L’Etat-parti a publié dimanche dernier un « livre blanc » de l’histoire de l’épidémie de COVID-19 en Chine. Ce document de 37 000 caractères constitue « l’histoire officielle » du COVID, relate le déroulement de l’action gouvernementale et fait la part belle aux réussites de l’exécutif. Bien entendu un certain nombre de faits et de questions sur les origines de l’épidémie, la gestion locale, les imbroglios et conflits administratifs sont laissés de côté. Mais la publication du rapport est une « preuve » de la confiance du gouvernement dans sa gestion de l’épidémie.
Toutefois, une ombre plane sur le tableau, depuis quelques jours il semble que le sud de la capitale abrite un nouveau foyer. Ainsi, le 13 juin, 45 cas asymptomatiques ont été détectés sur le marché de Xinfadi, dans le sud de la capitale. Le marché a été bouclé dans la nuit selon Caixin alors qu’une désinfection massive est mise en place. Ce foyer a été détecté entre les 11 et 12 juin après qu’une personne ayant fréquenté le marché ait eu des symptômes. Après que cinq cas aient été enregistrés en quelques jours, les autorités du district de Fengtai ont pris les mesures nécessaires : tests massifs, isolement des malades, nettoyage des zones infectées, fermeture des écoles, etc. Une image a beaucoup circulé sur Weibo, qui illustre plutôt bien l’état d’esprit d’une partie de l’opinion publique nationaliste : une personne reçoit sur son compte weibo un message de l’agence AP l’enjoignant de partager des images de la situation au marché de Xinfadi. La personne répond en renvoyant des images du meurtre de George Floyd par la police, accompagné du message « j’ai vu un policier étrangler un malade du covid ». S’il ne faut pas faire de cet image un symbole, elle donne le ton d’une partie de l’opinion, viscéralement anti-américaine.
Vers un renforcement de l’éducation politique dans l’enseignement ?
Le lundi 8 juin, le ministère de l’éducation nationale a publié un document ayant trait à la construction idéologique au sein des institutions de l’enseignement supérieur. Si il y a toujours eu en Chine un enseignement « politique et idéologique » à chaque étape de la scolarité d’un étudiant, avec la nouvelle ère, ces enseignements deviennent plus, voire beaucoup plus « intensifs. » Pour citer le porte parole du ministère de l’éducation : « ce nouveau curriculum a pour but de guider les étudiants dans la construction d’une conscience politique saine et correcte ». Les cours incluront la pensée de Xi Jinping et d’autres éléments du marxisme léninisme.
Chine – Europe
La Chambre de commerce européenne en Chine a publié les conclusions d’un sondage effectué auprès des entreprises d’Europe opérant sur le territoire chinois. Sans surprise, le manque d’avancées concrètes et substantielles vers l’ouverture et la transparence du marché chinois est rapporté par une grande partie et certains sondés dénoncent même le fait de devoir faire face aux difficultés posées par un système administratif opaque, compliqué, voire discriminatoire. En général, le commerce en Chine est décrit comme de plus en plus difficile par la moitié des entreprises. Un autre rapport des Young China Watchers mentionne l’impact négatif de l’influence grandissante du PCC perçu par les personnes interrogées sur les politiques intérieures et extérieures, notamment en ce qui concerne les affaires commerciales.
Ces enquêtes illustrent bien la pression pour l’Union européenne et la Chine de s’accorder sur les investissements étrangers, un accord en négociation depuis 2013 censé être scellé en 2020 et victime du conflit systémique qui caractérise les relations UE-Chine depuis plusieurs mois. La question est d’ailleurs revenue lors d’un appel entre Angela Merkel et Li Keqiang mais aussi entre Xi Jinping et Emmanuel Macron le 5 juin dernier (il n’est par contre pas fait état de la question de Hong Kong alors qu’un conseiller avait fait part de son soutien à la politique chinoise la semaine dernière).
