1) Le taux de létalité est-il un indicateur fiable ?

La mortalité liée au coronavirus reste un des sujets les plus sensibles de l’épidémie de Covid-19. De premier abord, la question paraît pourtant simple : quelle est la probabilité qu’une personne infectée par le coronavirus décède de la maladie ?

Pour y répondre, les épidémiologistes disposent d’un arsenal d’indicateurs dont le taux de létalité, ou « Case Fatality Rate » (CFR), est le chef de file. Il se calcule en rapportant le nombre de décès liés au Covid-19 sur le nombre de cas confirmés.

Bien interprété, le taux de létalité constitue une ressource de première ligne fondamentale pour l’estimation de la sévérité d’une maladie et l’adaptation en conséquence des mesures de santé publique.

Mais dans l’état, ce taux de létalité ne permet pas une réponse simple à la question de la mortalité liée au Covid-19. Le découplage entre la perception du danger associé à un virus et son taux de létalité semble avoir contribué à la laborieuse adhésion de la population française aux mesures de lutte contre le Coronavirus. Pourquoi avoir si peur d’un virus qui ne tue que 4,5 % des personnes qu’il infecte, si ce n’est moins ?1 Ne sommes nous pas tous paranoïaques ? Ce taux de létalité est ainsi un élément particulièrement complexe à manier dans la communication des autorités sanitaires. Une bonne compréhension de sa mesure et de ses limitations s’avère ainsi fondamentale.

2) La problématique du «  dénominateur »

Le nombre de décès liés au coronavirus est relativement fiable : tout décès lié au Covid-19 est de principe déclaré aux instances de santé publique (en préservant l’anonymat). Cela permet d’assurer le suivi fondamental au dénombrement des patients Covid19 hospitalisés et une analyse en temps réel de l’impact sur l’offre de soins.

Le nombre de cas confirmés, en revanche, est bien plus problématique. Il dépend de multiples facteurs, dont le premier est le recours au dépistage. Le plus souvent, seules les personnes symptomatiques sont dépistées, voire uniquement les cas graves. Or, plus de 50 % des infections au SARS-Cov2 donnent des formes asymptomatiques. Même parmi les formes symptomatiques, 80 % sont bénignes. Toutes ces personnes passent entre les mailles du filet ; elles ne sont pas dépistées, et ainsi pas prises en compte dans le calcul du nombre de cas confirmés alors qu’elles sont bel et bien infectées par SARS-Cov2. Cela entraîne une véritable sous-estimation du dénominateur menant à la surestimation du taux de létalité.

Ce phénomène est fréquemment retrouvé en début d’épidémie. Ce n’est qu’après la résolution de la crise aiguë que nous serons capables d’estimer la proportion de la population ayant réellement été infectée par le virus, via la généralisation du dépistage et le développement de réseaux de veille sanitaire forts.

3) Faire le point sur les facteurs de vulnérabilité 

L’âge et les comorbidités

Jusqu’à présent, les personnes âgées ou présentant d’autres maladies notamment cardio-vasculaires semblent développer plus de formes graves que les autres.

Si on s’intéresse à la mortalité par tranche d’âge, on observe des disparités frappantes : alors qu’il y a environ 0.1 % de décès par Covid-19 chez les patients de 15-44 ans, ce taux s’élève à 10.3 % chez les plus de 75 ans2.

De la même façon, près de la moitié des patients développant une forme grave présentent une pathologie préexistante ; l’hypertension artérielle, le diabète et les pathologies coronariennes arrivant en tête.3

Toutefois, ces facteurs de risque – âge et comorbidités – ne doivent pas être considérés sur le même plan. Deux études publiées dans The Lancet et JAMA s’accordent sur le fait que l’âge est directement associé à la fois au développement de formes graves et au décès. En revanche, la présence de comorbidités expose bien à un sur-risque de développer une forme grave, mais le cas échéant, n’est pas associé à un sur-risque d’évolution vers un décès.

Même si on a tendance à parler de « sujets vulnérables » pour simplifier le message, il est important de garder en tête que les populations à risque de développer des formes graves et celle à risque accru de décès ne sont pas strictement superposables.

