Raphaël Schellenberger, député Les Républicains du Haut-Rhin, est le président de la commission d’information parlementaire sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim et membre du HCTISN (Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire). Il a présenté au Grand Continent les enjeux de cette mission, dans un contexte de vifs débats autour de l’avenir du nucléaire en France et de sa place dans la politique énergétique européenne.
Vous avez créé, le 22 janvier dernier, une mission d’information parlementaire sur la fermeture de Fessenheim. Quelle est son ambition et comment vont se dérouler ses travaux ?
Une mission d’information est l’un des outils qui permet aux parlementaires de se saisir d’un dossier et d’exercer sur ce dossier leurs fonctions de contrôle de l’action du gouvernement. J’ai demandé la création de cette mission en septembre dernier sur la base d’un constat, celui que si localement, le sujet intéressait beaucoup — dans ma circonscription, à Fessenheim, en Alsace — à Paris, c’est un sujet qui préoccupait très peu. Il me semblait donc important d’avoir un outil parlementaire spécifiquement dédié à ce sujet. Depuis septembre, il a fallu du temps pour que ma demande soit acceptée. Et puis, on est parvenu à la création de cette mission d’information le 22 janvier, qui s’est réuni pour la première fois le 26 février. Il n’y a pas de critère d’urgence lié à l’activité de cette mission d’information.
Que va-t-on faire de cette mission d’information ? J’en attends plusieurs choses. Je souhaite déjà qu’on objective certains éléments. Pourquoi ferme-t-on Fessenheim et pas une autre centrale ? Je comprends qu’il existe la volonté politique de fermer des réacteurs, même si je ne la partage pas. En réalité, il n’y a aucune raison à ce calendrier de fermeture de Fessenheim. En tout cas, de mon point de vue, il n’y en a pas. L’argument de l’ancienneté de Fessenheim n’est pas recevable, parce que c’est un argument qui joue sur la peur de l’obsolescence de l’outil, sur la peur de sa péremption, alors même que les 12 autres réacteurs de la série de 14 qui seront fermés d’ici à 2035 ont le même âge, sont de la même génération, de la même technologie, mais eux verront leur durée de vie prolongée de dix ans. Si cet argument était valable, 12 autres réacteurs devraient être fermés sans prolongation de leur durée de vie. Si Fessenheim était une centrale dangereuse, il fallait la fermer avant d’atteindre les 40 ans de durée d’exploitation. C’est une pure mise en scène. De mon point de vue, ce n’est pas un argument technique et il est d’autant plus incompréhensible localement. Aujourd’hui, les Américains exploitent des centrales de technologies similaires pendant 60 ans, voire 80 ans, alors même qu’ils ont des aciers moins performants que les aciers français.
On entretient la confusion dans l’esprit des gens. Qu’entend-on précisément par la durée de vie d’une centrale ? En réalité, c’est une notion d’amortissement comptable. Dans le cas de cet outil industriel, on l’amortit comptablement sur 30 ans. Ça ne veut pas dire qu’une fois que l’outil industriel est amorti, il n’est plus sûr ou performant. En réalité, aujourd’hui, Fessenheim est une machine à cash pour EDF, et c’est une machine à cash qu’on a décidé d’arrêter. Il peut y avoir des raisons politiques sournoises qui pourraient tendre à démontrer, par exemple, que le nucléaire n’est pas rentable. Or, on en vient à fermer un outil industriel au moment où les coûts sont les plus amortis, et où la quasi totalité du chiffre d’affaires se transforme en bénéfice.
Ainsi, alors même que le gouvernement décide de fermer la centrale, il annonce qu’il prolongera de dix ans la durée de vie des réacteurs de la même génération, en contradiction avec Fessenheim. Là aussi, la mission d’information doit permettre de bien comprendre pourquoi, et quelles propositions formuler. Et puis, le dernier élément pour moi, c’est celui de l’analyse du retour d’expérience juridique. Cette fermeture, et plus tard le démantèlement de la centrale, vont forcément créer du droit : il faut qu’on s’y intéresse en amont.
