Oslo. La présidente du parti du Progrès (Fremskrittspartiet-Frp) Siv Jensen a annoncé ce lundi 20 janvier que son parti quitterait le gouvernement et mettrait ainsi fin à la coalition majoritaire menée depuis janvier 2019.1 Le parti qualifié d’extrême-droite ou de droite populiste rompe une coalition de centre-droit mise en place entre quatre partis au gouvernement et dirigé par la première ministre Erna Solberg, à la tête de la Norvège depuis 2013. Cette décision met un terme à une crise qui a traversé la vie politique norvégienne la semaine dernière, à savoir le rapatriement d’une femme norvégienne qui avait quitté le territoire pour servir l’Etat islamique en Syrie, et de ses deux enfants. La première ministre Solberg et la ministre des affaires étrangères Ine Eriksen Søreide ont justifié cette décision par le danger de mort encourut par l’un des deux enfants, un garçon de 5 ans, atteint d’une grave maladie. « La décision de fournir une aide pour aider cette famille à rentrer en Norvège a été prise pour des raisons humanitaires, à cause de la crainte qu’un des enfants ne soit sérieusement malade », avait ainsi déclaré Søreide. Mais pour Siv Jensen et son parti, il s’agit surtout d’une mise en danger de la sécurité norvégienne : « nous pouvions accueillir les enfants mais nous ne pouvions pas faire de compromis avec une personne qui a délibérément rejoint une organisation terroriste et qui a œuvré pour détruire les valeurs sur lesquelles repose la Norvège ». Le Frp s’était ainsi dès le début de l’affaire fermement positionné contre la décision de la Première ministre de rapatrier la mère et ses enfants et avait menacé de quitter la coalition au gouvernement. La famille a atteint le territoire norvégien samedi 18 janvier et la mère a été immédiatement interpellée et placée en détention, a fait savoir le gouvernement, tandis que les enfants ont été pris en charge par une équipe médicale et les services sociaux. Lundi matin, Siv Jensen s’est entretenue avec Erna Solberg, a la suite de quoi elle a annoncé en conférence de presse que son parti quitterait définitivement la coalition au gouvernement : « Il n’y a aucune raison pour le Frp de rester au gouvernement. J’ai fait rentrer le Frp au gouvernement, et maintenant je le fais sortir. C’est la seule chose à faire ». 

Une crise politique sans précédent en Norvège ?

Le départ du Frp de la coalition menée par Solberg et son parti Høyre met ainsi fin à la majorité gouvernementale au Parlement. Une telle décision ne s’était alors jamais produite dans l’histoire de la Norvège. Pourtant, depuis les années 1970, plusieurs gouvernements ont été à la tête du pays sans majorité parlementaire, comme le rappelle le média norvégien NRK dans un article « 5 questions et réponses sur le départ du Frp du gouvernement »2. Le gouvernement actuel d’Erna Solberg, à la tête du pays depuis 2013 et réélue en 2017, n’est donc pas menacé et la loi norvégienne interdit toute élection en dehors de celles prévues tous les quatre ans. Solberg devrait donc garder ses fonctions, mais le profil de ses ministres changer. En effet, Siv Jensen occupait depuis 2013 le poste de ministre des Finances et a quitté des fonctions, de même pour la controversée Sylvi Listhaug, ministre du Pétrole et de l’Energie3 – un ministère qui aura connu deux changements de ministres en l’espace de quelques semaines. Le nouveau gouvernement formé par Solberg dans les jours à venir sera donc exclusivement composé de figures des trois partis restants dans la coalition, à savoir le conservateur Høyre, le libéral Venstre mené par Trine Skei Grande et le Chrétien-démocrate Kristelig Folkeparti (KrF) de Knut Arild Hareide. Par ailleurs, Siv Jensen a d’ores et déjà annoncé que son parti, malgré son départ du gouvernement, continuerait à le soutenir sur certains sujets. Du côté de l’opposition, on s’inquiète de la dépendance qui pourrait s’installer et se renforcer entre le Frp et le gouvernement, comme l’affirme le leader du parti travailliste Arbeiderpartiet Jonas Gahr Støre, puisque sans le soutien du Fremskrittspartiet et de ses 26 députés sur 169 élus, le gouvernement n’a pas la majorité suffisante au Parlement pour faire voter ses lois.

Du côté du Frp, la décision de quitter la coalition gouvernementale répond à une forte opposition quant au rapatriement d’une « Femme de Daesh » mais est aussi et surtout l’occasion de se défaire d’une alliance dans laquelle ses idées n’étaient pas suffisamment entendues à son goût. En effet, l’alliance du Frp et de Høyre au gouvernement courrait depuis 2013 mais la mise en place d’une coalition à quatre depuis 2019 donnait lieu à un certain nombre de critiques de la part du parti du Progrès. Siv Jensen a ainsi déclaré lundi que le gouvernement n’avait « plus d’orientation ». Dans cette nouvelle situation politique, le Frp aura sans aucun doute une position renforcée dans les rapports de force avec le gouvernement. 

Plusieurs dossiers importants pourraient être menacés

Comme le rappelle le média norvégien NRK4 , plusieurs dossiers sensibles pourraient être menacés par le départ du Frp du gouvernement. Par exemple, le projet de câble sous-marin à haute-tension North Connect qui devait relier la Norvège à l’Ecosse avait été approuvé par le gouvernement. Le départ du Frp et la perte de la majorité au Parlement pourrait compromettre le projet, alors que l’ancienne ministre du Pétrole et de l’Energie Sylvi Listhaug (Frp) a déjà exprimé sa volonté de ne pas le soutenir. De plus, le projet de réforme régionale porté par Høyre et entré en application à partir du 1er janvier 2020, pour réduire le nombre de comtés en Norvège, par la création de la nouvelle région de Viken autour d’Oslo, pourrait désormais être compromis par l’opposition du Frp,. Un autre sujet de controverse est la limitation de la ligne des glaces en mer de Barents, qui permet notamment de définir les zones de prospection de gaz et de pétrole en Arctique. Les différents partis de la coalition ne sont pas en accord sur la question, Venstre souhaite déplacer la limite vers le sud et Høyre rester en statu quo ; Frp pourrait au contraire plaider pour pousser la prospection plus au nord lors des débats parlementaires qui devraient être lancés au printemps prochain sur la question.

Perspectives :

  • Erna Solberg restera à la tête du gouvernement norvégien au moins jusqu’aux élections prévues en septembre 2021. Le départ du Frp place en position minoritaire sa coalition au Parlement, mais des alliances se feront au cas par cas pour le vote de nouvelles lois, ce qui devrait permettre le renforcement du parti du Progrès. 
  • Un nouveau gouvernement devrait être annoncé par Erna Solberg dans les prochains jours. 
  • Le parti travailliste de Jonas Gahr Støre, 49 sièges au Parlement, pourrait aussi en profiter pour nouer des alliances politiques avec le gouvernement et faire entendre sa voix dans plusieurs dossiers sensibles.
Sources
  1. Frp går ut av regjering, Nrk, 20 janvier 2020
  2. HELLJESEN Vilde, KREKLING David Vojislav, Fem spørsmål og svar om Frps brudd med regjeringen, Nrk, 20 janvier 2020
  3. RYDNE Nora, OTERHOLM Gard, Sylvi Listhaug overnattet gratis hos tobakksgigant : – Viser at hun ikke klarer å gjøre disse vurderingene selv, Dagens Naerigsliv, 12 janvier 2020
  4. KREKLING David Vojislav, Ti saker kan bli rammet etter at Frp gikk ut av regjering, NRK, 22 janvier 2020