Le coronavirus confronte les Français et les Européens aux impératifs d’une délicate gestion de crise parfois conduite au jour le jour, et qui ne permettra guère d’accorder l’attention nécessaire à la commémoration de la « déclaration Schuman », qui a pourtant permis à notre pays de lancer la construction européenne il y a 70 ans. Il convient pourtant de saisir cet anniversaire du 9 mai 2020, qui restera une « journée de l’Europe » très particulière, afin de mettre en perspective les relations entre la France et l’Union européenne, à l’heure où la crise sanitaire en cours est devenue une crise économique mais aussi politique, qui suscite de vifs débats entre responsables nationaux et communautaires et au sein des opinions publiques.
Cette mise en perspective nous semble d’autant plus salutaire trois ans après la nette victoire électorale d’un Président affichant son « europhilie » sur fond d’« hymne à la joie » aux dépens d’une candidate ayant depuis renié son « europhobie », fût-ce de manière purement tactique. Elle apparaît utile à l’heure où les difficultés auxquelles est confronté Emmanuel Macron dans son entreprise de « refondation » de la construction européenne suscitent un malaise politique croissant dans notre pays1. Elle est indispensable, alors que le « non » Français du 29 mai 2005 ne sera peut-être pas davantage commémoré, bien qu’il ait révélé des fractures politiques encore vivaces, y compris chez ceux dont le « non » se voulait porteur de « plus d’Europe ». Aujourd’hui comme en 20052, tous ces éléments contradictoires font écho à la relation paradoxale établie entre la France et la construction européenne, dont notre pays a été jusqu’alors à la fois un moteur et un frein.
La France et les Français sont en effet à l’origine de nombreuses avancées marquantes de la construction européenne : la CECA sous l’impulsion de Jean Monnet et de Robert Schuman ; la création du Conseil européen, la décision d’élire le Parlement européen au suffrage universel et la mise en place du « système monétaire européen » sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing ; la mise en place du marché unique et de la monnaie unique sous l’impulsion de Jacques Delors et de François Mitterrand. En même temps, la France et les Français sont aussi à l’origine de « coups d’arrêts » européens particulièrement notables : rejet parlementaire de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954 ; refus par le général de Gaulle du vote à la majorité au Conseil en 1965 (« crise de la chaise vide ») ; rejet référendaire de la « Constitution européenne » en 2005… En ce début d’année 2020, 53 % des Français interrogés déclarent rester attachés à l’appartenance de la France à l’UE, ce qui confirme qu’il n’y a pas d’europhobie majoritaire dans notre pays ; mais 58 % des Français expriment une défiance vis-à-vis de l’Union (+12 points au dessus de la moyenne européenne), soit l’un des niveaux d’euroscepticisme parmi les plus élevés de l’UE3.
De nombreuses analyses ont déjà cherché à éclairer la relation particulière établie entre la France et la construction européenne, aussi bien d’un point de vue historique4 que via une approche nourrie de science politique5 ou de philosophie politique6. C’est dans leur prolongement que s’inscrit la présente contribution, qui met plus particulièrement l’accent sur l’importance et les spécificités de la culture politique hexagonale au regard du fait européen. L’« Europe » est en effet un « produit national » dans chacun des États membres de l’UE, et la diversité des motivations nationales est une réalité durable. Elle s’exprime par des visions distinctes, dont la nature idéale est tempérée par la confrontation avec celles des partenaires, mais n’en demeure pas moins prégnante7.
Dans le cas de notre pays, c’est une logique de « projection nationale » qui nous semble à l’œuvre, et qui constitue le fondement principal de l’ambivalence des rapports de la France à « l’Europe ». Cette dernière est ainsi perçue à la fois comme un « instrument » au service de la grandeur de la France – c’est l’Europe comme « levier d’Archimède » chère au général de Gaulle ; mais elle agit aussi comme un miroir révélateur de la fameuse « exception française », en mettant en exergue des spécificités nationales qui rendent malaisées nos relations avec la construction européenne. L’« Europe outil » et « l’Europe miroir » constituent dès lors les deux faces indissociables d’une relation complexe, que nous analyserons dans le souci de la rendre plus féconde et plus harmonieuse à court et moyen termes.
1ère partie : « L’Europe » comme outil politique hexagonal : un levier d’« Archimède » pour la France ?
La construction européenne est le produit historique d’une conjonction de facteurs d’unification à la fois externes (guerre froide et menace soviétique, crise de Suez et décolonisation, chute du Mur de Berlin et fin de l’URSS, etc.) et internes (volonté de réconciliation et de pacification, objectifs de reconstruction économique, d’ancrage démocratique, réunification de l’Allemagne, etc.). Elle traduit une convergence profonde et inédite des États membres de l’UE, qui n’en sont pas moins « unis dans la diversité », c’est-à-dire porteurs d’une vision nationale spécifique de leur appartenance à la construction européenne.
Dans ce contexte, il est à nos yeux frappant de constater que la France se distingue des autres pays de l’UE par la primauté d’une logique de projection nationale, certes pas unique mais archétypique au regard des autres logiques nationales à l’œuvre (1). Cette logique de projection nationale a historiquement conduit notre pays à mettre l’accent sur trois priorités politiques majeures : contenir la montée en puissance de l’Allemagne (2), construire l’« Europe puissance » (3) et conjurer la dilution européenne dans l’élargissement (4). Le succès mitigé de la France sur ces trois registres explique une partie du malaise politique entre notre pays et « l’Europe », même si le contexte géopolitique actuel pourrait le réduire.
La construction européenne : un « produit national » porté par des logiques politiques hétérogènes
L’Europe est un « produit national » et « la diversité des motivations des États est une réalité durable. Elle s’exprime par des visions distinctes, dont la nature idéale est tempérée par la confrontation avec celles des partenaires. Chaque État a ses propres attentes mais la similarité des démarches est frappante »8. Dans une telle perspective, Zbigniew Brzezinski a décrit dans des termes limpides la vision française de l’Europe : « À travers la construction européenne, la France vise la réincarnation, l’Allemagne la rédemption. (…) L’Europe fournit à la France le moyen de renouer avec sa grandeur passée. (…) La création d’une « véritable » Europe – « de l’Atlantique à l’Oural », selon les termes du général de Gaulle – vise à mettre un terme à cette situation inadmissible. Et ce projet, puisqu’il doit être conduit depuis Paris, rendra à la France la grandeur qui, selon ses citoyens, correspond à la destinée élective de la nation »9.
Extrapoler à partir de cette fulgurance de Zbigniew Brzezinski conduit à mettre en évidence quatre grandes logiques nationales d’adhésion au projet européen10 : outre une logique de projection caractérisant la France et la logique de rédemption attribuée à l’Allemagne, on distinguera également une logique d’optimisation et une logique de sublimation – non sans avoir rappelé qu’il s’agit là d’« idéaux types » non chimiquement purs et ayant avant tout pour but de mettre en exergue les spécificités nationales, et donc hexagonales (voir infra Tableau 1).
La logique de projection (France, mais aussi Benelux)
La logique de projection caractérisant la participation nationale à la construction européenne peut prendre au moins deux formes : celle d’une projection politique concevant l’Europe comme multiplicateur de puissance – à la française ; et celle d’une projection plus économique voyant l’Europe comme modèle d’intégration régionale, à l’image du Benelux.
La logique de projection politique s’applique particulièrement bien au cas de la France, qui s’est efforcée de reconstituer au niveau communautaire les leviers d’influence dont elle disposait auparavant seule au niveau national11. Si l’idée que « l’union fait la force » anime l’ensemble des États membres de l’UE, elle ne prend nulle part une dimension plus ontologique qu’en France, où elle fonde et structure le projet de participation à la construction européenne.
Dès l’après guerre, la question centrale pour la France est notamment de contrôler les effets politiques de la reconstruction de l’Allemagne et sa (re)montée en puissance prévisible (voir section ci-après). Mais il s’agit aussi pour notre pays de tirer les conséquences de la décolonisation engagée en Indochine, puis en Algérie, afin de projeter la puissance nationale via l’échelon communautaire. D’abord hostile à la construction européenne et au marché commun, le Général de Gaulle se ralliera ainsi à la mise en œuvre du Traité de Rome à son retour au pouvoir en 1958, notamment après que la crise de Suez eut permis de confirmer que, avec la perte de son empire colonial, la France ne pouvait plus prétendre jouer seule un rôle international dominant. En qualifiant l’Europe de « levier d’Archimède », il a lui aussi recouru à une formule illustrant bien la vision française d’une construction européenne comme la continuation de la politique de puissance par d’autres moyens – que traduit aussi la « réincarnation » évoquée par Zbigniew Brzezinski.