La mission d’information va essentiellement consister en une série d’auditions à l’Assemblée nationale, publiques, filmées et retransmises sur Internet. Nous irons également à la rencontre d’acteurs du démantèlement du prototype de la centrale de la série REP français, par exemple, ce qui nous permettra d’avoir un échange sur les conditions techniques et scientifiques du démantèlement.
Vous avez dit vouloir que la mission dure “un peu plus d’un an, jusqu’à ce que l’on commence à sentir les impacts de l’arrêt définitif de la centrale”. N’est-ce pas risquer que des impacts territoriaux de moyen- à long-terme, ne passent sous le radar de la mission ?
Je ne veux pas être pessimiste, mais je pense que l’impact de la fermeture va être dramatique. 850 salariés d’EDF seront du jour au lendemain déplacés avec tous les problèmes familiaux que cela va poser, avec les logements vacants, l’impact sur le commerce local, et notamment le petit commerce de proximité, les services… On est en train de dévitaliser complètement un territoire : à Fessenheim, on ne va pas seulement arrêter deux réacteurs, on va fermer un site nucléaire et donc supprimer toute possibilité d’emploi dans le nucléaire sur le territoire. Les sous-traitants vont également reclasser leurs salariés sur d’autres postes. Enfin, il y a les collectivités locales : l’impact budgétaire est conséquent, de l’ordre de 15 millions d’euros de fiscalité locale. Fessenheim représente 50 millions d’euros de fiscalité par an, dont 15 millions d’euros de fiscalité locale. Ça va considérablement compliquer l’exercice budgétaire de la commune et de l’intercommunalité, puisque les mécanismes de péréquation de la fiscalité liés à Fessenheim sont figés dans le temps. On n’a pas anticipé, au moment de la réforme de la taxe professionnelle en 2010, qu’un tel outil de production pouvait disparaître du territoire. On va donc continuer à demander au territoire de contribuer, à hauteur de 3 millions d’euros, à la péréquation nationale après la fermeture de Fessenheim, alors même qu’ils ne toucheront plus les 6 millions d’euros de fiscalité de la centrale.
Les impacts se feront donc sentir, pour la fiscalité, dès janvier 2021, et pour la vie sociale et économique dans le territoire, dès la rentrée 2020. En ce qui concerne l’impact environnemental, il s’agit là d’un temps beaucoup plus long et qui dépend d’autres décisions. Ce qui est sûr, c’est qu’immédiatement, la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim signifiera la remobilisation d’une production d’électricité à partir de charbon allemand. Je ne suis pas sûr que d’un point de vue environnemental, ce soit une bonne chose.
Dans quelle mesure vos travaux à l’Assemblée sont et seront connectés à la recherche publique et aux initiatives existantes à Fessenheim, notamment sur la reconversion du territoire ?
Que les choses soient bien claires : la mission d’information parlementaire a pour vocation de faire le travail du législateur, pas celui du gouvernement, ni celui des collectivités locales. L’accompagnement de la reconversion du territoire, ce n’est pas le travail du Parlement. Mais j’entends bien, avec cette mission, être l’aiguillon du gouvernement — pas des collectivités locales, parce que je sais à quel point elles sont déjà mobilisées — mais du gouvernement, sur son engagement dans la reconversion de ce territoire.
La centrale de Fessenheim représente un vivier d’emplois non délocalisables important. Alors que la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) prévoit la fermeture de 14 réacteurs en France d’ici 2035, comment gérer cette transition pour les salariés, les collectivités et le réseau ?
D’abord, j’avais appelé dès novembre 2017 à ce que la stratégie nucléaire d’arrêts de réacteurs se fasse sans arrêt de sites, pour trois raisons. D’abord, la question socio-économique : c’est moins impactant de couper deux réacteurs sur un site qui en compte 4 ou 6 que de fermer complètement un site, pour une raison de tenue du réseau. Ensuite, parce que si les centrales nucléaires ont été positionnées là où elles ont été positionnées, ce n’est pas par hasard d’un point de vue de la construction du réseau de transport et de distribution d’électricité. Et pour une troisième raison, celle de la capacité à faire accepter l’idée d’un développement d’un nouveau nucléaire. En fermant complètement la centrale nucléaire de Fessenheim, on s’interdit de pouvoir développer du nouveau nucléaire. C’est peut être le plus scandaleux dans l’histoire, et c’est pour ça que je suis très attentif à ce qu’à l’avenir, on ne s’empêche pas de développer du nouveau nucléaire en France en fermant davantage de sites.
