Tbilisi. Plusieurs médias internationaux sont revenus sur l’efficacité de la lutte contre le COVID-19 en Géorgie1. Ce pays, avec 626 cas de COVID-19 enregistrés (157 cas pour un million d’habitant), dont seulement 9 décès, a réussi à contenir la pandémie sans pour autant décréter un confinement général.

Conscientes des limites du système sanitaire géorgien, les autorités ont principalement compté, très rapidement, sur la prévention du propagation du virus2. A la fin du mois de février, la décision a été prise de fermer les frontières avec l’Iran et la Chine, ainsi que les écoles, les universités, et les transports publics. Un couvre-feu nocturne a été imposé avec 3000 laris (900 EUR) d’amende pour toute personne qui ne le respecterait pas3.

Alors l’Iran est devenu un des premiers foyers de l’épidémie, les autorités géorgiennes ont décidé de vérifier la température de toutes les personnes arrivant depuis l’étranger à la frontière et envoyer celles qui montraient les moindres symptômes directement de l’aéroport vers les hôtels, souvent luxueux, dont les frais étaient pris en charge par l’Etat4. Il a également été décidé de pister toute personne susceptible d’être entrée en contact avec les malades pour les mettre en quarantaine. C’est ainsi que le premier cas du COVID-19 a été identifié à la frontière géorgienne. À ce jour, 5000 personnes sont encore en quarantaine.5

Afin de pister les personnes, le gouvernement a encouragé les gens à massivement télécharger l’application StopCovid6. Cette application, développée par l’ONG autrichienne Novid20, qui pourrait également être utilisée en France, en dépit de certaines complications7, accorde un identifiant unique qui permet de déterminer de manière anonyme les interactions sociales avec les autres utilisateurs à l’aide du capteur Bluetooth. Si quelqu’un est testé positif au COVID-19, les personnes ayant été en contact avec le malade au cours des derniers jours recevront un avertissement avec des instructions pour contacter une ligne directe gouvernementale, mise en place à cet effet. 

Un site d’information stopcov.ge a également été mis en place, fournissant des listes de professionnels de la santé, ainsi qu’une rubrique dédiée aux Fake News, traduite dans les quatre langues des minorités ethniques, mais aussi en anglais8. Via ce site, il est également possible de faire un don à la Fondation StopCov, créé par le Premier Ministre, qui a collecté à ce jour plus de 130 millions de laris (40 millions d’euros)9

A la fin du mois d’avril, 12 000 personnes ont été testées avec les tests type PCR fabriqués principalement dans le Centre de Recherche Richard Lugar, un laboratoire financé par le Pentagone10. Jadis accusé par le Kremlin à faire des essais sur les êtres humains11, d’être responsable de la propagation du Zika, de l’Ebola12 et de la peste porcine africaine13, mais aussi pour indirectement expliquer l’empoisonnement des Skripals14, ce centre de recherche a eu un rôle crucial dans la prévention du coronavirus.  

Par ailleurs, les responsables politiques, conscients du peu de soutien populaire dont ils jouissent, ont confié la communication officielle aux professionnels de la santé, notamment au directeur du Centre national de contrôle des maladies Amiran Gamkrelidzé, et son adjoint Paata Imnadzé15. Les deux hommes, devenus de véritables stars des médias géorgiens, informent le public régulièrement de l’évolution de la situation dans les moindres détails et donnent des recommandations à suivre. 

Les Géorgiens, peut-être en raison de la popularité de ces figures scientifiques, ont pris cette crise très au sérieux. Malgré l’absence de confinement général, les rues des plus grandes villes sont complètement vides depuis le début de l’épidémie. Certains citoyens sont même allés jusqu’à se charger de repasser les billets à l’entrée d’un marché dans la ville de Poti.16 De plus, les structures familiales font que coexistent souvent au sein d’un même foyer plusieurs générations, ce qui a rapidement poussé les nombreux jeunes Géorgiens à être prudents de crainte d’infecter des membres de leur famille. Grâce à tout cela, le premier cas de diffusion interne du virus n’est apparu que le 23 mars.17

