Ces derniers jours, la Russie a multiplié ses activités en lien avec le processus de paix israélo-palestinien. Du 19 au 22 mai, le vice-ministre russe des Affaires étrangères et représentant de la Russie pour le Proche Orient, Mikhaïl Bogdanov, a multiplié ses entretiens téléphoniques avec le diplomate palestinien Saeb Erekat, le membre du Comité central du Fatah Hussein Sheik et avec le chargé d’affaires israélien à Moscou Eli Belotserkovsky. Il s’est également entretenu avec des représentants de puissances externes au conflit ; le représentant américain pour les négociations internationales Avi Berkowitz, le coordinateur suisse pour le processus de paix Roland Steininger et enfin l’ambassadeur égyptien à Moscou Ihab Nasr. 

Le processus de paix israélo-palestinien a été également au cœur de la discussion qui a eu lieu le 20 mai entre le nouveau ministre des Affaires étrangères israélien, Gabi Ashkenazi, et son homologue russe, Sergey Lavrov. Enfin, suite à une proposition de Moscou, une téléconférence sous le format du « Quartet pour le Moyen-Orient » (Russie, États-Unis, Union Européenne, Nations Unies) s’est tenue le 22 mars afin de discuter du « statut des négociations entre Israël et la Palestine et trouver des solutions destinées à relancer le processus de paix ». Cette implication active de la Russie fait suite à la publication du « plan Trump » par Washington et à la formation du nouveau gouvernement israélien début mai. Cela soulève la question des objectifs poursuivis par la diplomatie russe dans le processus de paix israélo-palestinien alors que le Premier Ministre Israélien Benjamin Netanyahou a annoncé vouloir débuter dès le 1er juillet le processus d’annexion par Israël de certaines colonies situées dans la zone C de la Cisjordanie1.

La Russie entretient des liens historiques et culturels étroits avec Israël et les différentes factions palestiniennes. La large communauté russophone habitant en Israël a permis à Moscou de se rapprocher de l’État hébreu et la mémoire du soutien de l’Union Soviétique à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) reste vive dans l’esprit des leaders vieillissants du côté palestinien. Toutefois, la Russie ne s’est que marginalement impliquée dans les négociations de paix dans les années 2000. Son influence dans le Proche-Orient était d’abord minime puis l’attention de la Russie dans la région s’est focalisée en priorité sur les « Printemps Arabes », l’Accord Nucléaire Iranien et le conflit en Syrie. La Russie dispose aujourd’hui de davantage de leviers dans le Proche-Orient et la période actuelle, qui est potentiellement charnière dans le conflit israélo-Palestinien, offre à Moscou une fenêtre de tir pour jouer un rôle de médiateur. Son activité récente s’est développée autour de trois grands objectifs.        

Premièrement, la Russie tente d’unir les multiples groupes palestiniens autour de la « plateforme politique de l’OLP », comme l’a rappelé Mikhaïl Bogdanov lors de sa conversation avec Saeb Erekat le 19 mai2. Moscou avait organisé une conférence en Février 2019 réunissant 12 mouvements palestiniens (dont le Fatah, le Hamas et le Jihad Islamique) dans ce but, en vain3. Cependant, bien que l’union des factions palestiniennes semble encore être un objectif lointain, l’accélération du déclin économique et de la légitimité de l’Autorité palestinienne, la crise du coronavirus et la possibilité croissante d’une annexion par Israël de la Judée et Samarie ont entraîné la multiplication d’initiatives locales par la société civile palestinienne appelant à une union entre le Fatah et le Hamas. La Russie peut, dans ce contexte, renouveler de façon plus intense son action diplomatique, se prévaloir de maintenir des contacts avec les différents groupes, qu’elle ne désigne pas comme étant des organisations terroristes contrairement aux USA ou à l’UE, et se placer ainsi en médiateur dans les affaires internes palestiniennes afin d’accroitre son influence.

Deuxièmement, la diplomatie russe a insisté, lors des discussions, sur la nécessité de respecter la Charte des Nations Unies et l’intégrité territoriale des territoires palestiniens afin d’établir un état souverain pour la Palestine sur la base des frontières de 1967. À l’opposé de ses actions au sein de l’espace post-soviétique, la Russie s’élève en tant que défenseur de la souveraineté des États et du droit international hors de son « étranger proche ». Moscou tente de souligner ce qu’elle considère comme étant de l’hypocrisie de la part des États-Unis, puisque Washington dénonce l’annexion de la Crimée et autorise dans le même temps l’annexion Israélienne dans le Golan et en Judée et Samarie. Ce faisant, la Russie met en lumière les divisions entre les États-Unis et l’Union Européenne sur la question Palestinienne et tente d’affaiblir le consensus existant dans les gouvernements occidentaux concernant le statut de la Crimée. La mise en oeuvre de l’annexion israélienne (qui reste, il faut le souligner, encore hypothétique puisque que la promesse faite par Netanyahou peut rester du domaine du calcul électoral et que l’opposition de l’appareil sécuritaire israélien freine le processus d’annexion4) pourrait donc amener la Russie à établir des contacts avec les puissances européennes pour émettre une réponse commune dans les instances internationales et s’opposer à la position américaine.

Dans le même temps, et cela constitue le troisième et principal pilier de l’action diplomatique russe, Moscou tente de cultiver son statut de grande puissance en se positionnant en tant que médiateur neutre, agissant pour une « coopération constructive » dans le processus de paix. Le Kremlin estime être particulièrement bien positionné pour se voir reconnu comme tel puisque la Russe bénéficie de bonnes relations avec les multiples acteurs de la région impliqués dans les relations entre Israël et les Palestiniens. La Russie a ainsi insisté pour réunir le Quartet pour le Moyen-Orient et a annoncé vouloir organiser une conférence à Moscou entre Mahmoud Abbas et Benyamin Netanyahou5. Il serait réducteur de percevoir les récentes actions diplomatiques de la Russie comme animé par la seule volonté de s’opposer à la position américaine. Les initiatives menées par Moscou vis-à-vis du processus de paix, et plus largement en général dans sa politique au Proche-Orient, visent en premier lieu à assurer au Kremlin d’être considéré comme une grande puissance, qui doit être prise en compte comme égale à Washington dans les négociations. Il est ainsi probable que la Russie poursuive ses efforts diplomatiques, puisque la période qui s’est ouverte avec la formation du nouveau gouvernement à Jérusalem offre des opportunités à faible coût pour le Kremlin d’agir sur la scène internationale en tant que médiateur. Une coopération entre Washington et Moscou avant le début de la période électorale aux États-Unis autour du processus de paix n’est pas à écarter et représenterait une victoire symbolique majeure pour la Russie.