Pourtant, il semble que le représentant de la diplomatie européenne refuse de qualifier la Chine d’ennemie. Revenant sur l’expression « rival systémique » utilisée l’année dernière par le Service européen d’action extérieure, Josep Borrell a réaffirmé que la Chine ne représentait pas une « menace à la paix mondiale », et qu’on ne pouvait nier son rôle dans un monde multilatéral. Une approche qui ressemblerait presque à un pas en arrière, accueillie comme un pied-de-nez par la Chine qui y voit l’émancipation en cours de l’Europe vis-à-vis des États-Unis et le signe d’une coopération renforcée dans un monde post-COVID.
Borrell a en effet répété que la Chine « n’a pas d’ambitions militaires et qu’elle ne veut pas user de la force ni s’impliquer dans des conflits militaires » alors qu’un positionnement plus ferme de l’UE sur les questions de Hong Kong était attendu. Paradoxalement, celui-ci, avec Thierry Breton, a dénoncé la « naïveté » de l’Europe dans Le Figaro (terme que Borrell avait déjà utilisé dans le JDD quelques semaines auparavant), témoignant une nouvelle fois des dysfonctionnements internes de la diplomatie de l’UE. La rhétorique de la « guerre froide », également redondante, semble à la fois diviser et rassembler, Borrell martelant qu’il ne veut y prendre part alors que la Chine y fait des rappels réguliers notamment pour alimenter la théorie d’un front sino-européen contre les États-Unis.
C’est finalement la vice-présidente de la Commission aux valeurs et à la transparence Věra Jourová qui, pour la première fois, a accusé sans détour la Chine d’être une source de désinformation, évoquant des « preuves » et « l’agressivité » de la communication chinoise. Cette annonce répond au récit chinois qui accuse de son côté les gouvernements étrangers de participer à une « pandémie politique », insistant sur sa coopération avec l’Italie qui semble être le point d’entrée choisi par le PCC. Une nouvelle enquête a d’ailleurs démontré cette semaine l’explosion des comptes Twitter d’officiels chinois et de leur activité en constante augmentation alors qu’un article a étudié le cas de campagnes de propagande internes sur la mise en valeur de héros nationaux sponsorisée par Alibaba. Jourová a par ailleurs demandé aux principaux réseaux sociaux de partager régulièrement leurs outils de lutte contre la désinformation, une initiative à laquelle Tik Tok a également été invitée à participer.
Tik Tok avait déjà appelé la vice-présidente en avril pour se défendre de respecter les mesures de vie privée européennes et de lutter activement contre les fausses informations sur la COVID-19. Thierry Breton, commissaire au marché intérieur, s’est par ailleurs entretenu avec le nouveau PDG de la branche européenne de l’entreprise, Kevin Mayer, assurant que Tik Tok allait signer le Code européen de bonnes pratiques contre la désinformation. La nouvelle intervient alors que l’entreprise entend étendre son influence dans l’autre capitale mondiale du lobbying, Washington D.C., par la mise en place d’un second « centre de transparence » (Huawei en a déjà quelques uns en Europe).
L’OTAN s’est abondamment étendu sur les relations « détériorées » avec la Chine lors du lancement de la stratégie de renforcement de l’Alliance pour 2030 à Bruxelles. Là encore cela dit, le secrétaire général Jens Stoltenberg a affirmé que « l’OTAN ne voit pas la Chine comme le nouvel ennemi », faisant écho à la position européenne. Celui-ci a d’ailleurs rappelé que l’OTAN n’était pas l’UE et que cette dernière ne pouvait remplacer une alliance militaire dont 80 % des fonds émanent de non-membres de l’Union.
Deux jours plus tard, Stoltenberg a appelé le Royaume-Uni à protéger ses réseaux alors que le rôle de Huawei dans le pays est de plus en plus remis en question après que l’accès au réseau non-stratégique lui avait été autorisé en janvier dernier. Dans le même temps, l’application Zoom, basée aux États-Unis, est accusée une nouvelle fois d’avoir coopéré avec les autorités chinoises en supprimant des comptes de militants critiques de la Chine, laissant penser que les « différences de système » soulignées par Borrell ne seraient qu’un moyen de justifier l’inaction et la frilosité européenne à attaquer de front les problèmes d’ingérence étrangère.