Bruxelles / San Francisco. En échange de financements et d’aides fiscales, les Tech Giants ont été appelés par les gouvernements internationaux et les autorités sanitaires pour encourager les gens à rester chez eux et aider à suivre la propagation du virus.

Un effort conjoint de Twitter, Facebook, Instagram, YouTube et Reddit a supprimé de grandes quantités de fausses nouvelles concernant l’épidémie et a invité les gens à ne pas quitter leur domicile1. De plus, les projets « Data for Good » de Facebook et « Covid-19 Community Mobility Report » de Google fournissent des informations sur le traçage numérique des personnes aux gouvernements de plus de 131 pays pour aider à réduire la propagation du virus2.

Voilà que même les ennemis jurés de la Silicon Valley Alphabet (Google) et Apple travaillent ensemble sur un nouveau logiciel pour les deux systèmes d’exploitation, Android et iOS. Ils produiront une technologie Bluetooth pour collecter des informations sur le traçage numérique. Apple a annoncé que « la confidentialité et la sécurité des gens serait au cœur de la conception ». Cela permettrait aux autorités de suivre les interactions humaines pendant plusieurs jours et d’intervenir pour isoler les personnes s’il y aurait des preuves de contamination de coronavirus3.

Cependant, les droits à la vie privée et à la protection des données peuvent être menacés car ces efforts conjoints surviennent dans une période très difficile pour les Tech Giants4. En effet, malgré les aides internationales et gouvernementales, les principales entreprises de la Silicon Valley éprouvent de grandes difficultés financières5.

L’Interactive Advertising Bureau suggère que, pendant la pandémie, les géants de la technologie ont perdu jusqu’à 40 % de leurs revenus publicitaires en ligne. Notamment, Facebook et Google ont perdu, à eux seuls, 340 milliards de dollars de valeur marchande à la suite de la pandémie.6

Certains soutiennent que cela est dû au fait qu’ils n’ont pas réussi à diversifier leurs investissements loin du marché de la publicité en ligne, qui est actuellement en chute libre. Les chiffres du Financial Times et de News Guild montrent que les grandes entreprises en ligne ont vu leurs revenus publicitaires s’effondrer et réduisent désormais leurs investissements et les salaires des leurs employés.7

Le trafic internet et les abonnements ont quant à eux augmenté plus que jamais, les gens souhaitant en savoir plus sur la propagation du virus8. Cependant, les sociétés de médias ont eu du mal à tirer parti des publicités, car les sponsors et les marques n’ont plus pu se permettre de payer leurs services publicitaires.

Les Tech Giants seront ainsi contraints de poursuivre leur frénétique ruée vers l’exploration et la vente de données pour maintenir leur place sur le marché face à la féroce concurrence internationale.

Pourtant, après la pandémie, les institutions internationales seront prêtes à surveiller la situation, et peut-être ruiner les plans des géants de la technologie. En effet, un scepticisme croissant s’est emparé des décideurs politiques européens et internationaux, car ces mesures pourraient potentiellement porter atteinte aux droits des gens en matière de confidentialité et de protection des données. L’agence numérique de l’Union européenne a annoncé qu’elle surveillait attentivement la situation et serait prête à agir si nécessaire9.

Plus tôt cette année, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen a imposé de nouvelles limites sur la quantité de données que les entreprises technologiques peuvent collecter. Cela a également donné aux gouvernements le pouvoir d’imposer des amendes allant jusqu’au 4 % sur les revenus mondiaux des entreprises en cas de violation des droits des utilisateurs10. Des lois similaires ont déjà été adoptées dans plusieurs pays, dont le Brésil, le Japon, l’Inde et les États-Unis (Californie).

La coopération entre gouvernements, autorités internationales et entreprises technologiques serait toujours la bienvenue, en particulier en ce qui concerne la santé mondiale. Pourtant, cette situation souligne une fois de plus la nécessité d’une politique internationale claire et solide pour protéger les droits des citoyens à la vie privée et à la protection des données.

Sources
  1. WONG Julia Carrie, Tech giants struggle to stem ‘infodemic’ of false coronavirus claims, The Guardian, 10 avril 2020
  2. Google/Facebook : fact check , Financial Times, 7 avril 2020
  3. Apple, Apple and Google partner on COVID-19 contact tracing technology, 10 avril 2020
  4. ESPINOZA Javier, Google pressured by Brussels over privacy in coronavirus tracing apps, Financial Times, 16 avril 2020
  5. NICOLAU Anna, Advertising slump leads to cuts at digital and print media alike, Financial Times, 14 avril 2020
  6. Google/Facebook : fact check, Financial Times, 7 avril 2020
  7. NICOLAU Anna, Advertising slump leads to cuts at digital and print media alike, Financial Times, 14 avril 2020
  8. JONES Katie, This is how COVID-19 has changed media habits in each generation, World Economic Forum, 9 avril 2020
  9. ESPINOZA Javier, Google pressured by Brussels over privacy in coronavirus tracing apps, Financial Times, 16 avril 2020
  10. SATARIANO Adam, Europe’s Privacy Law Hasn’t Shown Its Teeth, Frustrating Advocates, The New York Times, 27 avril 2020