Les pays du « Benelux » pouvant eux aussi être considérés comme des pays ayant projeté leur modèle national au niveau communautaire au moment du lancement de la construction européenne dans les années 50. Leur logique de projection opère cependant sur des bases économiques, fort différentes de celles de la France : il ne s’agit pas de reconstruire la puissance nationale au niveau européen mais plutôt d’y engager un processus d’intégration régional inspiré de celui qu’ils ont conduit eux-mêmes. La Belgique et le Luxembourg avaient en effet décidé d’établir une union économique dès 1922, assortie d’une parité fixe de leur monnaie, tandis que les trois pays du Benelux avaient fondé en 1944 une union douanière, entrée en vigueur en 1948. C’est sur la base d’un tel héritage politique que les pays du Benelux se sont d’emblée montrés favorables aux projets d’intégration européenne fondés sur des mécanismes économiques et marchands, qu’ils ont eu la possibilité de promouvoir après le rejet français du projet beaucoup plus hexagonal de Communauté européenne de défense en 1954. Ce sont de fait les représentants de ces trois pays, Bech (Luxembourg), Beyen (Pays-Bas) et Spaak (Belgique), qui sont à l’origine de la « relance de Messine » (1955), puis au cœur des négociations ayant mené à l’adoption du Traité de Rome (1957).
La logique de rédemption (Allemagne…)
Le terme de « rédemption » peut caractériser la logique dans laquelle certains pays de l’UE ont conçu leur appartenance à la construction européenne : cette appartenance leur a en effet permis d’amorcer leur redressement et de se réconcilier durablement avec leurs voisins, après qu’ils aient été considérés comme responsables de fautes historiques. Évoquée par Brzezinski, la République fédérale allemande est l’exemple type du pays ayant conçu sa participation à la construction européenne dans une logique de rédemption – tandis qu’elle a pu aussi caractériser, fût-ce à un degré nettement moindre, des pays comme l’Italie ou la Croatie.
Sorti vaincu et dévasté d’une Seconde Guerre mondiale dont il est à l’origine, organisateur d’un génocide sans équivalent, occupé par les puissances alliées et bientôt divisé en deux entités antagonistes, ce pays sait que sa renaissance passe par la mise en place de relations de coopération et d’entente avec ses voisins, et notamment la France. Cette renaissance de l’Allemagne fut facilitée par son intégration dans les structures européennes et atlantiques. Le lancement de la CECA puis de la CEE offrit un cadre politique et économique à sa reconstruction et à son redressement ; l’adhésion à l’OTAN lui offrit à la fois des garanties de sécurité et la possibilité de reconstituer une armée nationale.
Cette logique d’intégration / rédemption fut de nouveau à l’œuvre au moment de la réunification allemande : pour plusieurs de ses voisins, et notamment la France, il apparut en effet nécessaire que cette réunification, synonyme d’un surcroît de puissance mais aussi de déstabilisation potentielle, s’accompagne d’un nouveau pas en avant dans l’intégration communautaire – que l’Allemagne accepta en mettant en sacrifiant le Deutsche Mark. La question est aujourd’hui de savoir si l’appartenance à l’Allemagne à l’UE s’inscrit toujours principalement dans une logique de rédemption, ou si cette dernière a épuisé une grande partie de ses effets ?12 Opter pour la première réponse pourrait conduire à expliquer la réticence persistante de ce pays vers les interventions militaires extérieures ou sa générosité émotionnelle lors de la crise des réfugiés. Opter pour la seconde a conduit à annoncer l’avènement d’une nouvelle « Allemagne » au tournant du millénaire, et qui s’inscrirait désormais davantage dans une logique de projection ou, plus sûrement, d’« optimisation »13 ?
La logique d’optimisation (Royaume-Uni et ex-pays de l’AELE)
La logique d’optimisation constitue la troisième logique qu’il semble possible de distinguer s’agissant de l’adhésion de certains États membres à la construction européenne. Peu ou prou à l’œuvre dans l’ensemble des États de l’UE, elle prédomine cependant dans des pays qui n’ont pas été membres de la CEE dès l’origine alors même que leur situation politique (démocratie) et économique le leur aurait permis. Ces pays ont donc dû se poser la question de rejoindre ou non la construction européenne en mesurant les avantages et les inconvénients liés à leur adhésion, dès lors qu’elle n’était pas pour eux synonyme d’une paix et d’une prospérité déjà acquises.
Le Royaume Uni est l’exemple type des pays où cette logique d’optimisation a semblé prédominer. Ce pays a d’abord refusé de participer à la construction européenne afin de préserver ses spécificités liées à son insularité, mais aussi et surtout à son ouverture vers « le grand large » : commerce international fortement tourné vers le Commonwealth d’une part, relations stratégiques spéciales avec les États-Unis d’Amérique d’autre part. D’abord à l’origine de la création d’une organisation concurrente à la CEE en 1960, l’Association européenne de libre échange (AELE), le Royaume-Uni dépose cependant sa candidature à la CEE dès l’année suivante, après avoir constaté que le marché commun était en cours de mise en place. Rejoignant la CEE dans les années 70 et confirmant cette adhésion par référendum deux ans plus tard (suite à un changement de majorité), le Royaume-Uni semblait depuis lors essentiellement considérer l’UE comme un cadre politique d’expression parmi d’autres (en parallèle de l’OTAN, du Commonwealth ou de l’ONU), dont il convenait de contrôler avec soin les interventions et l’évolution. La volonté d’optimisation financière exprimée par Margaret Thatcher (« I want my money back ») a souvent été perçue comme une illustration parfaite de l’attitude calculatrice du Royaume-Uni, de même que le recours fréquent à des clauses d’exemption (ou « opting out ») permettant de ne pas participer à tel ou tel volet de l’intégration communautaire (notamment l’euro et l’espace Schengen).
D’autres pays de l’AELE (Autriche, Danemark, Finlande, Suède,) ont également privilégié une démarche plutôt calculatrice dans leur attitude vis-à-vis de la CEE / UE, en ne les rejoignant que lorsqu’ils ont jugé les conditions réunies. Il n’est dès lors guère étonnant que le Royaume-Uni et les pays du Nord de l’Europe, qui constituent les pays qui, traditionnellement, dessinent une sorte de géographie de la « réserve » à l’égard de la construction européenne, ont visé traditionnellement l’« optimisation » de leurs intérêts nationaux dans une logique « utilitariste » de calcul de souveraineté « coût »-« avantages »14.
La logique de sublimation (pays du Sud et de l’Est de l’Europe)
Certains autres pays de l’UE l’ont rejoint sur la base d’une logique de « sublimation »15, c’est-à-dire portés par une volonté de transformation rapide d’un état politique (dictatorial) et économique (« économie de la pénurie ») au profit d’une accession à un statut européen nettement préférable. Pour nombre d’États peu prospères et sortant d’expériences politiques douloureuses (guerre, dictatures), la perspective d’adhérer à l’UE a de fait constitué un objectif cardinal, porteur de progrès profonds : il s’est agi de rejoindre un espace positivement connoté, aussi bien sur le plan économique (amélioration du niveau de vie, convergence économique) que sur le plan politique (stabilité, rupture avec le passé), tout en ayant la possibilité de bénéficier des transferts financiers organisés par l’UE. Le fait de participer à la construction européenne a justifié les importants efforts d’adaptation consentis (notamment pour intégrer « l’acquis communautaire ») afin d’accélérer la modernisation de ces pays. Il est notable qu’une telle logique de sublimation a aussi pu concerner l’adhésion à l’OTAN en matière sécuritaire et stratégique. Appliquée à la construction européenne, cette logique de sublimation paraît caractéristique des pays du Sud de l’Europe (Espagne, Grèce, Portugal) dans les années 1980, mais aussi des pays d’Europe centrale, orientale et baltique dans les années 90 et 2000. Elle paraît toujours prédominer dans des pays issus de l’ex-Yougoslavie ou de l’ex-URSS, et notamment dans les Balkans occidentaux.
