Malgré un contexte atypique, les négociations du Brexit se poursuivent par écrans interposés. A l’issue du troisième cycle de discussions relatives au Brexit, Michel Barnier a évoqué « des ouvertures modestes », « aucun progrès sur les sujets les plus difficiles », « des positions divergentes » et « un manque d’ambition du Royaume-Uni »1. La critique est franche, le ton singulièrement pessimiste, faisant ressurgir le spectre d’un Brexit sans accord. 

L’impasse des négociations 

Si les deux négociateurs en chef, David Frost du côté britannique et Michel Barnier du côté européen, déplorent mutuellement un manque de progrès dans les négociations du Brexit, chacun estime avoir fait sa part de concessions acceptables, écartant un peu plus le scénario d’un accord à l’amiable. 

Le premier contentieux porte sur l’éventuelle extension de la période de transition. En effet, depuis le 31 janvier 2019, le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne, ouvrant ainsi une période de transition durant laquelle les règles de l’UE continuent de s’appliquer et où les négociations doivent permettre de déboucher à un accord d’ici fin 20202. Néanmoins, compte tenu de l’impasse actuelle et de la crise sanitaire mondiale liée au Covid-19, l’UE préconise une extension de cette période de transition d’un an ou deux, extension que le Royaume-Uni refuse catégoriquement3 : les Britanniques souhaitent se tenir au calendrier actuel afin d’abréger l’incertitude économique et éviter de nouveaux versements au budget de l’UE4. Choix contradictoire selon Michel Barnier qui déplore l’attitude ambivalente du Royaume-Uni « qui ne peut pas refuser de prolonger la transition et en même temps, ralentir les discussions sur des domaines importants »5.

En effet, si le calendrier est maintenu, les négociations-elles, stagnent. Divers points d’achoppement persistent notamment vis-à-vis du commerce où le Royaume-Uni contourne les discussions sur le «  level playing field » (principe de règles de compétition équilibrée) qui doit permettre une concurrence loyale et ouverte garantie par des règles équitables sur les enjeux principaux tels que les questions sociales, environnementales, fiscales ou de protection des consommateurs. La question de l’accès des pêcheurs européens aux eaux britanniques a notamment donné lieu à des discussions particulièrement acrimonieuses. De fait, si l’UE souhaite un accord complet, exhaustif et détaillé, le Royaume-Uni lui, semble aspirer à un simple accord de libre-échange similaire à celui avec le Canada. 

Les conséquences économiques du Brexit sur les PIB des pays membres de l'Union européenne

Des stratégies antagonistes présageant un « no deal »

Ce troisième round de négociations illustre une fois de plus la logique de dissociation6 ou de passager clandestin du Royaume-Uni vis-à-vis du projet européen, qu’il s’y associe ou non. Ainsi, face à un Royaume-Uni déterminé à faire plier l’Union avec une stratégie du surplace7, l’UE, quant à elle, maintient ses exigences et refuse de s’abaisser à un accord déséquilibré, mais pour combien de temps ? En effet, la situation actuelle fait inévitablement écho au modèle du « chicken game » de la théorie des jeux8, selon lequel deux rivaux s’attaquent sur une trajectoire aboutissant inévitablement à une collision. Si l’un cède, l’autre remporte le duel. Si aucun ne fléchit, les deux font les frais de leur ténacité. 

Désormais engagés dans un bras de fer contre-la-montre, l’Union européenne et le Royaume-Uni se retrouvent dans une situation inextricable. Une impasse qui fait resurgir la perspective d’un no deal, et de ses conséquences sur le commerce et la croissance économique déjà mise à mal des deux côtés de la Manche par la crise sanitaire actuelle. Face à cette éventualité, Michel Barnier se dit « déterminé » mais « pessimiste », il exhorte le Royaume-Uni à « être plus réaliste » et à « changer de stratégie »9 afin de faire avancer les discussions, dont la prochaine étape est prévue pour le 1er juin.