La Commission européenne a rendu sa stratégie pour l’hydrogène propre « en vue d’une Europe neutre climatiquement » ce mercredi 8 juillet. Elle animait dans la foulée une conférence pour inaugurer l’alliance européenne pour l’hydrogène propre en présence du vice-président de la Commission Frans Timmermans, du commissaire au marché intérieur Thierry Breton et des ministres des finances de l’Allemagne, du Portugal, de la République Tchèque et de la France ainsi que des dirigeants industriels.

Ce plan est largement soutenu par la nouvelle présidence allemande de l’Union européenne et en particulier par le ministre fédéral des finances Peter Altmaier, qui a présenté la stratégie nationale allemande pour l’hydrogène le 10 juin dernier. D’ici 2040, la Commission prévoirait d’investir 140 milliards d’euros dans la production, mais aussi le transport et l’utilisation d’hydrogène décarboné via l’utilisation des fonds de l’Union mais aussi de prêts de la Banque européenne d’investissement. A terme, l’Union envisagerait de profiter de sa longueur d’avance dans le domaine pour structurer un marché mondial et ouvert de l’hydrogène, comme il en existe pour le pétrole ou le gaz naturel, avec un cours unique en euros se substituant aux contrats d’abonnement aujourd’hui pratiqués entre fournisseurs d’hydrogène et consommateurs industriels1. L’échange en euros assurerait un avantage commercial de long terme pour l’Union si l’hydrogène venait à passer à l’échelle comme l’échange en dollar américain du pétrole largement bénéficie aux exportations des États-Unis2.

L’hydrogène agite l’actualité énergétique européenne depuis sa mention dans le Green deal européen en décembre dernier. Ce gaz, aujourd’hui principalement un sous-produit de la pétrochimie utilisé pour des procédés industriels, peut être produit avec de l’électricité, potentiellement décarbonée, par électrolyse de l’eau. Ce procédé présente un rendement assez faible, ce qui rendrait son coût prohibitif pour les usages industriels – 3.5€/kg contre 1.5€/kg pour l’hydrogène issue de la pétrochimie. Or, avec l’essor des énergies renouvelables non pilotables dans le mix électrique, notamment en Allemagne, l’hydrogène produit par électrolyse devient un élément de flexibilité valorisable auprès de l’industrie.

En effet, avec l’apparition de pressions financières en faveur de la décarbonisation des grandes entreprises industrielles, avec, en premier chef, l’instauration d’un marché de quotas carbone en Europe, ces dernières, de la métallurgie à la logistique en passant par la chimie – et notamment la chimie de l’ammoniaque indispensable à la production d’engrais pour l’agriculture – ou la mobilité se voient contraintes de décarboniser leurs procédés industriels. Par exemple, avec des modifications de leur équipement, ces entreprises peuvent brûler de l’hydrogène à la place d’énergies fossiles pour chauffer à haute température. L’hydrogène, en brûlant, n’émet pas de gaz à effet de serre. Ces entreprises peuvent aussi utiliser l’hydrogène comme combustible pour des piles qui alimentent des machines électriques. C’est ce double usage, thermique et électrique, qui offre à l’hydrogène vert son statut de « lien magique » dans la transition vers une industrie européenne décarbonée, selon l’expression récente du ministre Altmaier.

Ce « lien magique » relevait encore, avant plans de relances post-Covid, d’un volontarisme des entreprises productrices d’hydrogène. L’hydrogène issue d’électricité renouvelable – appelé hydrogène vert – est plus cher que les batteries au lithium et bien plus cher que des carburants liquides comme le diesel. Certains Californiens roulent depuis quelques années dans des Toyota alimentées par des piles à combustible à l’hydrogène, et certaines villes européennes ou asiatiques lancent des projets pilotes de flottes publiques de bus à hydrogène. Depuis la fin progressive du confinement en Europe de l’Ouest, Nikola, le « Tesla de l’hydrogène », est mieux valorisé au Nasdaq que Ford au NYSE3 ; et tous les grands aciéristes chinois ont signé des accords avec des entreprises productrices d’hydrogène pour des démonstrateurs allant jusqu’au million de tonne d’acier par an produit avec injection d’hydrogène pour limiter l’utilisation du charbon industriel (coke), afin de décarboniser leur production et de s’assurer contre des velléités de taxes carbone aux frontières45. Le plan de la Commission et le lancement de l’alliance industrielle constituent donc un signal fort pour un leadership européen pour l’hydrogène.

Les pays européens, bon indice de performance environnementale

Au moment où l’Allemagne prend la présidence de l’Union européenne, deux mois après l’épineuse question des coronabonds et des houleux règlements de comptes entre États membres sur la gestion de la crise sanitaire, le lancement de l’alliance industrielle pour l’hydrogène constitue un symbole fort pour l’Union. Le ministre de l’énergie du Portugal, Joao Galamba, estimait lors de son intervention à la conférence inaugurale de l’alliance que, ce faisant, l’Europe montrait « qu’au-delà d’être unie dans la diversité, elle pouvait être unie dans l’adversité ». Sans mentionner la nature exacte de l’adversité, le ministre souligne ici tous les plans nationaux publiés dans la fin de la crise sanitaire européenne pour des investissements dans l’hydrogène : le Portugal, les Pays-Bas et le très attendu plan allemand début juin. Ces plans concernent principalement des investissements dans des capacité de production d’hydrogène vert.