Il va de soi que ces quatre grandes logiques nationales d’adhésion au projet européen animent de façon plus ou moins intense les pays concernés. Comme on l’a déjà souligné, il va également de soi que de telles logiques peuvent avoir évolué depuis que ces pays ont rejoint la construction européenne. L’Allemagne est-elle encore dans une logique de « rédemption » ? Après le choix du Brexit, est-il encore possible de dire que le Royaume-Uni est toujours dans une logique d’optimisation de ses intérêts nationaux vis-à-vis du continent européen ? La logique de « sublimation » caractérise-t-elle encore les pays du Sud de l’Europe où la défiance vis-à-vis de « l’Europe » s’est fortement accrue après les crises de la zone euro et la crise des réfugiés ? Ou encore les pays du centre et de l’Est de l’UE, où le refus de la solidarité européenne a alimenté l’euroscepticisme d’une partie de la population (notamment du groupe de « Visegrad »), voire l’émergence d’un populisme nationaliste autoritaire et « illibéral » mettant en cause les valeurs qui sont au fondement de la construction européenne ?
En tout état de cause, il nous semble que la logique de projection nationale qui prévaut en France reste quant à elle plutôt vivace. Elle a de fait conduit notre pays à mettre l’accent sur trois priorités politiques majeures, et qui demeurent : contenir la montée en puissance de l’Allemagne (2), construire l’« Europe puissance » (3) et conjurer la dilution européenne dans l’élargissement (4).
Une projection franco-européenne visant à contenir la montée en puissance de l’Allemagne
La logique de projection caractérisant les relations de la France avec la construction européenne sert un premier objectif stratégique plus ou moins explicite : celui de contenir la montée en puissance de l’Allemagne, notamment à l’issue de la Seconde Guerre mondiale puis après la chute du mur de Berlin.
L’après-Seconde Guerre mondiale et la reconstruction de l’Allemagne
La déclaration lancée par Robert Schuman le 9 mai 1950 est certes une forme de « déclaration d’amour » à l’Allemagne, combinant pardon pour les atrocités passées et promesse d’un avenir en commun16. En proposant d’instituer une « Communauté européenne du charbon et d’acier », elle traduit aussi l’objectif politique de mettre sous contrôle deux composantes majeures de l’effort de guerre, et donc de conjurer toute velléité belliciste germanique. Cette volonté de mettre sous contrôle la reconstruction de l’Allemagne s’était déjà matérialisée via le statut d’occupation acté par la France, la Grande Bretagne et les États-Unis. Elle avait aussi conduit la France et le Royaume-Uni à signer à Dunkerque un traité militaire qui ciblait l’Allemagne comme ennemi potentiel – à rebours de la démarche plus coopérative promue par Robert Schuman et Jean Monnet… Encore faut-il bien considérer que cette démarche coopérative des « pères fondateurs » français servait de manière plus subtile et efficace des intérêts strictement nationaux, comme en témoigne par exemple une note de Jean Monnet adressée à Robert Schuman peu avant la déclaration du 9 mai 1950 : selon lui, « la continuation du relèvement de la France sera arrêtée si la question de la production industrielle allemande et de sa capacité de concurrence n’est pas réglée » – ce que permettra la CECA, grâce à laquelle « le plus grand obstacle à la continuation du progrès industriel français aura été écarté »17.
La volonté française de contrôler la montée en puissance de l’Allemagne fonde aussi le projet de « Communauté européenne de défense » (formalisé par le « plan Pleven ») : alors que la guerre de Corée fait rage et que la menace soviétique s’accroît en Europe, il s’agissait en effet d’organiser le réarmement allemand dans un cadre européen. Le Parlement français a cependant refusé de ratifier ce projet hexagonal, notamment grâce à une coalition ponctuelle des voix communistes et gaullistes, en partie soudées par l’anti-américanisme – mais dont le refus eut pour effet de conduire à un réarmement allemand dans le cadre de l’OTAN…
L’après guerre froide et la réunification de l’Allemagne
La chute du mur de Berlin donne lieu à une nouvelle manifestation de la volonté française de contrôler la montée en puissance d’une Allemagne réunifiée, donc plus peuplée, et qui va retrouver sa place au centre de l’Europe. C’est dans ce contexte que, après avoir obtenu des garanties sur l’intangibilité des frontières, François Mitterrand persuade Helmut Kohl d’endosser la création de l’union économique et monétaire proposée par Jacques Delors au moment du Traité de Maastricht. Si le lancement de la monnaie unique a vocation à compléter le marché unique, il a aussi pour objectif stratégique de confirmer l’ancrage européen de l’Allemagne : celle-ci accepte en effet de mettre en commun le Deutsche Mark, dont la prééminence était à la fois symbole de réussite économique et de fierté nationale18. La France s’efforcera aussi de contrôler le surcroît de puissance démographique de l’Allemagne réunifiée en défendant la parité diplomatique établi par les Traités européens en matière de droits de vote à la majorité qualifiée au Conseil et de députés européens, avant de céder sur le premier point au moment du Traité de Lisbonne et sur le second point au moment des Traités de Maastricht, puis de Nice.
Le Royaume-Uni, partenaire ponctuel dans « un ménage à trois » ?
C’est aussi la volonté française de contrôler la montée en puissance de l’Allemagne qui a conduit notre pays à miser sur le Royaume-Uni dans les années 1970. Alors que l’Allemagne du chancelier Willy Brandt avait lancé une politique d’ouverture cultivant ses liens avec l’Europe centrale et orientale (« Ostpolitik »), Georges Pompidou a alors jugé utile de revenir sur le refus gaullien d’admettre l’adhésion du Royaume-Uni à la CEE, en faisant ratifier par référendum ce changement de pied diplomatique. Un front commun François Mitterrand – Margaret Thatcher s’est aussi formé au moment de la chute du mur de Berlin, qu’Helmut Kohl évoque avec une certaine amertume dans ses Mémoires. C’est par ailleurs le fait de disposer d’un statut diplomatique et militaire comparable, bien plus prééminent que celui de l’Allemagne, qui a conduit à développer la coopération bilatérale entre les deux pays, de la déclaration de Saint-Malo aux accords de Lancaster House. Il va de soi que le « Brexit » va changer les rapports de force au sein du « ménage à trois » formé par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, « Berlin » regrettant pour sa part le départ d’un pays plus libéral que son partenaire hexagonal.
Le « couple » franco-allemand en 2020 : un équilibre précaire ?
Au total, c’est cependant la logique coopérative qui a prévalu entre la France et l’Allemagne, telle que formalisée par le Traité de l’Élysée en 1963 et symboliquement réaffirmée en 2019 par le Traité d’Aix-la-Chapelle. Cette logique coopérative a été plus ou moins féconde au gré de l’évolution du contexte géopolitique et des convergences établies entre les dirigeants des deux pays, l’époque du duo Kohl-Mitterrand étant particulièrement faste à ce double égard. Si les dirigeants français ont parfois été tentés de peser sur les rapports de force bilatéraux en s’appuyant sur le Royaume-Uni (tel Nicolas Sarkozy) ou sur les pays du Sud (tels François Hollande et Emmanuel Macron), ils ont tous été amenés à cultiver une relation franco-allemande dont le bon fonctionnement est une condition nécessaire, sinon suffisante, du dynamisme de l’UE.
Au terme de 70 ans de construction européenne, il est loisible de constater que l’Allemagne a bien su négocier sa reconstruction puis sa réunification, et qu’elle affiche en 2020 des performances sensiblement supérieures à celle de la France en matière économique, sociale et budgétaire. Ce relatif décrochage hexagonal n’est pas sans nourrir une forme de ressentiment vis-à-vis de « Berlin », qui s’exprime plus ou moins ouvertement lors de chaque crise, fut-ce sous le masque de la colère… La primauté démographique de l’Allemagne réunifiée demeure un autre avantage comparatif, même si son vieillissement et sa faible natalité devraient lui valoir d’être rattrapée par la France à l’horizon 2045 – 2050 (y compris en termes de poids décisionnel au Conseil). Sans doute la prééminence diplomatique et militaire hexagonale contribue-t-elle utilement à ce stade à équilibrer le couple formé avec l’Allemagne, régulièrement tancée pour son déficit d’engagement stratégique extérieur, dès lors qu’il fait obstacle à l’émergence d’une vraie « Europe puissance ». On pourrait cependant se demander si les autorités françaises ne s’accommodent pas au fond de la relative procrastination allemande, et en tout cas relever que, si l’Allemagne se mettait au niveau de la France sur le registre diplomatique et militaire, elle prendrait définitivement le leadership de l’UE.
