Bruxelles. Mercredi 15 avril, la Commission européenne présentait sa feuille de route pour une levée commune des mesures de confinement. Exercice périlleux, la Commission garde un souvenir douloureux de l’ordre dispersé dans lequel les mesures de confinement ont été prises lorsque le coronavirus s’est propagé sur le territoire européen. Le principe de coopération avait alors largement cédé sous le poids de la panique des États membres, les poussant à déployer des mesures unilatérales. 

Le 7 avril, Ursula von der Leyen a essuyé un premier revers alors qu’elle évoquait la présentation d’une feuille de route commune de déconfinement. Face aux levées de boucliers de certains États membres qui s’apprêtaient à annoncer leurs propres calendriers de mesures, la Commission avait alors revu ses ambitions à un simple « débat d’orientation » sur la mise en place d’une feuille de route pour sortir des mesures restrictives. Avant même d’avoir pu en esquisser le brouillon, la présidente de la Commission a donc été forcée de revoir sa copie pendant les célébrations de Pâques. Très prudente, elle en a finalement présenté les contours de sa feuille de route, épaulée par Charles Michel, alors que certains pays avaient déjà annoncé des mesures de déconfinement à géométrie variable.

Au Danemark, la réouverture des écoles a commencé le mercredi 15 avril, même si la levée des principales mesures n’est prévue que pour le 10 mai. Alors que la France prolonge son confinement strict au moins jusqu’au 11 mai, l’Autriche a entamé sa levée de confinement progressive dès le 14 avril. En République tchèque, les premières mesures commenceront le 20 avril tandis qu’en Espagne, des mesures ont été prises dès le 13 avril afin de lutter autant que faire se peut contre l’impact économique dévastateur du Covid-19. La date du 25 avril est actuellement évoquée pour un début de déconfinement général. En Italie, quelques mesures exceptionnelles d’assouplissement ont été prises, mais le déconfinement est pour l’instant prudemment envisagé à partir du 3 mai, comme en Belgique. En Allemagne, certains commerces seront autorisés à ouvrir leurs portes dès le 20 avril, mais les principales mesures de déconfinement sont prévues à partir du 4 mai, sous réserve de la définition d’une stratégie commune entre le gouvernement fédéral et les ministres-présidents des Länder, lors d’une réunion prévue le 30 avril.

Relancer l’économie, éviter un rebond épidémique, répondre aux enjeux des différents territoires, les scénarios de déconfinement sont complexes, notamment au regard de l’hétérogénéité de la diffusion du virus à l’échelle nationale comme régionale. La feuille de route publiée le 15 avril par la Commission est ainsi très prudente. Trois critères clés, prérequis à un déconfinement adéquat, on été retenus : (i) épidémiologique, afin de constater que la propagation de la maladie a considérablement diminué et s’est stabilisée pendant une période prolongée, (ii) capacitaire, afin d’assurer la bonne gestion des systèmes de santé et (iii) analytique, pour permettre une surveillance appropriée de la propagation ultérieure du virus et prévenir sa réapparition. Si la nécessaire progressivité de ces mesures semble communément actée, la feuille de route peine à pallier l’approche fragmentaire des États membres et à proposer des éléments de synchronisation et de coordination concrets.

La question du déconfinement est sensible pour les États membres et les stratégies seront vraisemblablement évolutives. Du fait notamment de la nature intégrée du marché unique, les retombées des politiques nationales auront toutefois d’importants effets sur les autres pays de l’UE. La Commission souligne notamment explicitement ce risque dans sa feuille de route : « La désescalade des mesures imposées par le Covid-19 de manière coordonnée est une question d’intérêt européen commun[…]. La propagation du virus ne peut être contenue à l’intérieur des frontières et les mesures prises isolément sont moins efficaces »1. Prises isolément, les mesures de confinement ont révélé d’importantes failles dans la gestion de crise commune. Le déconfinement est soumis aux mêmes menaces et un nouvel étalage des divisions européennes serait symboliquement très coûteux pour l’Union.

La méthode du plus petit dénominateur commun n’est pas inéluctable, l’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’UE est très explicite en ce qui concerne l’action de l’Union en matière de santé qui doit être « menée dans le respect des responsabilités des États membres »2. Mais cette action doit également « compléter » celle des États membres, une tâche qui ne saurait se réduire à la seule énumération de bonnes pratiques et de recommandations générales. Le sens fondamental d’une Commission (géo)politique en ces temps de crise relève de sa capacité à conjuguer les forces au service d’une stratégie de projection commune, incarnée par une action cohérente et décisive. La réouverture synchronisée des frontières intérieures sera, à ce titre, un défi de première importance lors duquel la Commission doit jouer un rôle clé et se montrer apte à créer un consensus dynamique, préalable à une réaction commune. 

Privée de cette capacité par les États membres ou incapable de remplir ce mandat, la Commission court le risque de voir son rôle réduit à l’énonciation des termes de sa propre inanité. Si elle n’a pas vocation à imposer des instructions de déconfinement aux États membres, il est de sa responsabilité de leur rappeler en quoi son action et sa vision sont essentielles pour la garantie d’une sortie de crise progressive et cohérente à l’échelle européenne. La question fondamentale est donc de savoir si cette feuille de route est un préalable à la définition d’une véritable stratégie de déconfinement coordonnée, ou si les États membres attendent de constater les insuffisances de leurs stratégies nationales pour réfléchir, dans l’urgence, au moyen d’atténuer les effets de leur impréparation. Le Conseil européen du 23 avril devrait apporter des premiers éléments de réponse.