Pékin. Si le gouvernement chinois maintient son récit vantant la « victoire » chinoise sur le COVID-19, la réalité est plus complexe. Cette semaine, plusieurs nouveaux cas ont été enregistrés dans le pays. Le principal foyer « actif » est situé dans le Heilongjiang, au Nord-Est du pays. Les premiers cas ont été enregistrés en début de semaine, à en fin de journée le 17 avril ce cluster comprenait 32 cas confirmés et 20 cas asymptomatiques. Six infirmières étaient également contaminées1. La situation sur place est complexe, des vidéos circulent montrant la construction de barricades dans la ville et des queues devant les hôpitaux à Harbin. Des renforts ont été envoyés sur place tandis que les autorités médicales appellent à la transposition du modèle de Wuhan à Suifenhe2 (l’autre ville touchée dans le Heilongjiang – Huizhong Wu, journaliste de Reuters, explique que cette ville est devenu le point d’entrée en Chine depuis la Russie voisine)3. Le risque est important que le virus sorte de la province et se répande dans la province du Jilin voisin : la prévention est d’autant plus difficile que certains personnes sont testés plusieurs fois négativement avant que les résultats ne soient finalement positifs4. Des cas ont par ailleurs été enregistrés dans le Liaoning, a Fushun, depuis Harbin5. Conscient de la gravité de la situation, les autorités locales sont déjà poursuivies : le 17 avril, la Commission d’Inspection et de Discipline provinciale annonçait « tenir responsable 18 officiels » de la province dont le vice-maire de Harbin6. La commission juge qu’ils n’ont pas été assez combatifs pour prévenir la contagion dans la ville. 

A Canton, les autorités locales ont enregistré quatre nouveaux cas. Les personnes infectées, originaires du Hubei, affichaient un code santé (健康码) « vert » et étaient donc considérés comme « personnes saines »7. Le 16 avril, le Shanxi confirmait 61 nouveaux cas, parmi lesquels 56 revenaient de Russie8. Dans le Yunnan, les autorités locales s’inquiètent de la porosité de la frontière avec le Myanmar, le Laos et le Vietnam, par conséquent les travaux de préparation d’hôpitaux de campagne ont été accélérés, et les capacités de tests dans 25 districts frontaliers seront augmentés à 10.000 par jours9

Alors que la France planifie la réouverture des écoles, la situation des établissements scolaires en Chine est plus contrastée. Nous le disions la semaine dernière, la majorité des écoles en dehors du Hubei et de Pékin ont rouvert. Toutefois, les mesures prises pour éviter de nouvelles contagions sont parfois très strictes : déjeuners seuls, distances de sécurité, etc. Le journal ‘NewCapital’ rapporte les instructions officielles du Conseil des Affaires de l’Etat10 : décontaminations régulières des locaux, tests et suivis réguliers des professeurs voire des élèves, lavage de mains réguliers, etc. Des mesures doivent être prises aussi pour lutter contre les décrochages scolaires et le manque de cours. Notons également qu’à Pékin, les parents d’élèves scolarisés dans les écoles privées internationales demandent un remboursement des frais, alors que les écoles expliquent avoir besoin des paiements en avance pour assurer leur survie.11

Sur le plan politique, le 15 avril, Associated Press explique avoir eu accès à un mémo interne du gouvernement, indiquant que celui-ci était informé de la gravité de la situation dans le Hubei dès le 14 janvier, soit 6 jours avant l’annonce officielle à la nation12. Au-delà de la preuve supplémentaire quant à la conscience au plus au sommet de l’Etat de l’existence de la situation épidémique, il est notable de constater que des sources au sein du Parti communiste ont fait fuité ce mémo à Associated Press. 

Chiffres et situation économique 

Le 17 avril, le bureau des statistiques chinois a publié les chiffres du premier trimestre. L’économie chinoise a régressé de 6.8 %. C’est la plus forte récession enregistrée depuis que la Chine dispose de données, selon Caixin13. Dans un autre article publié juste avant l’annonce officielle, Caixin interrogeait différents économistes sur leurs prédictions. La plupart d’entre eux tablaient sur une récession comprise entre -7 à -10 % du PIB au premier trimestre, malgré le léger rebond des indicateurs en mars. En cause, les chutes dramatiques des exports, qui selon les domaines varient entre -5 à -30 %. Bien que des doutes unanimes entourent le calcul des données macroéconomiques chinoises, la communication d’une si forte baisse indique que le gouvernement reconnaît la gravité de la situation économique et pourrait renoncer à son objectif de doublement du PIB entre 2010 et 2020. 

Le même jour, le Politburo s’est réuni14. Le communiqué souligne la situation inédite et périlleuse dans laquelle se trouve la Chine. Bill Bishop a noté sur son compte Twitter15 certains phrases marquantes du communiqué, qui soulignent le sentiment d’urgence désormais affiché par les autorités. Plus tôt dans la semaine, un document publié par le comité central du PCC et le Conseil des Affaires de l’Etat appelaient à des réformes « structurelles » dans l’allocation des facteurs de productions et d’allocations des ressources16. Il s’agirait selon certains d’un signal en faveur de réformes économiques « libérales » (c’est à dire un renforcement du marché au détriment des entreprises et de l’économie d’Etat). Toutefois, même si la volonté est là, la possibilité de mener à bien ces réformes dans un délai court n’est pas assurée.