La construction d’une « Europe puissance », mantra hexagonal davantage partagé mais toujours ambigu
La logique de projection caractérisant les relations de la France avec la construction européenne sert un deuxième objectif stratégique constamment réaffirmé : celui de bâtir une « Europe puissance », susceptible de peser au niveau international, y compris comme multiplicateur d’influence pour notre pays.
L’Europe puissance, multiplicateur d’influence au niveau international
De 1958 à 1969, les articles du credo gaulliste en matière d’action extérieure sont faciles à identifier : défense de l’indépendance nationale, rejet de l’assujettissement à Washington et conception de la construction européenne échappant au contrôle américain19 ; en bref, une « Europe européenne, autrement dit indépendante, puissante et influente au sein du monde de la liberté »20. C’est dans cette logique que doit être perçue la présentation des versions successives du « Plan Fouchet » en 1961 et 1962, puisque ce plan prévoyait la mise en place d’une coopération entre les États membres en matière de politique étrangère et de défense (ainsi qu’en matière scientifique et culturelle). C’est aussi dans ce contexte que doit être analysé son échec, dès lors que les « 6 » butèrent sur le refus français de toute référence à l’OTAN ainsi que sur la préférence française pour la coopération intergouvernementale, au détriment des institutions communautaires.
Après le lancement de la « Coopération politique européenne » dans les années 1970, il faut attendre l’Acte unique européen puis, surtout, le Traité de Maastricht, pour que les autorités françaises promeuvent une « politique étrangère et de sécurité commune qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune ». Cette pétition de principe trouvera peu à peu des débouchés institutionnels, avec la création du Haut représentant pour la politique étrangère par le Traité d’Amsterdam puis du Service européen pour l’action extérieure par le Traité de Lisbonne. Elle donnera lieu à des réalisations concrètes essentiellement dans le cadre bilatéral, notamment franco-allemand (brigade franco-allemande, puis Eurocorps élargi à d’autres pays) et franco-britanniques, après que les guerres en Yougoslavie ait rappelé aux Européens leur dépendance excessive vis-à-vis des États-Unis. Les débats entourant la deuxième guerre d’Irak en 2003 auront cependant démontré avec éclat l’ampleur des divergences européennes en matière stratégique, et donc la difficulté de mettre en œuvre le projet français d’« Europe puissance ».
Un contexte géopolitique désormais favorable au projet français
Le projet français d’« Europe puissance » a de longue date été confronté à deux écueils : les réticences hexagonales vis-à-vis des États-Unis, alors que l’OTAN est perçue comme la seule et ultime garante de la sécurité des Européens ; la volonté de nombreux États membres de l’UE de profiter d’un espace européen de réconciliation et d’échanges économiques et humains, sans souci de construire une puissance capable de peser au niveau international, ce qu’ils n’ont jamais eu l’ambition de faire en tant que pays. C’est sur ce double registre que l’évolution récente du contexte géopolitique apparaît beaucoup plus favorable au projet français traditionnel21.
Les Européens sont en effet confrontés à de nouvelles menaces, qui les obligent à agir plus directement pour leur sécurité collective22. L’agressivité russe a notamment conduit à l’annexion de la Crimée, qui constitue la première modification non reconnue de frontières en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale : une menace plus ou moins diffuse pointe à nouveau sur le flanc oriental de notre continent. Les guerres ou l’anarchie en Irak, en Syrie, en Libye et au Sahel ont profondément déstabilisé notre voisinage immédiat : elles ont contribué à l’essor d’un terrorisme islamiste, qui a frappé les Européens jusque dans leurs églises et dans leurs salles de concert. L’évolution erratique de la Turquie d’Erdogan et la montée en puissance continue de la Chine constituent eux aussi des défis en termes de stabilité et de sécurité collective pour les Européens, et d’autres parties du globe.
Les Européens sont par ailleurs appelés à affronter ces menaces et défis sécuritaires sans pouvoir s’en remettre pleinement à leur allié traditionnel américain : cela constitue un changement fondamental par rapport à l’après seconde guerre mondiale. La présidence de Donald Trump a confirmé de manière brutale que les Américains n’entendaient plus considérer l’Europe comme leur première priorité stratégique, et qu’ils pouvaient même s’en dissocier voire l’affronter. Qui ne voit en effet que le Président des États-Unis n’appelle pas seulement les Européens à financer bien davantage leurs armées et leur sécurité, mais qu’il a plusieurs fois laissé planer le doute sur sa volonté de les secourir en cas de conflit armé ?
Il est significatif que, dans ce contexte, Angela Merkel ait pu dire au printemps 2017 qu’il fallait désormais que « les Européens prennent leur destin en main, bien sûr en toute amitié avec les États-Unis et la Grande-Bretagne et comme bons voisins même avec des pays comme la Russie. Mais nous devons savoir que nous devons nous battre pour notre futur nous-mêmes, pour notre destinée en tant qu’Européens et c’est ce que je veux faire avec vous ». Il est tout aussi notable que cette nouvelle donne géopolitique a déjà donné lieu à des avancées notables dans la construction d’une Europe puissance sous l’impulsion de François Hollande et d’Emmanuel Macron, marquée notamment par la création inédite d’un « Fonds européen de défense », la première activation de la « clause de défense mutuelle » après les attentats terroristes de Paris, le lancement d’une « coopération structurée permanente » prévoyant de nombreux projets communs, puis d’une « initiative européenne d’intervention » visant à développer une culture stratégique commune, de même que par l’initiation de coopérations industrielles en matière militaire, notamment dans le cadre franco-allemand (voir ci-après).
Il semble dès lors possible, sinon de « refonder l’Europe », du moins de tenir enfin les promesses du Traité de Maastricht en matière de coopération diplomatique, militaire, policière et judiciaire, à condition bien sûr d’inscrire ces efforts dans le temps long, avec patience et constance. À court terme, cette primauté des défis régaliens auxquels la France et ses partenaires doivent faire face peut d’ores et déjà conduire à ré-énoncer un récit politique sur l’avenir du projet européen qui puisse convaincre les Français et être partagé par leurs partenaires23. L’adéquation entre le modèle historique, l’identité politique française et son héritage étatique d’un côté, la nature « régalienne » des défis européens à relever de l’autre, peut à ce titre permettre de lutter contre la défiance croissante des Français vis-à-vis de la construction européenne et, peut-être même plus largement, vis-à-vis du « politique » et de sa capacité à agir efficacement au niveau national comme au niveau international.
Un projet hexagonal d’Europe puissance confronté à des contradictions diplomatiques
S’il bénéficie d’un contexte géopolitique désormais favorable et de l’engagement constant des autorités nationales, le projet français d’« Europe puissance » ne pourra pleinement prendre corps que si notre pays accepte de sortir des contradictions diplomatiques et domestiques hexagonales qui entravent sa mise en œuvre24 (voir infra Tableau 2). Au titre des contradictions diplomatiques, on relèvera en particulier que notre politique étrangère fait souvent primer des considérations liées à la vocation universelle de la France et à son rang mondial au détriment d’orientations plus en phase avec la construction d’une Europe puissance.
La France a en effet hérité de son histoire politique et coloniale une vocation universelle qui mobilise une partie non négligeable de ses ressources diplomatiques, financières et militaires : attachement proclamé aux droits de l’homme ; présence territoriale sur les 5 continents, outre mer et deuxième domaine public maritime mondial ; politique africaine ; politique arabe ; politique d’aide au développement ; promotion de la francophonie comme relai d’influence au niveau international, mais aussi au sein des institutions européennes… Son appareil diplomatique peut instinctivement considérer que « l’Europe » n’est qu’un terrain d’expression parmi d’autres pour la puissance française, autant qu’un relai potentiellement utile, donnant parfois l’impression qu’« entre la nation et le monde, il n’y a rien », selon la formule de Gordon Brown25.