Il y a, bien sûr, de mauvais élèves, parmi lesquels la première place est incontestablement décernée à l’Eglise orthodoxe géorgienne. Le Saint Synode, composé de 47 membres et dirigé par le patriarche Ilia II, a ouvertement défié les restrictions, promettant de maintenir les églises ouvertes et les services religieux. A l’image de l’Eglise orthodoxe russe de l’Ukraine18, il a appelé ses fidèles à « remplir » les églises pour le soir de Pâques, car, selon ses propres mots, faire une prière dans la maison du Dieu serait le seul remède contre le coronavirus.19

Malgré le respect des distances de sécurité dans certaines églises, le synode a obstinément refusé de changer la règle de la sainte communion qui consiste à utiliser une seule cuillère pour tout le monde. Beaucoup d’évêques refusent même de porter les masques qu’ils estiment inappropriés au service religieux.20 

Le gouvernement, totalement impuissant face à cette institution immensément populaire, n’ose pas lui imposer les règles et lui accorde des dérogations officielles ou officieuses, ce que les représentants de l’Église font savoir publiquement pour montrer l’autorité exceptionnelle dont ils disposent21. Le gouvernement, désespéré, a dû interdire totalement l’utilisation de voiture le week-end de la Pâques orthodoxe, espérant que cette mesure dissuaderait les fidèles d’aller à l’église. Dans cette période pré-électorale, le Rêve géorgien, parti au pouvoir, a besoin du soutien de l’Eglise n’ose pas à l’affronter directement.

Comme pour tous les pays du monde, l’économie géorgienne ne sera pas épargnée des effets dévastateurs de la pandémie, notamment dans le secteur du tourisme, qui constitue presque 20 % du PIB et était un moteur majeur de croissance économique de ces dernières années22. En 2019, ce pays de 3,7 millions d’habitants a accueilli 9,3 millions de voyageurs étrangers23. Le tourisme emploie 71,574 personnes24 de manière directe et emploierait plus de 100,000 personnes de manière indirecte.25 

Selon le Premier ministre Guiorgui Guakharia, au moins 350,000 emplois seront touchés par la crise26. Le 14 avril, le gouvernement a annoncé “un plan économique anti-crise” de 3,5 milliards de laris (1 milliard d’euros)27. Le plan comprend à la fois des aides financières pour ceux qui ont perdu leur emploi et des aides pour les entreprises touchées.  

Plus d’un milliard de laris seront dépensés pour des allocations de chômage et pour les paiements des factures de gaz, d’électricité et d’eau pour les ménages consommant moins de 200 kw d’électricité et 200 mètres cubes de gaz naturel durant l’état d’urgence. Deux milliards 110 millions seront investis dans un plan d’aide aux entreprises, notamment dans le secteur du tourisme et de l’agriculture. Un mécanisme de remboursement automatique de la TVA sera mis en place. Un report des impôts sur le revenu est également prévu. En revanche seulement 350 millions de laris (100 millions d’euros) seront consacrés à l’amélioration du système de santé. 

La crise se déroule par ailleurs sur fond de compromis politique, en prévision des élections législatives qui doivent se dérouler en octobre 2020. En effet, le 8 mars, un accord a été conclu entre le parti au pouvoir et les partis d’opposition dans l’ambassade des Etats-Unis. Cet accord, arbitré par les Etats-Unis et l’Union Européenne, prévoit l’instauration d’un système électoral semi-proportionnel28. A présent, 120 des 150 députés qui siègent au Parlement seront élus à la proportionnelle et les 30 autres via un scrutin majoritaire. Le seuil requis pour entrer au parlement, a été réduit de de 5 à 1 %. L’accord prévoit qu’un parti qui n’obtient pas 40 % des voix ne pourra pas former une majorité à parti unique. Cet accord, fruit de longues négociations entre les parties concernées, est une avancée importante pour la fragile démocratie géorgienne. 

Après deux mandats de quatre ans du Rêve Géorgien, si le désir de changement politique existe, d’après la revue Eurasianet, la Géorgie connaît un phénomène tout à fait nouveau dans l’histoire récente du pays : une confiance grandissante du public dans le gouvernement, grâce à sa gestion de la pandémie.29

Jusqu’à présent, l’état d’urgence actuel n’a imposé aucune restriction aux médias, à la liberté d’expression ou à la diffusion d’informations. Cependant, puisque le droit de rassemblement est restreint, il sera difficile pour les partis d’opposition de mener leurs campagnes électorales. Ainsi, fin avril, ils ont publié une lettre ouverte, dans laquelle ils exigent la mise en liberté immédiate de Guigui Ougoulava, ancien maire de Tbilissi, et d’Irakli Okruashvili, ancien membre du Mouvement pour l’unité géorgienne, pour qu’ils puissent participer aux débats de la Commission des amendements constitutionnels du Parlement à propos du nouveau code électoral30. La libération de ces personnes faisait partie de l’accord de mars, évoqué ci-dessus. 

