L’espace commande

L’épicentre de la révolte à Bamako est le quartier de Badalabougou, situé sur la rive droite du fleuve. C’est une commune relativement récente car créée en 1978, moment où le Mali sort de son  isolement économique dû à sa rupture avec le cadre postcolonial. Ce pays a toujours été rétif à la soumission et Bamako a été le foyer de la naissance du RDA, le grand parti de l’indépendance en AOF. Aujourd’hui, la commune draine une population diverse attirée à la fois par les nouveaux espaces commerciaux et le foncier plus disponible mais cher. Voici ce que dit un guide  : «  Vous cherchez encore où loger à Bamako ? Les hôtels sont pris d’assaut ? On passe de l’autre côté du fleuve Niger pour trouver les deux quartiers de Torokorobougou et Badalabougou, de l’autre côté du Pont des Martyrs. La zone renferme de nombreux restaurants, de nombreux petits marchés populaires et des magasins plus huppés.  »

Le pont des martyrs tire son nom des victimes de la révolution de 1990-1991, qui chasse le régime marxisant de Moussa Traoré. Il y a 20 ans que Badalabougou était un avant-poste de la contestation du pouvoir.  Le 5 octobre 1990, une manifestation demandant l’instauration du multipartisme y est organisée par l’AJDP (Association des Jeunes pour la Démocratie et le Progrès). Si elle n’a rassemblé qu’une dizaine de personnes, elle marque le début du mouvement de contestation populaire du pouvoir de Moussa Traoré. La même année voit la création de plusieurs partis et mouvements tels que le Congrès national d’initiative démocratique, l’Alliance pour la démocratie au Mali et l’Association des élèves et étudiants du Mali, qui s’allient pour dénoncer le régime de Traoré. En 1990 on assiste à la création du bureau de coordination de l’AEEM sur la colline de Badalabougou1 et sa vulgarisation à travers les comités dans tout le pays avec Oumar Mariko comme Secrétaire général.

C’est aussi une zone où la loi comme l’urbanisation ont laissé des interstices. Un roman, «  Doux comme la mort  », de Laurent Guillaume, y situe le repli d’un soldat perdu qui venait assassiner en 2012 un leader d’Al Quaida et y mêle un ministre français de la défense. Une histoire sans doute bien improbable. Encore que Badalabougou se trouve impliqué dans les relocalisations de la force de frappe anti-terroriste au Sahel  :  le quartier général de cette force lancée en 2017 par le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) à Sévaré, dans le centre du Mali, a été frappé le 29 juin par une attaque djihadiste et déménagé par la suite à Bamako, dans le quartier de Badalabougou. Après avoir barré la route menant au Quartier Général, situé au pied d’une colline, les manifestants ont installé une habitation de fortune devant l’entrée.

«  Nous ne voulons pas du G5 ici. Leur objectif est de lutter contre les terroristes. Ils n’ont qu’à prendre la direction du nord du Mali, et non venir rester à Bamako  », a déclaré à l’AFP Mariam Keïta, représentante des femmes de militaires maliens, et l’une des organisatrices du sit-in.

«  Il faut que les militaires du G5 partent au front. Ils ne doivent pas rester ici  », a affirmé de son côté Maïmouna Kanté, veuve d’un militaire tué dans le nord du Mali.

Ousmane Traoré, responsable d’une association de jeunes du quartier co-organisatrice du rassemblement, a indiqué craindre que la présence de ce QG n’y attire des attentats, comme celui de Sévaré en juin. «  Ici nous ne sommes que des civils. Et s’il y a des attentats, les victimes seront des civils  », a-t-il affirmé à l’AFP. Dans son dernier rapport sur cette force, publié le 6 mai, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres fait état de la signature d’un accord avec les autorités maliennes «  par lequel un siège provisoire a été mis à la disposition de la force conjointe au mess des officiers à Badalabougou  ».