Sans doute notre vocation universelle et mondiale est-elle l’un des ressorts de l’anti-américanisme français, dès lors qu’elle se heurte à la prétention des États-Unis d’avoir également une « destinée manifeste » et un message messianique à délivrer au monde26, tout en ayant bien davantage les moyens de ses ambitions, par ailleurs intermittentes… Cette défiance a été portée à incandescence au moment de la croisade engagée par la diplomatie française lors des débats sur la guerre d’Irak en 2003 et elle a longtemps cantonné notre pays dans un positionnement éloigné du barycentre diplomatique européen, nettement plus atlantiste, y compris dans l’UE à 27. Il est à cet égard doublement positif que notre pays ait pleinement réintégré le commandement intégré de l’OTAN à l’initiative de Nicolas Sarkozy, et qu’il puisse aujourd’hui tirer parti de l’isolationnisme agressif de Donald Trump, ainsi que du Brexit.
L’autre contradiction diplomatique entravant la promotion effective d’une « Europe puissance » est l’obsession hexagonale pour le maintien de notre « rang » au niveau mondial. Parce qu’elle dispose d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, de la force de frappe nucléaire, d’une armée dotée d’importantes capacités de projection et de bases militaires à l’étranger ou encore d’un « réseau » de taille mondiale, notre diplomatie peut à bon droit estimer qu’elle a les moyens de jouer sa propre partition, sans égard particulier pour les propositions ou les hésitations de ses partenaires européens. Comme le souligne Matthieu Calame dans son livre sur le « malentendu » franco-européen, cette diplomatie nationale s’articule difficilement avec une approche commune : « L’union diplomatique, le partage du droit de veto à l’ONU, la construction d’une armée européenne : voilà les éléments régaliens par excellence que les dirigeants français, de droite comme de gauche, ont opiniâtrement refusé de mutualiser depuis 1945 »27.
À cet égard, il est symbolique que, après voir proclamé que les Européens devaient « prendre leur destin stratégique en main », Angela Merkel ait demandé le 6 juin 2018 la mutualisation du droit de veto français au Conseil de sécurité de l’ONU à l’occasion d’un congrès du Parti populaire européen, suscitant immédiatement une fin de non-recevoir quasi-unanime dans notre pays. Il serait pourtant utile que nos autorités et responsables prennent la mesure des opportunités suscitées par la nouvelle donne géopolitique, le repli des États-Unis et le Brexit. Dès lors que la France est désormais le seul État membre de l’UE à bénéficier d’un statut diplomatique mondial, n’aurait-elle pas intérêt à le mettre plus directement au service du projet d’« Europe puissance » qu’elle s’échine à promouvoir depuis des décennies ? Dans cette perspective, il ne s’agirait pas tant de mettre en commun son siège permanent à l’ONU ou sa dissuasion nucléaire que d’établir des procédures de consultation sur ces deux registres, afin que la France puisse mieux concilier l’usage de ses outils de souveraineté nationale et la promotion de son projet européen28.
De même, il est significatif que les responsables politiques allemands évoquent souvent la formation d’une « armée européenne » : comme au moment des débats sur la CED, ce serait une façon pour eux de rendre plus acceptable leur montée en puissance militaire aux yeux de leur opinion publique comme de leurs voisins et partenaires. Et il est donc d’autant plus désolant que l’usage de cette notion facilitatrice fasse systématiquement l’objet de railleries et de quolibets dans notre pays de la part de tous ce qui sont légitimement attachés à sa sécurité et à ses intérêts, sans percevoir que leur refus de principe fait obstacle au renforcement du projet français d’« Europe puissance »…
Un projet hexagonal d’Europe puissance confronté à des obstacles internes
Il est par ailleurs notable que notre pays s’accommode mal des coopérations et compromis qui caractérisent par nature la construction d’une Europe puissance, notamment en matière industrielle et politique.
Il est ainsi symbolique que la France ait refusé les disciplines prévues dans le cadre de la Communauté européenne de l’énergie atomique, afin de développer de manière autonome ses programmes nucléaires civil et militaire, y compris au prix d’une forte interdépendance vis-à-vis des pays africains fournisseurs de matières premières. De même, il n’est ni indifférent, ni constructif que notre pays ait longtemps privilégié des programmes d’armement confiés à des industriels nationaux, pour des raisons à la fois politiques et sociales, au risque d’entraver leur exportations chez ses voisins européens – qu’ils aient un programme concurrent ou préfèrent se fournir aux États-Unis. L’exemple du Rafale confié à Dassault reste emblématique à cet égard : il s’agit en effet d’un avion très performant, mais aussi très couteux pour nos finances publiques, et que la France a finalement pu réussir à exporter hors d’Europe sans qu’il ne soit acquis par aucun des autres États membres de l’UE. Il n’est enfin pas neutre que de grands groupes industriels vivant de commandes publiques et/ou ayant besoin de l’intervention des autorités françaises à l’international, soient également détenteurs de grands médias auxquels les responsables politiques prêtent une attention soutenue – et qu’ils soient dès lors en capacité de peser en faveur d’intérêts industriels nationaux plutôt que de coopérations européennes…
Il faut donc d’autant plus saluer la mise en œuvre de grands projets industriels européens portés par une conjonction féconde entre intérêts publics et industriels, et qui puissent servir de socle économique au projet d’« Europe puissance ». Ainsi de la formation d’EADS, devenu « Airbus », sur la base d’une coopération franco-germano-espagnole. Ainsi aussi des nombreux programmes de coopération bilatérale ou multilatérale, par exemple celui relatif à la production de missiles regroupant EADS, l’Italie et le Royaume-Uni au sein de la société MBDA. Ainsi enfin des projets franco-allemands récemment lancés, et qui fondent l’Europe de la défense sur des réalisations concrètes : parmi eux, la construction commune du « char du futur » (« Main Ground Combat System ») par les industriels allemands KMW et RheinMetall et français Nexter, et qui visent à remplacer les chars de combat français Leclerc et allemands Leopard 2 à partir des années 2035, ou encore le projet d’« avion de combat du futur » (Future Air Combat System), confié à EADS et à Dassault, et qui a pour objectif de fournir de nouveaux appareils aux armées des pays partenaires et intéressés à l’horizon 2050.
Dans ce contexte plutôt positif, la prégnance de la monarchie présidentielle française constitue-t-elle l’un des autres ultimes obstacles aux progrès concrets de l’Europe puissance ? Le fait que notre pays privilégie instinctivement une coopération intergouvernementale qui se défie des institutions communautaires n’est pas de nature à rendre ses initiatives d’emblée légitime au niveau européen, surtout après la création du Service Européen pour l’Action extérieure, même si nécessité fait souvent loi en la matière. Le fait que la politique étrangère et de défense soit le « domaine réservé » du Président de la République est en revanche en complet déphasage avec les usages politiques en vigueur dans les autres pays de l’UE. Qu’il soit possible à un seul homme de décider de l’envoi de troupes à l’étranger sans débat parlementaire (qui peut intervenir jusqu’à quatre semaines après), et même sans vote, singularise assurément notre pays au regard des démocraties parlementaires établies dans tous les États membres. Si cette autonomie institutionnelle et politique a des avantages réels en termes de réactivité et d’efficacité, elle est jugée illégitime et impraticable par tous nos voisins : il est dès lors étonnant que nous puissions nous plaindre qu’ils ne nous suivent pas davantage sur les terrains extérieurs (ou alors, après coup et depuis l’arrière…) aussi longtemps que des procédures de consultation parlementaire et de légitimation préalables (de type mandat de l’ONU, stratégies et positions communes de l’UE, etc.) n’auront pas été mises en place. Les progrès récemment enregistrés entre la France et l’Allemagne s’agissant des conditions d’exportation d’armements construits en commun montrent qu’une telle convergence est possible : ils doivent encourager les autorités nationales à persévérer dans cette voie, afin de créer les conditions économiques et politiques du renforcement de l’Europe puissance.
