Kaboul. Le 29 février 2020, les Etats-Unis ont signé à Doha un accord de paix qualifié d’historique avec les talibans afghans, ceux-là même qu’ils avaient, à la tête d’une coalition internationale, évincé du pouvoir à Kaboul à l’automne 2001 suite aux attentats du 11 septembre. Historique puisqu’il doit mettre un terme au plus long conflit mené par les Etats-Unis. Cet accord, qui prévoit le passage dans les 135 jours de 13000 soldats américains déployés à 8600, puis à un retrait total dans les quatorze mois,  est toutefois loin d’être la garantie d’un avenir pacifié en Afghanistan, malgré la perte dans les rangs américains de 2400 hommes.1 Les Etats-Unis peuvent toujours arguer qu’ils ont obtenu des talibans l’engagement qu’ils s’opposeraient à la présence sur le sol afghan d’al-Qaïda ou de l’Etat Islamique au Khorasan, manifestations d’un terrorisme international qui avait été la raison initiale de leur intervention à l’automne 2001.  Par contre, l’instauration d’une paix durable est renvoyée à l’ouverture de négociations le 10 mars entre les talibans et le pouvoir en place à Kaboul. Malgré des centaines de milliards de dollars dépensés, Washington, dont le désengagement militaire paraît irréversible, laissent derrière eux un Etat sans institutions démocratiques stables et un pouvoir à Kaboul divisé. La récente réélection au poste de président d’Ashraf Ghani, annoncée près de six mois après la tenue de l’élection, est contesté par le chef de l’exécutif, et opposant présidentiel, Abdullah Abdullah. C’est pourtant ce pouvoir désuni à Kaboul, survivant grâce à l’aide internationale et que les talibans ont jusqu’ici refusé de reconnaître comme représentant légitime du peuple afghan, qui va devoir négocier avec les talibans dédiabolisés et qui ont su préserver leur unité. La première pierre d’achoppement pourrait être la libération théoriquement prévue dans l’accord de 5000 prisonniers talibans dans les geôles afghanes, en échange de 1000 prisonniers relâchés par les talibans, et sur laquelle Kaboul voudrait reprendre la main. La question ethnique pourrait également rapidement resurgir. Les talibans pachtounes seront-ils prêts à laisser une part du pouvoir que les tadjiks ont obtenue depuis 2001 ?

Si la guerre d’Afghanistan des années 1980 a été présentée comme le Vietnam des Soviétiques, l’Afghanistan pourrait prendre la forme d’un second Vietnam pour les Américains si le pays devait replonger dans la guerre civile. Les accords de Paris de janvier 1973 sur le Vietnam avait préfiguré la déliquescence du gouvernement sud-vietnamien abandonné à lui-même par le retrait américain et plus tard la chute de Saïgon aux mains des forces nord-vietnamiennes en avril 1975.

La question de fond demeure : les talibans ont-ils changé ? Dans une optique optimiste, il est possible de faire une analogie avec la situation au Népal à la fin de la guerre civile (2006-2016) qui a vu des maoïstes, qui ne juraient que par la révolution culturelle chinoise, se conformer depuis, après avoir obtenu la fin de la monarchie, au jeu parlementaire classique, occupant même un temps le pouvoir à l’issue d’élections démocratiques. Le mouvement taliban peut-il se transformer en parti politique et accepter un système démocratique qu‘il a jusqu’ici récusé ? Le fait que l’accord à Doha ait été signé à Doha par le mollah Abdul Ghani Baradar peut être un signal encourageant.  C’est l’homme qui avait voulu déjà négocier avec Hamid Karzai en 2010 avant d’être arrêté par la CIA et les services de renseignement militaires pakistanais et de passé huit ans en prison au Pakistan. Abdul Salam Zaeef, ancien ambassadeur afghan au Pakistan (2000-2001) et auteur d’un intéressant ouvrage2, également présent à Doha, fait aussi partie des responsables talibans tempérés. Faut-il alors croire Sirajuddin Haqqani, le numéro deux des talibans, lorsqu’il écrivait récemment dans le New York Times3 que tout le monde dans son pays est fatigué de la guerre et que le nouvel Afghanistan sera un membre responsable de la communauté internationale ?

La présence américaine (USA) en Asie Centrale dans le contexte de la guerre en Afghanistan
Sources
  1. COLLOT Giovanni, Une carte pour comprendre le contexte stratégique du retrait américain, Le Grand Continent, 1 mars 2020
  2. SALAM ZAEEF Abdul, My Life with the Taliban, Hachette India, 2010.
  3. HAQQANI Sirajuddin, What We, the Taliban, Want, The New York Times, 20 février 2020