Bruxelles. Au sein de l’Union européenne, la réouverture se fera-t-elle grâce au numérique ? Il semble que oui : pour arrêter la propagation de Covid-19 et repartir, de nombreux pays européens ont déjà utilisé les nouvelles technologies, de manière plus ou moins invasive pour la vie privée. Certains pays, comme la France ou la Belgique, utilisent des drones pour contrôler le respect du confinement ; d’autres, comme l’Espagne ou le Portugal, ont mis en place des applications d’autodiagnostic pour permettre aux citoyens qui se croient contaminés de se déclarer au système de santé national et de recevoir de l’aide. En outre, la plupart des pays utilisent déjà les données téléphoniques pour suivre les déplacements de leurs citoyens.

Mais aujourd’hui, alors que l’inquiétude en Europe et dans le monde entier se déplace vers la question de savoir comment et quand lever les restrictions, les applications de traçage des contacts sont de plus en plus utilisées : de nombreux États commencent à envisager de développer des applications pour surveiller le confinement ou le contact de personnes contaminées, et l’on assiste à une véritable course de la part des développeurs et des entreprises, grandes et petites, dont Google et Apple, pour fournir aux gouvernements des outils pouvant être utilisés à grande échelle1. Cette course s’inspire du succès des solutions mises en place dans certains pays asiatiques, comme TraceTogether à Singapour, qui a réussi à réduire considérablement l’épidémie2. L’idée de base est que le fait de pouvoir suivre et isoler efficacement les personnes malades contribuerait à réduire la nécessité de verrouillages à grande échelle et permettrait ainsi à l’économie de redémarrer.

Cependant, ces applications soulèvent plus d’un doute quant à la protection de la vie privée – surtout dans l’Union européenne, qui a une réglementation assez stricte en la matière. Pour cette raison, et pour mettre de l’ordre dans les différentes propositions nationales à l’étude, la Commission européenne a publié, le jeudi 16 avril, un guide à l’attention des États membres sur le développement des applications de traçage des contacts.3. Selon ce document, par exemple, l’utilisation des données de localisation est fortement déconseillée, car elle crée des risques pour la vie privée et la sécurité – un des fleurons de l’Union dans sa quête de souveraineté numérique4. Une bien meilleure solution serait l’utilisation de la technologie Bluetooth. En outre, les recommandations pour le développement d’applications de traçage des contacts soutiennent que ces technologies doivent être mises en place sur une base volontaire et utiliser des technologies respectueuses de la vie privée, passant que par des données anonymisées.

Bien que le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) ait recommandé le développement d’une application paneuropéenne, le lancement d’une telle application coordonnée depuis Bruxelles est peu probable. En fait, la Commission se contente de proposer des lignes directrices à suivre pour le développement d’applications, laissant aux gouvernements nationaux le choix de les développer ou non et de la manière de le faire5. En tout cas, pour aider les gouvernements, le consortium paneuropéen PEPP-PT (Pan-European Privacy-Preserving Proximity Tracing) a été établi pour rechercher des modules et des outils de suivi et d’interopérabilité respectueux de la vie privée, prêts à l’emploi, bien testés et validés.

Un coup d’œil sur ce qui se passe dans les États membres permet de constater des approches profondément différentes. La carte interactive ci-dessous, qui représente les pays développant des applications de traçage numérique et ceux qui n’en développent pas, est un bon point de départ pour analyser la manière dont les pays font face au défi numérique contre le coronavirus.

En analysant les données présentées par la carte, on peut constater qu’il existe de profondes différences, en partie liées aux différentes approches nationales : tout d’abord, seule la moitié des pays (dont le Royaume-Uni) développent, ou prévoient de développer, des applications pour le traçage et l’utilisation des données personnelles. Des pays comme la Suède ou le Luxembourg ont refusé l’utilisation de telles applications sur la base du respect de la vie privée ; même en Belgique, qui a entamé des recherches sur une telle application, le débat sur la vie privée est très animé6. D’autres pays, tels que l’Italie, l’Allemagne et la France, développent, en étroite collaboration avec leurs autorités respectives chargées de la protection de la vie privée, des applications fondées sur le Bluetooth, en insistant sur leur utilisation sur une base volontaire7. Les solutions adoptées par la République tchèque et Chypre, en revanche, font appel aux données de localisation, malgré la prudence exigée par la Commission européenne. En outre, alors que la plupart des pays utilisent des logiciels nationaux et s’appuient sur la solution proposée par le PEPP-PT, le Royaume-Uni travaille avec Apple et Google.

En Pologne, la nouvelle application de suivi – volontaire – s’ajoute à celle, déjà très répandue et obligatoire, de suivi des personnes en quarantaine, fondée de manière assez invasive sur la géolocalisation et la reconnaissance faciale. Une approche opposée à celle adoptée par l’Espagne et le Portugal, qui n’utiliseront pas d’applications de traçage, bien qu’ils aient déjà des applications d’autodiagnostic. En outre, alors que la plupart des États membres envisagent de développer des applications nationales, des pays favorables à la technologie comme la Finlande, l’Estonie ou la Bulgarie étudient les développements internationaux possibles pour leurs applications8.

Dans ce contexte, la Commission européenne se limite (au moins pour l’instant) à jouer un rôle d’arbitre et à veiller au respect des règles : les États membres sont tenus de tester et d’évaluer l’efficacité des applications proposées avant le 30 avril, et de faire rapport à la Commission, qui devra évaluer les efforts, avant le 31 mai. Cette approche sera-t-elle suffisante pour garantir que ces applications soient la solution idéale pour un été en plein air, mais dans le plein respect de la vie privée ?