L’effet de l’âge en est l’exemple le plus frappant : bien que les décès surviennent majoritairement chez des sujets âgés, seuls 37 % des sujets admis en réanimation ont plus de 75 ans, la majorité ayant entre 45 et 74 ans. Ce constat inquiétant distingue le coronavirus d’autres infections comme la grippe. Mais alors, quels sont les facteurs qui expliquent le développement de formes graves chez des sujets jeunes ? L’analyse des comorbidités apporte une première réponse. Plus d’études seront nécessaires pour approfondir nos connaissances sur la façon dont le COVID-19 affecte les individus.

Quid des femmes enceintes ?

Les femmes enceintes constituent une population doublement à risque dans les maladies infectieuses : d’une part, elles sont à risque de transmettre l’infection à leur enfant. Mais elles sont également sujettes à des modifications physiologiques pouvant altérer leurs propres capacités de défense. Il est ainsi légitime de se poser la question du risque spécifique des femmes enceintes dans le cadre du Covid-19. 

A ce jour, les données publiées sont rassurantes. Deux études préliminaires parues dans The Lancet 4 et The Archives of Pathology and Laboratory Medicine 5 en mars (n = 9 et 38 respectivement) indiquent une absence de formes sévères de la maladie ou de complications de la grossesse chez des femmes enceintes infectées au SARS-Cov-2. Le dépistage par RT-PCR chez les nouveau-nés montre par ailleurs une absence de transmission vertical du virus de la mère à l’enfant. D’autres études sur des échantillons plus importants seront nécessaires pour confirmer ces résultats.

4) Existe-il des traitements qui exposent à un sur-risque de décès ?

A l’heure actuelle, des associations entre traitements et développement de formes graves sont suspectées, mais il n’y a pas encore eu de confirmations épidémiologiques sur grandes séries de patients.

La première classe thérapeutique inculquée dans le développement de formes graves sont les Anti-Inflammatoires Non Stéroïdiens (AINS). Le 14 mars, la France a été surprise par la survenue de formes respiratoires graves chez trois personnes jeunes au CHU de Toulouse. Leur point commun ? Elles avaient toutes consommé des AINS. Cela mènera Olivier Véran à préconiser la prise de paracétamol plutôt que d’AINS en cas de fièvre. Sa déclaration a suscité de nombreuses réactions, en France et à l’international. Une lettre intitulée « Misguided drug advice for Covid-19 » publiée dans la célèbre revue Science va même jusqu’à dénoncer une déclaration abusive basée sur des suspicions. De toute évidence, aucune conclusion scientifique solide ne peut être tirée sur la base d’un échantillon de 3 patients… Cela constitue tout de même une piste à approfondir : en 2019 déjà, l’Agence Nationale de Sécurité des Médicaments avait lancé l’alerte sur un éventuel rôle des AINS dans l’aggravation d’infections.  

La seconde classe thérapeutique qui concentre l’attention sont les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC)6. En effet, comme le soulignent les auteurs de la lettre publiée le 11 mars dans The Lancet, ils sont responsables d’une augmentation de l’expression de l’ACE-2, récepteur utilisé par le coronavirus pour infecter les cellules. Par ce biais, faciliteraient-ils l’infection par SARS-Cov2 ? Leur hypothèse est appuyée par le fait que les IEC soient utilisés en routine dans les deux pathologies les plus à risque de formes respiratoires graves ; hypertension et diabète. Or, jusqu’à présent, la prise d’IEC n’est pas une variable expressément recueillie dans les études, si bien qu’elle n’a pas été étudiée comme un potentiel facteur de confusion impliqué dans le sur-risque associé à ces pathologies. Il faut cependant noter qu’à ce stade, le rôle des IEC dans l’infection au SARS-Cov2 n’est qu’une hypothèse à développer : cela s’adresse avant tout aux chercheurs et ne constitue en rien une recommandation clinique.

5) Comment expliquer les différences entre pays ?

Les grandes variations dans le taux de létalité entre régions ont suscité inquiétude et incompréhension. Comment expliquer qu’il y ait un rapport de 10 entre le taux de létalité en Allemagne et en France (0.5 % et 4.9 % respectivement) ? L’Italie a certes un système de santé plus hétérogène, mais cela suffit-il à expliquer un taux de létalité proche de 10 % ?