Au bas de cette colline inspirée, la mosquée de l’Imam Dicko est le point de rassemblement d’une grosse centaine de jeunes ces derniers jours. Les morts nombreux qui sont recensés tombent de l’autre côté du pont, Badalabougou étant un point de départ comme après le coup d’État de 2012  : «  Ladite marche de l’Association des élèves et étudiants du Mali a débuté à la colline de Badalabougou à la rive droite pour terminer au monument des martyrs au quartier du fleuve à la rive gauche. La fin du meeting a failli dégénérer. En effet, lorsque deux véhicules 4X4 avec à bords une douzaine de militaires, gardes et gendarmes sont venus aux alentours de la bourse du travail, certains jeunes du Fusader ont jeté sur eux des cailloux. Par la suite, ils se sont retirés sans tirer un coup de fusil. Il est à noter qu’au passage des militaires, la quasi-totalité des militants du Fusader étaient rentrés chez eux à la demande de Tiébilé Dramé qui leur avait dit de façon insistante ‘Rentrez chez vous’. Le bureau va se réunir pour élaborer un plan d’actions afin d’organiser la riposte ». Peu de temps après le départ des militaires, une interview avec le Pr. Ali Nouhoum Diallo, un des acteurs du mouvement démocratique depuis les événements de mars 1991, a été interrompue par une dizaine de jeunes qui se présentaient « Nous sommes les gens du capitaine Sanogo ». De l’autre côté, dans la même matinée du lundi 26 mars, les militants du MP22 (Mouvement populaire du 22 mars, en référence au coup d’état militaire) ont animé une conférence de presse au siège de Radio Kayira dont le promoteur est le secrétaire général du parti Sadi, Dr Oumar Mariko. Tous ces noms sont encore des protagonistes de l’affrontement avec le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), dont la communauté internationale a toléré durant de nombreuses années une série de hold-up, dont certains électoraux. Qu’il est étrange de lire dans le journal le Monde une tribune récente2 de Serge Michailof3 : poursuivant un récit de malédiction du Sahel, il pense que la France cherche une porte de sortie, mais oublie que c’est un pays qui étouffe avec sa complicité. Les responsabilités françaises dans le renversement militaire du précedent président malien, Amadou Toumani Touré, seront un jour établies et l’implication de l’ex-président mauritanien4 va dans les jours qui viennent être exposée. 

Autant l’espace politique de Bamako se dessine entre Koulouba et Badalabougou, autant sa cartographie confessionnelle est complexe et bien sûr n’obéit pas au schéma persan que prône Michailof, avec un guide suprême de la révolution islamique.

Les districts de la religion

IBK veut faire croire que ses adversaires sont religieux. En réalité ce sont une fois de plus les étudiants, les chômeurs, les voyous et des hommes politiques à qui  la disparition toujours inexpliquée du leader de l’opposition redonne du lustre et une occasion de rejouer des cartes.  Le prêcheur Haïdara est ainsi mis en avant par l’État pour contrer la CMAS de l’imam Dicko. C’est le général Moussa Diawara, le directeur général de la sécurité d’Etat (DGSE) du Mali, l’homme le plus puissant du régime,  après accord et instruction du président de la république Ibrahim Boubacar Keita, qui a institué le président du haut conseil islamique du Mali. Il s’agit  de  Madani Haïdara, appuyé par Macky Bah et  Moussa Bah. Le premier ministre Boubou Cissé a chargé le ministre des cultes Thierno Diallo de soutenir les activités de la nouvelle association politico-religieuse proche du pouvoir. Le président de l’assemblée nationale, Moussa Timbiné5, est chargé de faire élaborer les textes de la nouvelle association dont le président d’honneur sera M Haïdara. Tout ne semble pas aller dans le sens de la convergence car le même Haïdara n’a pas invité à la cérémonie de lecture du coran les leaders religieux wahhabites (tel est Mahamoud Dicko, assimilé par certains au sauveur Khomeiny) ou Tidjane ( proches du chérif Bouyé Haidara), sous prétexte qu’ils sont ennemis du président IBK. La dite cérémonie a été effectuée dans la mosquée du prêcheur Haïdara au quartier Banconi.

Vingt ans  après

D’un quartier l’autre, en 2020, le livre saint et le minaret ont supplanté la boite d’allumettes et le bidon d’essence de 1991. Ce n’est cependant pas une porte de sortie mais une impasse, car la religion n’est qu’une composante de la géopolitique.

Sources
  1. Dite aussi colline du savoir : L’université de Bamako est située sur la colline de Badalabougou, qu’on appelle ainsi pour montrer que l’université est l’univers du savoir
  2. « L’imam Dicko peut offrir une porte de sortie à la France au Mali », Pour Serge Michailof, chercheur à l’Iris et ex-directeur des opérations de l’Agence française de développement, le religieux pourrait se révéler « un Khomeiny malien ».Publié le 10 juillet 2020 à 12h36 – Mis à jour le 10 juillet 2020 à 16h45
  3. Lire aussi  : « Le Sahel est en train de décrocher »
  4. La Mauritanie a mené en 2010 et 2011 des opérations militaires contre Aqmi dans le nord du Mali, une vaste région finalement tombée il y a plus de six mois aux mains de divers groupes armés et aujourd’hui totalement contrôlée par des djihadistes, dont Aqmi, qui y appliquent la charia.  Une opération militaire ouest-africaine soutenue par l’ONU est en préparation pour reconquérir le nord du Mali. Le président Aziz a dit que la Mauritanie n’y participerait pas avec des troupes au sol.
  5. Qui ne devrait pas conserver son perchoir longtemps, tant son élection est décriée, y compris par le gouvernement français.