Ainsi, certaines questions restent en suspens. Comment la gestion plutôt réussie de la crise pandémique changera-t-elle la donne politique en Géorgie ? Comment se déroulera la mise en oeuvre des amendements électoraux durant la crise ? Le soutien public grandissant dont jouit le Rêve Géorgien compromet-t-il les petites avancées qu’était en train de faire la jeune démocratie géorgienne ? 

Sources
  1. Giorgi Lomsadze, « Georgia gets rare plaudits for coronavirus response« , Eurasianet, 20 mars 2020 ; « Don’t Touch Your Face : An Unlikely Success Story« , Foreign Policy, 25 mars 2020 ; Alexander Scrivener, « Why is Georgia succeeding with the coronavirus where many Western countries are failing ?« , Intellinews, 22 mars 2020
  2. Banque Mondiale.
  3. Site de la présidence, 21 avril 2020.
  4. Lana Chologauri, Twitter.
  5. Site Stopcov.
  6. Description de l’application.
  7. Znet, 30 avril 2020.
  8. Stopcov.
  9. Stopcov, page dédiée aux dons
  10.  « Covid-19-ის დასადგენი რამდენი ტესტი ჩატარდა და რა მარაგი გვაქვს — პაატა იმნაძის განმარტება« , 26 avril 2020
  11. Déclaration du ministre de la défense russe.
  12. « Рябков назвал причину вспышки вирусов Зика и Эбола« , 25 juin 2019, RIA.
  13. « Russia Says US Boosting Number of Labs Close to It, Pentagon Denies Accusation« , 4 octobre 2018.
  14. « Брифинг официального представителя МИД России М.В.Захаровой, Москва« , 12 avril 2018.
  15. Fiche sur l’Organisation Mondiale de la Santé
  16. Tv Pirveli.
  17. « გიორგი გახარია – ეპიდემიოლოგების პროგნოზით, შიდა გადაცემა მოხდა სარიტუალო ღონისძიების დროს« , 23 mars 2020, Interpressnews.
  18. « Coronavirus : le principal lieu saint orthodoxe de Kiev, foyer de contamination« , 17 avril 2020, Le Monde
  19. « მეუფე დანიელი : როცა ადამიანი ავადაა და არ იცის, თუ მოვა ეკლესიაში, ის განიკურნება« , 7 avril 2020.
  20. « მეუფე დანიელი – სასულიერო პირების მიერ პირბადეების გაკეთება არ არის გათვალისწინებული – ჩვენ ვდგავართ ღვთის წინაშე, ჩვენ გვაქვს უშუალო კავშირი უფალთან« , 17 avril 2020.
  21.  17 avril 2020, Netgazeti
  22. Ministère des affaires étrangères de Géorgie.
  23. « მარიამ ქვრივიშვილი- საქართველოში ისტორიული მაჩვენებელი, რეკორდული რიცხვი 9 300 000 მილიონი საერთაშორისო მოგზაურის ვიზიტი დაფიქსირდა« .
  24. Site du gouvernement.
  25. Netgazeti.
  26. « გახარია : დღევანდელი პროგნოზით, მინიმუმ 350000 ფორმალურ სამუშაო ადგილს დავკარგავთ« , 24 avril 2020, On.ge
  27. « გიორგი გახარიამ ანტიკრიზისული ეკონომიკური გეგმა წარადგინა« , 24 avril 2020.
  28. « 120/30-ზე – ოპოზიცია და მმართველი გუნდი საარჩევნო სისტემის რეფორმაზე შეთანხმდნენ« , 08 mars 2020, Civil.ge
  29. « Georgia gets rare plaudits for coronavirus response« , 20 mars 2020, Eurasianet.
  30. ოპოზიციური პარტიები ქვეყნის პარტნიორებსა და მხარდამჭერებს ღია წერილით მიმართავენ« , 23 avril 2020, Civil.ge