Puyo, Equateur. Forte d’une abondante biodiversité et d’une richesse culturelle majeure, la forêt amazonienne représente, de par son extension et sa composition, la forêt tropicale la plus grande du monde. A la fois réserve la plus importante de carbone et actrice de la production de biomasse, l’Amazonie est d’ailleurs couramment surnommée « le poumon de la planète ».  Réservoir de connaissances, cet écosystème renferme aussi une essentielle diversité fonctionnelle1. L’Équateur représente 1,6 % de l’Amazonie, étendue sur 45,5 % de son territoire. Le Pérou concentre également un dixième de la richesse de cette forêt, qui recouvre 60,9 % de la superficie du pays2

La région des Bassins Sacrés (Cuencas Sagradas) se localise entre les rivières Napo en Equateur et Marañón au Pérou, et se révèle être une vaste mosaïque d’aires protégées composée de l’écosystème terrestre le plus riche en biodiversité de la planète, tant pour sa faune que pour sa flore. C’est ici aussi que se trouvent les zones encore intactes de la forêt avec des taux de pluviométrie élevés, constituant ainsi un espace d’intérêt primordial capable de réguler les conditions climatiques perturbées par le réchauffement global. 

Cependant, bien que cette région soit la plus épargnée par les projets pétroliers ou miniers (aux conséquences désastreuses sur la qualité des sols, des eaux, et des conditions sanitaires des communautés vivant aux alentours), les ambitions politiques et économiques des deux pays mettent désormais en danger ce territoire ancestral de 30 millions d’hectares, de la taille de la Pologne. 

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Source  : Amazon Sacred Headwaters initiative- https://sacredheadwaters.org/

Contexte et menaces d’un modèle économique non-viable, non-durable et non-juste

En effet,  malgré sa haute biodiversité, sa capacité de résilience et son rôle de stabilisateur du climat mondial, la zone des Bassins Sacrés fait face au risque chronique de l’expansion de la frontière extractive minière et pétrolière. En janvier 2020 par exemple, l’Equateur a acté sa sortie de l’Organisation mondiale des pays exportateurs de pétrole (OPEP) dans l’objectif d’accroître sa production de barils, et a modifié son système contractuel pour attirer de nouveaux investisseurs sur le territoire. En février et mars 2020, des accords étaient déjà négociés ou signés avec les entreprises pétrolières de Jamaïque et Thaïlande, Petrojam et Petrolandia3, et le Ministre  de l’Energie Equatorien René Ortiz a exprimé ce 10 Mars qu’il fallait  “exploiter toutes les ressources naturelles possibles4, illustrant l’ambition active du gouvernement et la pression en cours sur ce territoire encore relativement préservé. Par ailleurs, le Pérou a pour projet de réformer cette année ses dispositions sur les hydrocarbures dans le but d’accélérer le processus de perforation des sols. En janvier, la production nationale de pétrole a connu une augmentation de 57 % en comparaison aux chiffres enregistrés pour la période similaire de 20195. Ceci associé aux pressions que représentent d’autres secteurs comme l’agro-industrie, l’industrie du bois ou les barrages hydroélectriques, l’Amazonie est donc en proie à des menaces imminentes, quand les gouvernements devraient prendre conscience de sa centralité tant dans les équilibres climatiques à toutes les échelles, que du patrimoine environnemental et culturel qu’elle recueille. 

De fait, poursuivre sur ce modèle économique participe d’effets majeurs tant sur l’environnement que les conditions de vie des communautés présentes au sein de l’Amazonie. L’exploitation pétrolière du géant pétrolier Chevron-Texaco au nord de la forêt équatorienne en illustre tout à fait les conséquences. Développée entre 1964 et 1992, cette concession, en déversant 64 millions de litres de résidus toxiques dans des fosses à ciel ouvert, a causé une pollution de 60 milliards de litres d’eau, de 2 millions d’hectares de forêt vierge tout en dégageant 6,5 milliards de m³  de gaz brûlés à l’air libre6. A ces dégâts environnementaux s’additionnent les dommages sanitaires, psychologiques et économiques des communautés voisines touchées par des taux de cancers, infections et malformations anormalement élevés, sans omettre l’intoxication de terres cultivables ou des zones de pêche, la destruction des habitats quotidiens ou considérés comme sacrés, et la disparition de deux peuples  : les Tetete et les Sansahuari7.  A titre d’exemple, le taux de cancer des habitants de ces régions est trois fois plus important que la moyenne nationale.

