Harare. Le samedi 14 mars, lors d’un meeting du parti au pouvoir ZANU-PF, la ministre de la défense du Zimbabwe, Oppah Muchinguri-Kashiri a affirmé que l’épidémie de coronavirus était une punition divine contre l’Occident pour les maux infligés par ce dernier à son pays : « Le coronavirus est l’œuvre de Dieu, qui punit les pays qui ont imposé des sanctions contre nous. Ils sont désormais enfermés chez eux. Leurs économies souffrent comme ils ont fait souffrir la nôtre. Trump devrait savoir qu’il n’est pas Dieu. »1

Si une telle accusation peut faire sourire, elle implique des réalités plus matérielles pour le Zimbabwe. Oppah Muchinguri n’est en effet pas pasteur évangéliste comme une partie des politiciens de son pays – quoiqu’elle soit mariée à un pasteur pentecôtiste – mais ministre de la Défense et personnalité parmi les plus influentes au gouvernement zimbabwéen. Sa carrière est remarquable : après avoir combattu puis commandé pendant la guerre d’indépendance, elle a exercé de nombreuses positions au gouvernement jusqu’à son poste actuel. Selon des rumeurs, elle pourrait assumer la fonction de vice-présidente en cas de démission (ou décès) de Constantino Chiwenga, qui occupe actuellement ce poste – elle le ferait déjà lorsque celui-ci est trop malade pour assurer ses fonctions.

Ainsi lorsqu’une personnalité aussi importante parle de « punition divine contre l’Occident » devant les fidèles de son parti, il faut comprendre les ressorts d’une telle accusation. Au-delà du coronavirus, qu’elle est la situation du Zimbabwe ? En 2020, il s’agit d’un pays à l’économie exsangue depuis le démantèlement du modèle d’agriculture exportatrice par Robert Mugabe – conséquence de l’expulsion des fermiers blancs en 2000 – une décision qui a plongé le Zimbabwe dans une crise économique dont il ne s’est toujours pas remis aujourd’hui. Si le dollar zimbabwéen est revenu difficilement en 2019, l’économie reste fragile en raison des sanctions imposées par les États-Unis et l’Union Européenne à Harare. Leur but est de dénoncer le pouvoir autoritaire et d’inciter à des réformes, mais elles handicapent une économie déjà infirme et offrent un prétexte au ZANU-PF pour se raidir et adopter une position anti-impérialiste et anti-occidentale. Alors que l’Union Européenne a prolongé ses sanctions contre le Zimbabwe le 17 février2, et les États-Unis le 4 mars, le sermon d’Oppah Muchinguri peut donc se comprendre comme une réaction à ces décisions, qui ont été vivement critiquées dans tout le Zimbabwe.

Concernant la crise actuelle du coronavirus, le Zimbabwe est pour le moment relativement épargné par la pandémie. L’Afrique est de manière générale peu touchée par ce virus, et le Zimbabwe jouit d’un environnement qui paraît plutôt clément : mis à part l’Afrique du Sud qui compte plus de 200 cas, ses voisins sont peu affectés avec entre 0 et 2 cas recensés. À la date du 21 mars, 2 personnes infectées étaient recensées au Zimbabwe – entre 1 et 3, selon que la source vienne de l’opposition ou du pouvoir3. Cette situation est très stressante pour le pays. D’abord d’un point de vue économique : le renforcement du contrôle aux frontières de l’Afrique du Sud éloigne progressivement le Zimbabwe d’un de ses principaux partenaires économiques. Surtout en termes sanitaires, le Zimbabwe ne disposant vraisemblablement pas de plan de lutte contre la propagation du Covid-19 sur son territoire. Ne disposant que de moyens très limités, avec une capacité d’achat de matériel médical réduite à cause des sanctions et des coupures d’électricité devenues la norme, les autorités sanitaires pourraient être rapidement submergées.

Dans ce climat d’incertitude, la principale mesure prise par le gouvernement est celle de l’interdiction des rassemblements publics à partir du 17 mars. Mesure violée par le gouvernement lui-même dès le 18 mars4, puisque c’est lors d’un rassemblement du ZANU-PF ce jour-là que la ministre Muchinguri a évoqué le jugement divin… Cet irrespect a été justifié par le fait que le rassemblement était prévu pour se tenir à cette date bien avant que le bannissement des rassemblements publics fut promulgué.

Avec ce contexte, que penser du discours de la ministre de la Défense ? Au-delà d’un simple sermon religieux, on peut y lire les inquiétudes du gouvernement zimbabwéen dans un climat anxiogène qui ne dispose pas des moyens pour enrayer cette crise. L’un des principaux chevaux de bataille du gouvernement d’Emmerson Mnangagwa est le retrait des sanctions américaines et européennes sur son pays, afin de permettre aux capitaux étrangers de revenir au Zimbabwe, comme l’exprime le slogan « Zimbabwe is open for business ». Aussi la critique des sanctions est-elle récurrente chez les membres du ZANU-PF et Oppah Muchinguri ne fait pas exception. Derrière la rhétorique du « retour de bâton » divin il est possible de voir un énième appel à la fin des sanctions. Concernant l’Union Européenne, les sanctions, bien que moins sévères que celles des États-Unis, ont été maintenues. Il ne faudrait pas qu’elles freinent une aide au développement plus ciblée qui pourrait prévenir une crise. Les Zimbabwéens ont apprécié l’aide survenue après le passage du cyclone Idai et souhaitent coopérer avec l’Union – du moment que celle-ci ne s’immisce pas dans leurs affaires politiques.

Enfin, la référence divine d’Oppah Muchinguri peut aussi s’interpréter sur le plan intérieur. En attribuant le coronavirus à Dieu, dans une société où la religion est très présente, la ministre de la Défense contribue à dédouaner son parti d’une mauvaise préparation à une épidémie de coronavirus et plus largement de la mauvaise gestion du pays. Un article du Bulawayo 24 – journal d’opposition – a relié le sermon de Muchinguri à la maxime locale « Makandiwa is not God », ce qui voudrait dire qu’en temps de trouble, tournez votre foi vers Dieu plutôt que les êtres humains5. Dieu protègera-t-il mieux le Zimbabwe du coronavirus que le ZANU-PF ?

Perspectives  :

  • Le Zimbabwe n’est pas préparé à faire face au coronavirus et pourrait être rapidement débordé en cas d’épidémie.
  • L’efficacité des sanctions est à débattre. Si elles contribuent au malheur économique du pays – et par extension, au risque sanitaire – les réformes politiques restent marginales.