Que va-t-il advenir concrètement du site de Fessenheim suite à la fermeture du premier réacteur ?
D’abord, il y a encore un deuxième réacteur en fonctionnement jusqu’au 30 juin. Ensuite, le site restera une INB (installation nucléaire de base, ndlr) pendant toute la durée de présence de combustible sur site, soit environ 2 ou 3 ans, jusqu’à ce que le dernier combustible soit évacué puisqu’il faut du temps le temps de son refroidissement. Ensuite, viendra le temps du démantèlement. C’est en somme une solution relativement classique. 80 % du travail de démantèlement est un travail de déconstruction simple, puisque la plupart des installations sur le site sont pas des installations nucléaires. Et puis, il restera les 20 % de l’installation un peu plus techniques qu’on sait démanteler à chaud. Par exemple, le prototype des REP de 900 mégawatts a déjà été démantelé. Or, les deux réacteurs de Fessenheim ne seront plus utilisables comme des réacteurs nucléaires, parce que le processus de démantèlement aura franchi un cap. Je veux connaître cette date précisément aujourd’hui car on ne la connaît pas encore. Ensuite, en ce qui concerne la stratégie de démantèlement, je ne suis ni pour la stratégie américaine, ni pour la stratégie allemande. Il faut une stratégie qui laisse un site propre après démantèlement. Et puis, il reste l’idée d’installer à Fessenheim une filière d’excellence dans le démantèlement nucléaire. Ça a été, un temps, l’idée forte des écologistes qui prônaient la fin du nucléaire. Je les mets au défi.
L’industrie électronucléaire française est pointée du doigt pour sa perte de vitesse industrielle et sa gestion de projet à Flamanville, comme dans le rapport Folz. EDF a lancé son programme Excell afin de relancer et redorer le blason de la filière. Quel regard portez-vous sur les défis de la filière ?
Ce que dit le rapport Folz, c’est que la filière nucléaire française a perdu en technicité, notamment en management de projet et en capacité à piloter des chantiers d’une telle envergure. Mais le rapport précise bien qu’on a su retrouver cette capacité. Le rapport dit aussi qu’il faut, sur la base de cette reconquête, reconstruire une stratégie d’équipement nucléaire. Il ne faut pas attendre avant de prendre de grandes décisions de nouveau nucléaire, sinon nous reproduirons les erreurs qui nous ont conduits au désastre du chantier de Flamanville. Je ne suis donc pas d’accord avec la stratégie d’Emmanuel Macron qui consiste à repousser à l’après-présidentielle de 2022 la décision de restructurer EDF, décision dont on connaît la nécessité. Même si l’on veut maintenir à seulement 50 % la part de l’électronucléaire dans le mix électrique français, on doit construire du nouveau nucléaire : si l’on veut continuer à fermer des réacteurs, il faut lancer de nouveaux chantiers.
En ce qui concerne la gouvernance d’EDF, la construction juridique et financière du groupe, je trouve que le point d’équilibre actuel d’une société privée à capitaux largement publics est une bonne chose, parce qu’elle permet à la fois un vrai contrôle interne de l’Etat, tout en laissant suffisamment de distance à ce dernier pour exercer son contrôle externe de régulateur. Que ce soit en tant qu’autorité organisatrice, en tant que stratège ou en tant qu’autorité indépendante, garante de la sécurité de la sûreté, et je pense notamment à l’ASN. Je crains qu’en basculant la filière nucléaire dans une entreprise complètement publique, au regard de l’expérience de Fessenheim, on perde ce discernement propre au dialogue entre un acteur privé et l’Etat au profit d’un pilotage politique.
On connaît l’opposition de l’Allemagne à l’énergie nucléaire, et les dissensions entre la France et l’Allemagne sur ce sujet à l’échelle européenne. Comment le dialogue franco-allemand peut-il surmonter le désaccord autour du nucléaire ?