L’alliance des peuples ancestraux…

Dans ce contexte d’une pression exercée par un modèle extractiviste sur des territoires encore préservés, un ample collectif d’organisations comme la CONFENIAE8 et l’AIDESEP9, la Fondation Pachamama, Amazon Watch ou Pachamama Alliance guidées par les communautés indigènes d’Amazonie ont proposé de protéger la zone des Bassins Sacrés (Cuencas Sagradas), ses 30 millions d’hectares de forêt tropicale et les 500 000 indigènes de plus de 25 nationalités différentes vivant en son sein, dont certains en isolement volontaire. C’est donc de la nécessité de penser une transformation profonde et efficiente de la relation entre l’Amazonie et son usage, sa gestion (comprise comme un espace de construction sociale et de co-évolution avec le milieu naturel) que naît l’initiative Bassins Sacrés, Territoires pour la Vie (Cuencas Sagradas, Territorios para la Vida).   

… Pour un modèle de développement adapté et intégré aux caractéristiques du territoire amazonien

Ce projet est l’un des premiers à chercher, à un niveau macroéconomique et binational, une alternative viable, durable et juste et des solutions à long terme face aux économies basées sur les produits primaires de l’Equateur et du Pérou. A travers une alliance et une concertation régionale forte des principales parties prenantes alignées autour d’une vision commune du Buen Vivir, l’initiative offre une opportunité de penser un nouveau modèle économique et socio-environnemental.

 Le plan de Bassins Sacrés, Territoires pour la Vie en cours d’élaboration (du nom de Plan Bio-Régional) ambitionne ainsi une transition vers une économie post-pétrolière, dont la finalité serait de mettre un terme aux structures archaïques de développement des deux pays primo-exportateurs, peu bénéfiques tant pour les communautés que l’environnement. En effet, bien que l’Equateur ait pu bénéficier de plus de 90 milliards de dollars étasuniens depuis les premières exploitations de pétrole en Amazonie dans les années 60, force est de constater que les provinces amazoniennes sont celles qui enregistrent les plus faibles taux de développement humain. D’après Fander Falcóni, économiste, actuel Ministre de l’Education équatorien et membre du groupe de consultants du Plan Bio-Régional, pratiquement tous les indicateurs sociaux de la région sont bas en comparaison à la moyenne nationale  : pauvreté, malnutrition infantile, mortalité maternelle, accès à l’éducation…

L’objectif est ainsi d’achever un plan régional pour les Bassins Sacrés, fondé sur les principes de la protection environnementale et culturelle, la co-gouvernance et le développement économique durable, autonome des communautés indigènes. Ce projet prétend devenir un soutien pour la construction future de la planification territoriale, et un support de la mise en œuvre de politiques publiques et d’instruments normatifs focalisés sur l’Amazonie. De quelle manière ? En développant notamment des mécanismes de financements alternatifs ou internationaux de la conservation des forêts qui permettent de freiner l’expansion des industries extractives à grande échelle, mais aussi en prônant une bio-économie, par exemple basée sur l’économie circulaire, locale ou le tourisme communautaire.

Ainsi, l’initiative Bassins Sacrés, Territoires pour la Vie offre une occasion de développer un nouveau modèle économique et socio-environnemental pour inaugurer l’ère post-carbone. Alternative pour dépasser le paradigme dualiste opposant l’homme à la nature de la modernité occidentale, ce projet est une proposition concrète, viable à la fois régionale et planétaire, orientée vers le droit des  générations futures et les droits de la Nature, reconnus dans la Constitution équatorienne depuis 2008.

Sources
  1. La diversité fonctionnelle peut être définie comme la diversité des traits fonctionnels, ces traits étant des composantes du phénotype des organismes qui influencent des processus écosystémiques. Elle peut être reliée à la notion de résilience des écosystèmes
  2. RAISG, Red Amazónica de Información Socioambiental Georreferenciada, 2015
  3. MONTENEGRO J., Petroecuador “libera” petroleo de las preventas y va por un nuevo acuerdo con Jamaica, 2020
  4. EL TELEGRAFO, René Ortíz, Hay que explotar todos los recursos naturales posibles, 10 mars 2020
  5. Perú : producción de petróleo aumenta 57 % en enero al alcanzar 59.804 barriles diarios, America Economia, 6 février 2020
  6. LEGEARD N., En Équateur, la lutte organisée des associations contre l’exploitation pétrolière en AmazoniePour, 223(3), 287-298, 2014
  7. GELIN Romain, Le cas Chevron-Texaco en Equateur, Mirador, 24 novembre 2015
  8. CONFENIAE  : Confédération des nationalités indigènes de l’Amazonie Equatorienne
  9. AIDESEP  : Interethnic Association for the Development of the Peruvian Rainforest