, agricole ou industriel.
Selon le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie, la mise en œuvre de politiques publiques et d’investissements ciblées, sur la période allant de 2021 à 2023, pourrait rapporter environ 1,1 % de croissance par an. Sur le plan climatique, il pourrait contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 4,5 milliards de tonnes – par rapport aux 33 milliards de tonnes émises en 2019. Le coût d’un tel plan s’élèverait à 1 000 milliards de dollars par an sur les trois prochaines années à l’échelle mondiale, soit 0,7 % du PIB mondial, réparti entre efforts publics (300 milliards) et privés (700 milliards). Pour rappel, et à titre de comparaison, le Pacte vert européen prévoit, lui, de mobiliser un total de 1 000 milliards d’euros sur 10 ans, dont plus de 500 milliards au titre du budget européen pour les deux prochaines périodes, 2021-2027 et les suivantes.
Une autre étude, parue dans Nature Climate Change, met en évidence que parmi les différents scénarios de relance, seul le scénario le plus ambitieux sur le plan climatique aurait plus de 50 % de chances de limiter le réchauffement à +1,5°C par rapport au niveau pré-industriel 29. Le scénario de relance verte “soutenue” (qui signifierait pour les gouvernements de cibler les technologies bas-carbone, d’impulser le désinvestissement général dans les énergies fossiles et de dédier l’équivalent de 1,2 % du PIB mondial à la lutte contre le changement climatique) permettrait une baisse de 35 à 50 % des émissions à 2030 et l’atteinte d’un “zéro net” carbone en 2050 dans le cas de la relance verte soutenue, ou en 2060 dans le cas du scénario modéré. La concentration de CO2 dans l’atmosphère, elle, se stabiliserait en 2050 au niveau de 2020. Ces projections attestent la difficulté d’endiguer certains phénomènes précis, comme le réchauffement, indépendamment de la part d’incertitude liée à la mesure de l’impact de l’action climatique 30.
Sources
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- Id., figure 5.