Une faible appétence française pour les « élargissements » : « La France en grand » contre « la grande Europe »
La logique de projection caractérisant les relations de la France avec la construction européenne explique enfin pourquoi notre pays a toujours exprimé une faible appétence à l’égard de l’adhésion de nouveaux pays à la Communauté économique européenne, puis à l’Union européenne, suspectée de diluer le projet politique originel, mais aussi l’influence de notre pays. La politique européenne de la France a dès lors été caractérisée par des réticences, voire des oppositions récurrentes, de nature à la fois politique, diplomatique et économique. Elle fait l’objet d’un relatif consensus en France, allant jusqu’aux extrêmes de l’échiquier politique, et qui s’étend aussi bien au niveau des élites gouvernantes que de l’opinion publique. Renouer le fil de l’histoire politique des « élargissements » permet de fait de constater que la France a manifesté des réserves récurrentes à l’égard d’une telle extension du processus d’intégration communautaire29. La politique européenne du général de Gaulle en la matière incarne un moment fameux mais non unique de cette attitude politique, qui se caractérise par « le choix de la petite Europe par la France »30.
Le double « non » gaulliste au Royaume-Uni
C’est dans ce contexte que s’inscrit le double refus gaulliste (en 1963 et en 1967), d’accueillir la Grande-Bretagne dans la CEE, dès lors qu’elle est considérée comme le cheval de Troie de Washington sur notre continent, alors même que la France vient de quitter la structure militaire intégrée de l’OTAN. Le général de Gaulle le fait entendre explicitement au Premier ministre britannique, Harold MacMillan au sommet de Rambouillet en 1962 : « La Grande-Bretagne ne donne pas l’impression d’être vraiment européenne. Elle poursuit une politique particulière et reste liée aux États-Unis »31. Il convient de noter ici que l’opinion publique française était plutôt favorable à l’adhésion de la Grande-Bretagne32, même si cette dernière révèle des réticences latentes, comme l’atteste le fait qu’à chaque veto du général de Gaulle correspond un fléchissement de la courbe des partisans tandis que celle des opposants progresse33. C’est l’arrivée au pouvoir de Georges Pompidou qui permit de débloquer la situation et de permettre à la Grande-Bretagne de rejoindre les Communautés européennes en 1973 en même temps que l’Irlande et le Danemark.
Lorsque la fin des dictatures en Espagne, en Grèce et au Portugal a ouvert la voie à leur adhésion aux Communautés, les autorités françaises ont adopté une attitude plutôt favorable, soucieuse de développer un axe méditerranéen loin d’être négligeable en termes d’influence nationale. Pourtant, il est notable qu’une partie de l’opinion publique a manifesté de vives réserves, et parfois même son hostilité, à l’adhésion des pays ibériques, notamment chez les agriculteurs du Sud-ouest et les pêcheurs français, par crainte de la concurrence espagnole. Ce contexte intérieur français explique en partie que ces pays aient dû attendre le milieu des années 1980 pour rejoindre les communautés européennes.
La rupture géopolitique après 1989 : élargissement contre approfondissement ?
C’est sans doute la chute du Mur de Berlin qui marque un tournant dans les rapports de la France à l’élargissement. Si l’adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède (en 1995) a été acceptée avec une certaine indifférence en France (l’homogénéité sociale et économique avec le reste des pays déjà membres de l’Union n’est sans doute pas étrangère à cela), la perspective de l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale libérés du joug soviétique, dessinée à Copenhague en 1993, s’est imposée comme un enjeu majeur en France, tant au sein de l’opinion publique qu’au niveau des élites34.
Plusieurs phases scandent l’évolution des positions des gouvernements et des présidents français (François Mitterrand puis Jacques Chirac) à l’égard du grand « élargissement » à l’Est. Juste après l’effondrement de l’Union soviétique et du Mur de Berlin, l’attitude des autorités françaises a été très prudente ; il faut se rappeler que François Mitterrand a proposé en 1991 un projet de « Confédération » aux pays d’Europe centrale et orientale, distinct de l’adhésion à l’UE. Sans bien anticiper la réaction de pays à qui la France proposait de ne pas rejoindre la « famille européenne », après 50 ans passés de l’autre côté du rideau de fer… La critique de ce projet par Vaclav Havel, alors Président de la Tchécoslovaquie, fut sans appel : « Il serait peu indiqué, voire néfaste pour la stabilité de l’Europe, que la formation de la Confédération européenne freine en quelque manière que ce soit le rapprochement entre les démocraties de l’Europe centrale et orientale et les Communautés européennes, ou que l’appartenance à la Confédération européenne soit offerte aux pays d’Europe centrale et orientale à seule fin de calmer leurs ambitions par rapport aux Communautés européennes. En ce cas, la formation de la Confédération européenne aurait pour effet de pérenniser leur position de pays de seconde catégorie »35.
Le discours en France sur l’élargissement devient rapidement négatif, celui-ci étant suspecté d’être une source d’affaiblissement voire de dilution du projet européen originel, réaffirmé comme un projet d’union politique après que les autorités françaises aient obtenu la mise en place de l’Union économique et monétaire et d’une politique étrangère et de sécurité commune. C’est dans cette perspective que le couple « approfondissement / élargissement » fait son apparition dans notre débat public, autour de l’idée complaisamment propagée selon laquelle l’élargissement serait incompatible avec l’approfondissement de la construction européenne36, alors que l’adhésion de nouveaux États membres n’est rien d’autre que l’approfondissement géographique du projet des pères fondateurs de « l’Europe ». Le discours hexagonal dominant privilégie une grille de lecture selon laquelle les difficultés de l’UE trouveraient leur origine dans la rupture entre la dynamique (voire l’accélération) de l’élargissement et l’essoufflement progressif de l’approfondissement politique37, qui doit plus à la difficulté des pays de « l’Europe des 12 » à s’entendre sur la marche à suivre pour faire progresser la construction européenne.
La nostalgie d’une « petite Europe » carolingienne fantasmée
Les réticences et oppositions françaises vis-à-vis du processus d’élargissement de la CEE, puis de l’UE, nourrissent une nostalgie nationale pour « l’Europe d’avant ».
Pendant un demi-siècle, la France a su combiner deux visions radicalement différentes de la raison d’être de son engagement européen. D’un côté, le projet des « pères fondateurs » qui présuppose une convergence fondamentale des intérêts des États membres et qui vise à constituer une communauté politique au niveau européen, où la voix française est certes forte, voire prééminente, mais où les solutions relèvent de compromis négociés entre tous les États membres, qui les acceptent au nom de la conscience de leur fragilité individuelle et de la réalité d’un intérêt commun. De l’autre, le projet gaulliste d’une Europe comme instrument – conçu comme un « levier d’Archimède » – permettant à la France de défendre et de promouvoir ses intérêts nationaux. La classe politique française s’est bien gardée de lever cette ambiguïté.
Si la France des années 70 et 80 a fait avancer le projet européen en accord avec la vision des « pères fondateurs », cela a été possible en partie grâce à la capacité de ses dirigeants à tenir un discours à l’opinion publique faisant appel à une rhétorique insistant sur la transposition au niveau européen des conceptions françaises. Or, si à 6 un leadership français fort était une réalité plus naturelle, à 27 il se transforme en un combat aux résultats incertains. Cette réalité est plus aisée à assumer si l’on adopte la vision des « pères fondateurs », mais elle est difficile à accepter pour ceux qui conçoivent l’Europe comme une simple projection des idées et des intérêts français à l’échelle de l’UE. C’est sans doute dans ce dernier élément qu’il faut chercher la raison principale des discours nostalgiques, en France en particulier, sur la « petite Europe » et la difficulté à assumer le changement d’échelle de l’Union élargie38.
Aujourd’hui encore, lorsque Emmanuel Macron déclare à plusieurs reprises qu’il s’opposera à tout nouvel élargissement de l’UE tant qu’elle n’aura pas été réformée au préalable, il porte un discours français très « ancien monde »39. Il fait écho aux critiques classiques dans notre pays contre les précédents « élargissements », qui ont accru la concurrence économique et sociale au sein de l’UE, mais aussi et surtout battu en brèche la préférence hexagonale pour une « petite Europe » conçue comme une « France en plus grand ». Dans un contexte marqué par des désaccords profonds entre la France et les Pays-Bas en matière économique et budgétaire, entre la France et l’Italie en matière migratoire, entre la France et le Luxembourg en matière fiscale, entre la France et l’Allemagne en matière militaire, il serait dès lors salutaire de mettre en exergue le caractère fantasmatique du retour à une « petite Europe » présumée plus unie et plus française.