Bien sûr, tous les pays n’en sont pas au même point sur leur courbe épidémique. Il faut donc être vigilants dans nos comparaisons : on peut difficilement comparer la létalité d’un pays qui commence à avoir ses premiers cas et celle d’un pays qui a atteint son pic… Malgré cela, certains facteurs émergent comme des arguments potentiels pour expliquer ces disparités.

Le recours différentiel au dépistage

La première piste pour expliquer ces différences repose sur le recours différentiel au dépistage. Nous en revenons au problème de « dénominateur » : plus le dépistage est massif, étendu aux sujets avec formes pauci-symptomatiques spontanément résolutives, plus de taux de mortalité sera faible.

En Europe, l’Allemagne est le chef de file du dépistage de masse avec plus de 100 000 tests réalisés par semaine. Ce nombre pourrait même s’élever à 160 000 tests hebdomadaires selon Lothar Wieler, le président de l’institut Robert-Koch. A l’inverse, la France a fait le choix (en partie motivé par un manque de moyens) de ne dépister que les cas symptomatiques, et se situe plutôt aux alentours de 5 000 tests par jour.

Ceci explique l’apparent paradoxe entre nombre élevé de cas confirmés en Allemagne (± 37 000 contre 22 600 en France) associé à un taux de létalité très faible (0,5 % contre 4,9 % en France). L’uniformisation des systèmes de dépistage des cas et de recueil des décès à l’échelle mondiale est une priorité pour permettre la comparaison fiable du taux de létalité entre pays.

Des capacités de prise en charge en réanimation très variables selon les pays

Le recours différentiel au dépistage entraîne avant tout un biais statistique. Les capacités différentielles de prise en charge en réanimation, en revanche, sont responsables de vraies différences de mortalité.

Comme l’explique par le Pr. Delfraissy, président du comité scientifique du Covid19, dans un entretien publié dans Le Monde,  « L’enjeu essentiel est de préparer le système de santé à faire face à une épidémie qui va durer, à prendre des mesures permettant d’éviter l’afflux brutal d’un grand nombre de cas sérieux ou graves qui pourraient submerger les capacités de prise en charge. »

Car c’est exactement là que se situe le problème : les capacités des systèmes de santé à faire face à cette crise ne sont pas égales entre pays. Selon les données de l’OCDE 7, l’Allemagne serait classée au 3e rang mondial derrière le Japon et la Corée du Sud, avec 6 lits de soins intensifs pour 1000 habitants. Elle est ainsi très loin devant la France (3,1 pour 1 000, 19e rang) ou l’Italie (2,6 pour 1 000, 24e).

Dès lors que la limite capacitaire d’un pays est dépassée, certains patients ne peuvent pas être pris en charge convenablement. Ce seuil tant redouté est d’ores et déjà atteint en Italie, qui souffre aujourd’hui de plus de pertes humaines que la Chine. Mais ce n’est qu’une question de jours avant que la France et le reste des pays européens se retrouvent eux-aussi confrontés à la saturation de leurs systèmes de santé.

Une démographie très variable selon les pays

Comme expliqué précédemment, l’âge est un facteur de susceptibilité avéré dans l’infection au SARS-Cov2. L’Italie est le pays de l’Union Européenne comptabilisant le plus de personnes âgées. Cette pyramide des âges inversée la rend ainsi particulièrement vulnérable à la maladie du Covid19. Mais cet effet âge est tout de même à relativiser. Au Japon, pays comptant la population la plus âgée au monde, le taux de létalité s’élève à 3,6 %, ce qui est bien inférieur aux 9,9 % en Italie. Il semble donc que l’âge constitue surtout un facteur de pression supplémentaire sur un système de santé déjà à flux tendu.

Il faut tout de même prendre en compte le fait que l’Italie ait été le premier pays à être touché de façon massive en Europe. Là où la situation Italienne a été un déclencheur dans la mise en œuvre de mesures strictes pour la plupart des pays de l’Union Européenne, l’Italie a été prise de court, elle n’a pas eu le temps de s’adapter. Ce retard de prise en charge en lien avec un manque de préparation explique en partie le désarroi des hôpitaux italiens, submergés, et l’augmentation drastique du nombre de décès. Les prochaines semaines vont montrer comment les autres pays Européens seront capables de faire face au pic de la crise.