Alors que l’économie est en berne, les médias discutent des moyens à disposition du gouvernement pour la reprise. Le SouthernWeekend s’intéresse à la question des infrastructures17. Début février, des signaux ont commencé à émerger quant à la possibilité d’une relance par les infrastructures. La réalité est toutefois plus complexe et a été « mal comprise ». Il ne sera pas question d’un plan massif similaire à ceux que l’on a déjà connus. Tout d’abord, la plupart des sommes annoncées (3,6 trillions de CNY dans le Yunnan, 3,8 trillions dans le Fujian) incluent en réalité des projets en partie financés et seront étalées sur plusieurs années, tandis que dans d’autres provinces les sommes réellement engagées ne constituent qu’une fraction des chiffres annoncés. Deuxièmement, fait largement documenté, les finances des gouvernements locaux, exsangues, ne permettent pas de dépenser des sommes trop importantes. De plus, les infrastructures « classiques » (voies ferrées, réseau routier, immobilier) sont déjà saturées. Par conséquent, le troisième point de l’article se pose la question des « nouvelles infrastructures » (infrastructure 5G, transport ferroviaire à grande vitesse et interurbain, piles de recharge des véhicules à énergie renouvelable, grands centres de données, intelligence artificielle, Internet industriel) dont nous parlions dans les précédents Passe Muraille. Ces nouvelles infrastructures ont effectivement reçu la priorité gouvernementale18, mais l’ampleur de l’investissement n’est pas décidé. Ainsi, pour relancer l’économie, les auteurs se demandent si la meilleure solution ne serait pas de « subventionner » les individus pour relancer la consommation. 

Cette reprise de la consommation que tout le monde attend tant ne reviendra pas. Du moins c’est que prédit cette colonne écrite dans Huxiu. En effet, pour l’auteur, la situation est différente de celle qui a suivi le SRAS : « les trentes glorieuses » chinoises se sont achevées, la demande mondiale est à l’arrêt, et les citoyens chinois ne comptent pas dépenser leur argent. Parmi les exemples qu’il cite : malgré la réouverture des centres commerciaux, personne ne dépense de grosses sommes. Le e-commerce limite la casse, mais on est loin des niveaux normaux en cette saison. Enfin, note-t-il, le seul secteur qui fonctionne est celui de l’assurance …

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Sources
  1. ZHAN Chenchen, Tweet du 13 avril 2020
  2. Dialogue avec le membre du groupe d’experts national Guan Xiangdong : apporter l’expérience de traitement de Wuhan à Suifenhe (original en chinois mandarin), Weixin, 15 avril 2020
  3. WU Huizhong, Tweet du 18 avril 2020
  4. ZHANG Chenchen, Tweet du 15 avril 2020
  5. 哈尔滨疫情波及辽宁抚顺 患者曾陪父哈市就诊, Caixin, 17 avril 2020
  6. 黑龙江追责问责18名党员干部和公职人员, Weixin, 17 avril 2020
  7. MOZUR Paul, ZHONG Raymond, In Coronavirus Fight, China Gives Citizens a Color Code, With Red Flags, The New York Times, 30 mars 2020
  8. 山西境外输入新冠确诊病例已达61例 56例来自俄罗, Caixin, 16 avril 2020
  9. 云南:25个边境县已做好备用医院改造建设准备, BJ News, 15 avril 2020
  10. 贺青华提出,应当在确保疫情得到有效控制,学校具备了相应的防控条件以后,错时错峰开学。, Caixin, 15 avril 2020
  11. Update : Frustrated Beijing Parents Demand Refunds From Pricey Private Schools, Caixin Global, 15 avril 2020
  12. China didn’t warn public of likely pandemic for 6 key days, Associated Press, 15 avril 2020
  13. 财新调查|一季度GDP同比下降6.6 % 3月数据降幅或收窄 , Caixin, 13 avril 2020
  14. [视频]中共中央政治局召开会议 分析国内外新冠肺炎疫情防控形势 研究部署抓紧抓实抓细常态化疫情防控工作 分析研究当前经济形势和经济工作 中共中央总书记习近平主持会议, CCTV-1, 17 avril 2020
  15. BISHOP Bill, Thread Twitter du 17 avril 2020
  16. 中共中央 国务院关于构建更加完善的要素市场化配置体制机制的意见, Gov.cn, 9 avril 2020
  17. 被误读的新基建潮, Weixin, 17 avril 2020
  18. 我国将加快数字基础设施核心技术攻关, Xinhua, 17 avril 2020
Crédits
Ce texte est un extrait du Passe Muraille, une revue de presse hebdomadaire de l'actualité chinoise. Constitué à partir de sources originales traduites et contextualisées, c’est le seul compte rendu francophone, gratuit, consacré à l'actualité du monde sinophone : https://eastisred.fr/passe-muraille-n58-semaine-du-13-avril/