La prédilection française pour l’Europe à géométrie variable
La défiance hexagonale vis-à-vis de la « grande Europe » explique enfin notre prédilection nationale pour une Europe à géométrie variable présumée plus accessible et malléable.
Dans cette perspective, la France a été utilement à l’origine d’avancées européennes fondées sur une différenciation entre États membres : ainsi de la création de l’espace Schengen à 5 (puis à 22/26), de l’euro à 11 (et désormais à 19), des multiples coopérations scientifiques (de l’Agence spatiale européenne à Eureka) et militaires (de l’Eurocorps à l’Initiative européenne d’intervention en passant par les opérations militaires de l’UE), dont notre pays est quasiment toujours partie prenante… Elle a su le faire à chaque fois qu’elle a su concilier poursuite d’objectifs européens d’intérêt général et promotion de ses intérêts nationaux, dans un délicat équilibre visant à n’exclure aucun européen volontaire40.
Pour autant, il est notable que notre pays promeut souvent la formation d’une « Europe à géométrie variable » par défiance vis-à-vis de la grande Europe marchande et élargie, qu’elle donne le sentiment de trouver frustrante, voire répulsive. Sur ce registre, l’évolution spectaculaire de Valery Giscard d’Estaing est particulièrement symbolique : alors qu’il se rêvait en « Jefferson européen » lorsqu’il présidait la « Convention sur le futur de l’Europe » en 2001 – 2003 et œuvrait à l’élaboration d’un Traité constitutionnel, il a publié une dizaine d’années plus tard un ouvrage recommandant de refonder une autre Europe à 12 pays, en fixant le siège de ce nouvel ensemble à Strasbourg et en prédisant au passage à l’UE le même destin évanescent que l’OCDE41… Il est loisible de constater que bien peu d’États membres ou de partis politiques ont souscrit à une telle vision, attachés qu’ils sont à une « Europe à 27 » conçue comme le socle de leur projet collectif et dont l’union fait la force dans le contexte géopolitique actuel.
On peut se demander si cette défiance française vis-à-vis de l’élargissement et sa préférence pour une « petite Europe » ne sont pas l’autre nom de l’inaptitude hexagonale au compromis : toujours est-il que les pulsions visant à reconstruire l’Europe autour d’un « noyau dur » émergent souvent au moment où nos autorités nationales ne parviennent pas à convaincre leurs partenaires de les suivre. On peut aussi s’interroger sur la pertinence des positions françaises en pareil cas, et dont il faudrait mieux calibrer le contenu et le service après-vente, afin de mieux garantir leur acceptabilité, sauf à préférer rechercher des succès d’estime domestiques voire narcissiques sans souci d’efficacité européenne. On peut enfin se demander si la tentation française d’en revenir à une « petite Europe » n’est pas empreinte d’une forme de « franco-scepticisme », qui doute de la capacité d’entraînement de notre pays pour peu qu’il formule des propositions audacieuses et réalistes, et qu’il soit dans une situation domestique satisfaisante sinon exemplaire. Dans ce contexte, il serait à tout le moins préférable de promouvoir une relation plus lucide entre la France et l’UE, qui ne soit pas uniquement fondée sur un désir de projection des conceptions françaises au niveau européen mais sur la recherche patiente de compromis constructifs avec nos partenaires.
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Comme le remarquait Paul-Henri Spaak, « il existe deux sortes de pays européens : ceux qui sont petits et qui en ont conscience, et ceux qui n’en ont pas encore conscience ». Cette formule datée semble d’autant plus prémonitoire et lucide dans l’Europe de 2020, même si elle apparaît probablement inacceptable voire insultante pour maints esprits hexagonaux ! Elle a en tout cas pour mérite de mettre le doigt sur la contradiction ontologique qui tenaille la logique de projection française vis-à-vis de la construction européenne, tout en laissant entrevoir les conditions permettant d’en sortir. Ne serait-il pas en effet salutaire que la France s’accepte davantage comme une « grande puissance moyenne » (selon la formule de Valéry Giscard d’Estaing) à vocation mondiale, et qui doit par nature nouer avec ses partenaires européens les compromis nécessaires pour être influente, y compris en termes de partage de sa souveraineté ? Cela créerait en tout cas des conditions diplomatiques et politiques favorables à la mise en œuvre du projet français d’« Europe puissance » et de nature à nous permettre de mieux profiter des vents géopolitiques porteurs qui l’accompagnent désormais.
Dans cette perspective, on ajoutera à la provocation avec Matthieu Calame en soulignant la position ambiguë de nos dirigeants politiques et économiques : « Les élites françaises n’ont toujours pas fait leur deuil de la grandeur impériale passée, et pas seulement sur le plan psychologique42 : le pays lui-même est emberlificoté dans des liens politico-économiques qui bloquent toute avancée européenne »43. Si l’opinion publique française se montre traditionnellement favorable au renforcement de l’« Europe puissance » et de l’Europe de la défense, y compris via un recours à une plus grande intégration européenne en matière diplomatico-militaire, qu’en est-il en effet de nos élites ? Ne serait-ce pas les technostructures diplomatiques, politiques et industrielles qui, tout en se présentant comme les instruments du projet hexagonal d’Europe puissance, font de facto obstacle à sa pleine réalisation en optant pour la défense pied à pied de leurs prés-carrés respectifs, sous le regard de grands médias obnubilés par l’arène domestique et peu ouverts sur les « affaires européennes » ?
Dans ce contexte, il est bienvenu et stimulant qu’Emmanuel Macron promeuve les notions de souveraineté européenne, et même d’identité européenne pour tenter de sortir par le haut de la quadrature du cercle dans laquelle s’est parfois enfermé le projet français d’« Europe puissance ». Il lui reste la charge porter cette révolution copernicienne à son terme, sur le fond comme sur la forme, le style jupitérien s’exportant difficilement hors de nos frontières44… Il lui reste aussi à mettre davantage en mouvement « l’État profond » évoqué lors de son dernier « discours aux ambassadeurs », afin qu’il s’engage pleinement au service de son ambitieux projet européen. À cet égard, les conditions dans lesquelles la France et ses partenaires européens tireront les leçons de la crise du coronavirus seront un test déterminant de sa capacité à promouvoir l’autonomie stratégique de l’UE et la souveraineté européenne dont elle se réclame – à moins qu’elle ne consacre la rémanence d’une forme somme toute très conventionnelle de souverainisme national45, qui ne contribuera guère au succès des idées françaises sur notre continent.
Sources
- Sur cet enjeu plus contemporain, voir Bertoncini, Y. et Chopin, T. (2020) « Macron l’Européen : de l’Hymne à la joie à l’embarras des choix », Le Débat, n°208, janvier-février 2020.
- Bertoncini, Y. et Chopin, T.(2005), « Le référendum du 29 mai 2005 et le malaise culturel français », Le Débat, n°137, novembre-décembre 2005.
- Voir Cautrès, B., Chopin, T., Rivière, E. (2020) « Les Français et l’Europe : entre défiance et ambivalence. L’indispensable “retour de l’Europe en France”, Rapport », n°119, Institut Jacques Delors, mai 2020.
- Voir en particulier Bossuat, G. (2005), Faire l’Europe sans défaire la France. 60 ans de politique d’unité européenne des gouvernements et des présidents de la République française (1943-2003), Bruxelles, P.I.E-Peter Lang, coll. « Euroclio. Études et documents » ; et Dulphy, A., Manigand, C. (2006), La France au risque de l’Europe, Armand Colin.
- Voir Boy, D., Cautrès, B., Sauger, N. (2009), Les Français, des Européens comme les autres ?, Presses de Sciences Po.
- Voir Lacroix, J. (2008), La pensée française à l’épreuve de l’Europe, Grasset.
- Voir Foucher, M. (2000), La République européenne, Belin, p. 66-68.
- Voir Foucher, M. (2000), La République européenne, Belin, p. 66-68.