Les dissensions politiques autour du nucléaire entre la France et l’Allemagne sont liées à des histoires industrielles différentes. Les Allemands n’ont aucune compétence dans le nucléaire. Ils n’ont pas l’excellence de la France, le nucléaire n’est pas une industrie allemande, et les Allemands cherchent à fragiliser une filière d’excellence française. Nous n’avons pas à rougir de notre stratégie énergétique en France, surtout pas quand on se compare à la stratégie énergétique allemande. Les Allemands ont fait des choix politiques présentés comme écologiques, mais qui sont avant tout économiques et industriels. Il n’y a pas de raison que nos choix ne puissent pas se construire sur les mêmes critères de décision. La priorité donnée à la décarbonation du mix électrique va de pair avec la préservation, la rentabilité et la protection des filières industrielles françaises comme celle du nucléaire.
Le dialogue franco-allemand en matière de nucléaire est très difficile, parce qu’il y a une véritable instrumentalisation du nucléaire en Allemagne liée à la moins bonne connaissance du nucléaire qu’ont les Allemands. C’est un vrai sujet de complexité de nos relations. En revanche, nos relations locales autour du nucléaire existent de longue date. Je siège par exemple à la Commission locale d’information et de surveillance de Fessenheim, d’ailleurs la première de France, créée avant même que la loi ne l’oblige. Dès sa création, l’usine s’est dotée d’une CLIS financée par le Conseil général du Haut-Rhin pour permettre à la population, aux élus et aux acteurs d’être informés sur la centrale. Au sein de cette CLIS siègent les Allemands. Dès le départ, ils ont été associés. Fessenheim, c’est certes une entreprise dont EDF est l’actionnaire majoritaire, mais c’est aussi une entreprise qui compte deux actionnaires énergéticiens, un suisse et un allemand. Le dialogue transfrontalier sur ce sujet-là se fait de façon très naturelle.
Plus globalement, le nucléaire a-t-il sa place en Europe à l’heure du Pacte vert et de la taxonomie ?
Je suis très perplexe sur l’avenir du nucléaire dans le mix énergétique européen. Le nucléaire est une filière industrielle française qui doit évidemment faire l’objet d’une ambition et d’une politique européennes. Mais c’est d’abord une filière industrielle française, et quelque part, il faut aussi que la France défende ses atouts dans le débat européen. Or, quand elle cumule la décision de fermer Fessenheim et l’abandon du programme de recherche Astrid on ne peut pas penser qu’elle défend effectivement ses intérêts industriels. L’abandon du programme de recherche Astrid signe l’abandon de la confiance du gouvernement français en la qualité de notre recherche scientifique. Astrid, c’était l’espoir de fermer le cycle du combustible et de réduire très largement la quantité de nos déchets nucléaires. L’énergie nucléaire trouvait dans le projet Astrid les moyens de devenir une énergie définitivement propre.
Dans une interview donnée aux Échos, le Directeur de l’Agence Internationale de l’Énergie Fatih Birol a affirmé que “nous ne pouvons nous permettre d’exclure des technologies bas carbone”. Quel avenir, selon vous, pour le nucléaire en Europe ?
Je perçois un regain d’intérêt pour le nucléaire, du fait de la préoccupation environnementale des citoyens et de la question du réchauffement climatique. La lutte contre le nucléaire utilise souvent le recours à la peur sur les risques liés à l’exploitation nucléaire, et notamment le risque d’explosion. Mais quand on considère l’urgence climatique et la nécessité de décarboner notre économie, le nucléaire redevient particulièrement intéressant, en complémentarité avec les énergies renouvelables, parce qu’on ne dispose aujourd’hui pas d’outils énergétiques aussi peu carbonés, sur si peu d’emprise spatiale, avec une production d’électricité aussi abondante. Malheureusement, aujourd’hui, les chantres des énergies renouvelables en France pensent la transition énergétique contre le nucléaire, alors qu’il faut y arriver avec le nucléaire et les énergies renouvelables. Ce sont des énergies avant tout intermittentes, qui ne peuvent pas fonctionner sans une énergie pilotable comme le nucléaire, de surcroît décarbonée.