En parallèle, les transporteurs de gaz allemands et néerlandais ont dévoilé de grands investissements dans le renforcement des réseaux de gaz naturel mais aussi la mise en place de gazoducs d’hydrogène. L’Italie, où le gaz naturel tient une particulièrement importante dans le mix énergétique, a conduit des essais d’injection d’hydrogène dans le réseau de gaz naturel jusqu’à une teneur de 10 %. Le distributeur de gaz italien Snam a décidé d’acheter exclusivement des équipements compatibles à l’hydrogène. Un premier projet transfrontalier entre la France et l’Allemagne a également été lancé6. Face à cette évolution très rapide, le groupe des cinq (Allemagne, France, Benelux, Autriche et Suisse) s’est réuni plusieurs fois ces derniers mois dans l’objectif de faire converger les réglementations sur l’hydrogène et, en particulier, sur les standards techniques de stockage et d’injection dans le réseau de gaz naturel. C’est ce groupe d’États qui a demandé à la Commission de proposer une stratégie pour l’hydrogène en Europe.

L’hydrogène ouvre des portes pour un aménagement du territoire organisé autour des points de terminaisons des gazoducs et animé par les gouvernements régionaux. Le Nord des Pays-Bas a fondé un partenariat avec les régions Normandie, Auvergne-Rhône-Alpes en France et Tarragone en Espagne et se positionne aujourd’hui comme le point terminal au Nord d’une « vallée européenne de l’hydrogène » reliée par le Sud au Maroc et au Portugal. L’alignement entre les investissements prévus en Ukraine et au Maroc et les politiques de développement de long terme menés par l’Allemagne relance une politique extérieure européenne alors que la Chine semblait jouer seule sur les investissements dans les infrastructures aux marges de l’Europe.

Malgré ces coalitions fortes de développement technologique, une alliance européenne sur la questions ne tenait pas de l’évidence. La transition énergétique allemande repose de plus en plus sur un couplage entre l’électricité et le gaz, gaz naturel comme hydrogène. La stratégie européenne s’aligne donc avec les récents développements de l’energiewende allemande. Les Pays-Bas, le Danemark, le Portugal ou la Norvège se sont très vite positionnés comme des producteurs d’hydrogène potentiels avec de grandes fermes renouvelables. Mais l’effet d’entraînement vers l’Europe de l’Est n’avait rien d’évident, tant la Pologne ou la République Tchèque se montrent réticentes à décarboner leur mix énergétique. Volontariste, Berlin a lancé sa stratégie nationale hydrogène le mois dernier dans la lignée de son plan de relance, mais elle a cherché le soutien de Paris pour créer le consensus au niveau de la Commission et pour s’assurer son relais dans l’alliance. Or la France nucléaire s’est moins mobilisée pour se doter d’infrastructures de couplage entre électricité et gaz ; pour elle, s’engager à soutenir l’hydrogène aujourd’hui conditionne en partie le plan de relance que Bercy doit présenter à la fin de l’été. Lors de la conférence, mercredi, Peter Altmeier a lancé la séquence des ministres de l’énergie en affichant l’alignement parfait entre la stratégie de la Commission et le plan allemand. Bruno Le Maire a conclu la séquence en affichant le soutien de Paris à l’initiative allemande, mais soulignant les conditions françaises en terme de souveraineté énergétique. Le couple franco-allemand semble aligné, du bout des lèvres.

Reste encore pour Berlin à engager les industries de haute température d’Europe de l’Est, et notamment les métallurgistes et les manufacturiers polonais, tchèques et roumains dans la décarbonation de leurs procédés. Avec les négociations sur la réforme du marché carbone européen, à laquelle Varsovie et Prague restent réticents, des investissements hydrogènes communautaires – dont 200 millions d’euros concerneraient exclusivement la métallurgie – offrent des perspectives de négociations intéressantes.

Aux divisions Nord-Sud sur la réponse financière à apporter à la crise sanitaire, et Est-Ouest sur le devenir de la politique climatique du continent, le leadership allemand entend proposer une convergence d’intérêts autour d’investissements concrets, de gazoducs et de décarbonation de procédés industriels et logistiques. La traduction concrète des ambitions de la Commission au sein de projets rentables de l’alliance hydrogène et la stabilité des systèmes énergétiques verdis à l’hydrogène constitueront les deux tests de réalité à moyen terme de cette « unité dans l’adversité. »

Perspectives  :

  • L’Union européenne envoie un signal fort pour des investissements coordonnés dans la production d’hydrogène décarboné. 
  • La stratégie de la Commission sous les présidences allemande puis portugaise du Conseil de l’UE peuvent lancer un réel leadership européen de l’hydrogène, permettant d’en produire en grande quantité et de l’utiliser pour décarboner l’industrie, la logistique et les transports publics.
  • La réaction des industriels d’Europe de l’Est sera un des tests de réalité de ce plan, alors que le Portugal et l’Italie sont déjà alignés sur cette stratégie.
  • L’Europe a une opportunité de développer un marché ouvert en euros pour l’hydrogène décarboné et de diffuser cette technologie comme « lien magique » de sa transition énergétique.