- Voir Brzezinski, Z. Le grand échiquier ; Hachette, coll. « Pluriel », 1997, p. 91-92.
- Sur la typologie des visions nationales vis-à-vis de la construction européenne, voir Bertoncini, Y. et Chopin, T. Politique européenne. États, pouvoirs et citoyens de l’UE, Paris, Presses de Sciences Po-Dalloz, 2010, pp. 66-78.
- On pourra se reporter sur ce point à Balme, R., Woll, C. (2005), « France : between Integration and National Sovereignty », in S. Bulmer, C. Lequesne (eds.), Member States and the European Union, Oxford U.P., p. 97-118 et aussi à Grossman, E. (2007), « France and the EU : from Opportunity to Constraint », in Journal of European Policy, 14 octobre.
- Voir par exemple Proissl, W. (2010), « Why Germany fell out of love with Europe ? », Bruegel Essay.
- Bulmer, S. (2010) Germany in Europe : from « tamed power » to normalized power », International Affairs, 86/5, pp. 1051-1073 ; voir aussi Hassner, P. (2010), « L’Allemagne est-elle un pays normal ? », Commentaire, n°129, printemps 2010, pp. 119-123.
- Voir Diez Medrano, J. (2003), Framing Europe : Attitudes to European Integration in Germany, Spain and the United Kingdom, Princeton, Princeton University Press.
- En chimie, la notion de sublimation correspond au passage de l’état solide à l’état gazeux sans passer par l’état liquide : cette transformation rapide et profonde semble s’apparenter assez bien à celle qui est attendue d’une adhésion à l’UE.
- Sur ce thème, voir Jacques Delors « Le pardon et la promesse. L’héritage vivant de Robert Schuman », Discours, Notre Europe, mai 2000, qui fait écho à la pensée d’Hannah Arendt.
- In Archives de Jean Monnet, fonds AMG 1/1/6 citées par Bossuat, G., (2005), Faire l’Europe sans défaire la France, op. cit.
- Ce sacrifice allemand sera en partie compensé par la mise en place de règles de gestion de l’UEM d’inspiration germanique, dont l’application s’est cependant avérée particulièrement flexible et créative…
- Extraits de la conférence de presse du général de Gaulle, 23 janvier 1964.
- Cité in Lacouture, J. (1986), De Gaulle, Le Seuil, t. 3, p. 313.
- Sur ces enjeux, voir Bertoncini Y. (2018), « Le Congrès de La Haye et l’Europe d’aujourd’hui : deux moments fondateurs », Collège d’Europe, mai 2018.
- Sur cet enjeu, voir Letta E, Delors J., Lamy P, Vitorino A. & Bertoncini Y. (2016), « L’UE et notre sécurité collective : plus forts ensemble ! » Tribune, Institut Jacques Delors, juin 2016.
- Voir Emmanuel Macron, discours prononcé à la Sorbonne : « Initiative pour l’Europe – Discours pour une Europe souveraine, unie, démocratique », 26 septembre 2017. Sur une première tentative de formalisation du concept d’« Europe souveraine », voir Chopin, T. (2017) « Défendre l’Europe pour défendre la vraie souveraineté », Policy paper, n°194, Institut Jacques Delors-Fondation Robert Schuman, 24 avril 2017 ; voir aussi Lamy, P. (2020), « Union européenne : vous avez dit souveraineté ? », Commentaire, n°169, printemps 2020, pp. 5-11
- Sur les contradictions françaises vis-à-vis de « l’Europe » voir Calame, M. (2019) La France contre l’Europe, histoire d’un malentendu, Les petits matins et Goulard, S. (2007), Le Coq et la perle, 50 ans d’Europe, Le Seuil.
- Gérard Bossuat rappelle utilement, dans son ouvrage Faire l’Europe sans défaire la France (op. cit.), que Robert Schuman et Jean Monnet ont dû agir discrètement pour préparer le projet de CECA afin de contourner les réticences de l’administration du Quai d’Orsay.
- Voir Roger P. (2002), L’ennemi américain. Généalogie de l’antiaméricanisme français, Le Seuil.
- Voir Calame, M. (2019), La France contre l’Europe, histoire d’un malentendu, op. cit.
- Emmanuel Macron a indiqué en février 2020 dans un discours à l’École militaire que la stratégie de dissuasion française pouvait porter sur la défense d’intérêts vitaux étroitement liés à ceux de ses voisins et partenaires européens, sans évoquer cependant l’extension du parapluie nucléaire français à un pays comme l’Allemagne…
- Pour une vision d’ensemble, voir Franck, R. (2004), « Les débats sur l’élargissement de l’Europe avant l’élargissement », in Pécout, G. (dir.), Penser les frontières de l’Europe du XIXe au XXIe siècle, Presses universitaires de France.
- L’expression est empruntée à Bossuat, G. (1995), « Le choix de la petite Europe par la France (1957-1963). Une ambition pour la France et pour l’Europe », Relations internationales, n°82, été 1995.
- Cité in Dulphy, A. et Manigand, C., La France au risque de l’Europe, op. cit., p. 246.
- Les Français se prononcent en faveur de l’adhésion du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark à la Communauté économique européenne, lors du premier référendum « communautaire » organisé en France, en 1972 ; le « oui » l’emporte par 68 % des suffrages exprimés.
- Voir L’opinion des Français sur le marché commun et l’unification de l’Europe de 1950 à 1968, rapport pour l’IFOP, 1968.
- Voir sur ce point Grunberg, G. et Lequesne, C. (2004), « France. Une société méfiante, des élites sceptiques », in Rupnik, J. (dir.), Les Européens face à l’élargissement, Presses de Sciences Po. Voir aussi Lequesne, C. (2007), « Les élites politique française face à l’élargissement de l’Europe », in Costa, O. et Magnette, P. (dir.), Une Europe des élites ? Réflexions sur la fracture démocratique de l’Union européenne, Éditions de l’Université de Bruxelles, p. 77-86.
- Cf on peut lire l’intégralité de la réponse de Vaclav Havel à François Mitterrand dans Zorgbibe, C. (2005), Histoire de l’Union européenne, Albin Michel, p. 386-388.
- Voir Chopin, T., Macek, L., Maillard, S., Rupnik, J. (2020), « L’Europe d’après. Pour un nouveau récit de l’élargissement », Esprit, mai.
- Voir Macek, L. (2011), L’élargissement met-il en péril le projet européen ?, La documentation française, Réflexe Europe, coll. « Débats ».
- Voir Lequesne, C. (2008), La France dans la nouvelle Europe. Assumer le changement d’échelle, Presses de Sciences Po.
- Le positionnement défensif français sur l’élargissement est d’autant plus déroutant que la réforme des institutions européennes a été largement engagée et achevée par les Traités de Nice et de Lisbonne, et que rien n’empêche de la poursuivre en menant en parallèle des négociations d’adhésion à l’horizon 2025 ou 2030…
- Sur cet enjeu, voir Chopin, T. et Jamet, J.-F. (2008), « La différenciation peut-elle contribuer à l’approfondissement de l’intégration communautaire », Question d’Europe, n°106, Fondation Robert Schuman, 15 juillet ; Bertoncini, Y. (2017), « L’intégration différenciée dans l’UE : une légitimité à géométrie variable »,, Institut Jacques Delors, Mars.
- Voir Giscard d’Estaing ,V. (2014), Europa, La dernière chance de l’Europe, XO Editions.
- Sur les limites de l’obsession française pour la puissance, voir notamment Duval, G. (2015), La France ne sera plus jamais une grande puissance ? Tant mieux. La Découverte.
- Voir Calame, M., (2019) La France et l’Europe, histoire d’un malentendu, op.cit.
- Sur ce sujet, voir Bertoncini ,Y. et Chopin, T., « Macron l’Européen : de l’hymne à la joie à l’embarras des choix », Le Débat, op.cit.
- Le Monde relevait ainsi le 18 avril 2020 que le chef de l’État français n’utilisait plus le concept de « souveraineté européenne » : « Il nous faudra rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française, et plus d’autonomie stratégique pour notre Europe », a-t-il estimé après avoir échangé, au cours du week-end, avec Jean-Pierre Chevènement, chantre de la souveraineté nationale et de la planification ».