Le prix comme indicateur du pancaking du marché intérieur du gaz
Aux États-Unis, le prix du gaz est fixé à un seul endroit, le Henry Hub et il n’y a donc qu’un unique prix du gaz. L’Europe a la même ambition pour son marché intérieur. Cependant, pour l’instant, certains États maintiennent un système de prix régulés alors que d’autres ont entamé une vraie dérégulation. Ceci semble peu logique dans un système interconnecté. Le graphique montre la disparité des prix entre les pays européens.
Ceci résulte de trois raisons principales : la source d’approvisionnement qui peut être nationale ou exportée, la diversité de l’offre d’approvisionnement et la position géographique. Ce dernier critère explique donc pourquoi l’Espagne et le Portugal paient leur gaz plus cher. Des degrés de dépendance très variés par rapport au gaz russe sont également notables : la Lituanie était par exemple dépendante à 96 % du gaz russe avant d’investir dans un terminal de regazéification afin d’importer du GNL américain. Au contraire, la France importe peu de gaz, se reposant sur son énergie nucléaire.
Des Etats européens trop réticents à transformer leur système énergétique national empêchant une intégration optimale
Un des obstacles à une intégration plus aboutie du marché intérieur du gaz est le nationalisme énergétique des États-membres. Ces derniers se sont longtemps montrés réticents à l’idée d’importer de l’énergie pour protéger les entreprises nationales et pour des raisons de sécurité : importer rend dépendant des autres puissances. Les États ne sont donc pas prêts à complètement abandonner la tarification nationale, ce qui conduit à des discriminations dans l’application de ces tarifs et donc à un pancaking des prix, c’est-à-dire l’addition de tarifs nationaux non harmonisés. Fixant les tarifs de transport de gaz, les régulateurs nationaux, dépendants des gouvernements, ont entravé la convergence des marchés de l’énergie. En France, il s’agit de la Commission de régulation de l’Énergie. En Allemagne, c’est la Bundesnetzagentur. Les régulateurs nationaux imposent les prix aux opérateurs de système de transmission (TSO), aussi appelés gestionnaires de réseau de transport (GRT). Ces tarifs prennent en compte le principe des points d’entrée et de sortie du territoire national : un effet frontière est par conséquent laissé à l’appréciation de chaque régulateur. De récentes tentatives d’harmonisation ont été élaborées par les réseaux européens de transport pour le gaz (ENTSO). Les codes de réseau européens 1 sont des règles communes portant sur différentes questions transfrontalières énumérées dans les règlements communautaires. Toutefois, ces codes ne fixent que quelques grands principes de la tarification du transport de gaz sans les harmoniser réellement. Des différences entre les États membres sur la tarification demeurent, au détriment d’un marché européen de l’énergie.
La diversité des mix énergétiques est également perçue comme un obstacle majeur à une réelle convergence. Le gaz ne représente que 10 % du mix énergétique de la Pologne alors qu’il avoisine les 40 % du mix énergétique de la Hongrie. Les prix de production sont en plus très différents suivant la source d’énergie utilisée. Ceci se reflète dans les prix de détail, notamment entre les énergies fossiles et les énergies renouvelables. L’électricité produite à partir du nucléaire est la plus compétitive de toutes en matière de production. C’est une des raisons pour laquelle la France ne s’engage pas dans la sortie du nucléaire.
De plus, il est long et coûteux en investissements pour un État-membre de changer le complexe d’infrastructures déjà établi depuis plusieurs décennies dans le pays. C’est pourquoi certains gouvernements nationaux sont plus ou moins enclins à accepter la transition vers des énergies propres. Pour un marché plus intégré, il faudrait donc une plus grande convergence des mix énergétiques.
Le nationalisme énergétique se traduit également par une fiscalité énergétique étatique. Les États décident encore des charges liées au réseau et des taxes, ce qui fait que la baisse des prix à la production, possible grâce aux lois de libéralisation des marchés, ne s’est pas répercutée sur les consommateurs. La part de ces charges et taxes ont augmenté dans le prix final de l’énergie vendue aux consommateurs entre 1991 et 2016 alors que le prix de gros a baissé. La baisse des prix permise par un début de libéralisation des marchés a été en partie annulée par la hausse de ces taxes et charges étatiques. Dès lors, une réelle convergence passe par l’harmonisation des mesures fiscales nationales sur l’énergie.
Même si le marché intérieur du gaz a entamé une convergence qui a permis d’améliorer la liquidité du marché et la concurrence au niveau de la vente en gros, un clivage centre-périphérie est visible. Certains États-membres d’Europe du Sud-Est et d’Europe centrale sont exclus de ce phénomène de convergence, observé particulièrement dans les pays où se développent les hubs gaziers et plus récemment les terminaux de gaz naturel liquéfié. Dans ces complexes, les prix du marché remplacent progressivement les prix liés aux produits pétroliers. Aujourd’hui, le marché européen du gaz n’est pas encore un marché unique totalement intégré. Des barrières commerciales – à travers l’absence d’interconnexions, de tarifs transfrontaliers et la congestion physique et contractuelle – persistent dans certains Etats-membres. Les systèmes nationaux d’entrée et de sortie qui facturent le coût du transport de gaz et l’application de droit de propriété intellectuelle à certaines frontières segmentent le marché.
Perspectives :
- Le rapport Quo Vadis de la Commission européenne suggère des recommandations pour aller vers plus de convergence. Un marché unique du gaz au sein de l’UE, exploité par un seul GRT européen, contre plusieurs nationaux actuellement, pourrait assurer un maximum d’efficacité commerciale et opérationnelle. Toutefois, un marché contrôlé et centralement planifié n’est pas compatible avec les fondements politiques de l’Union européenne, basés sur la libre concurrence.
- Un scénario de réforme tarifaire avec une augmentation tarifaire uniforme et des tarifs d’entrée harmonisés dans l’UE est une autre alternative. Elle impliquerait que les tarifs de propriété intellectuelle soient nuls. Pour assurer la neutralité des revenus de ce changement aux gestionnaires de réseau de transport, un fonds de compensation GRT serait créé et une augmentation tarifaire simultanée aurait lieu aux points d’entrée et / ou de sortie restants. Un autre « scénario est celui de la fusion du marché, où les tarifs transfrontaliers dans les zones qui ont fusionné sont éliminés et les pertes de revenus des GRT sont collectées à partir des tarifs additionnels des propriétés intellectuelles sur les frontières des zones. » 2
- Le dernier scénario consiste en un partenariat avec le plus gros fournisseur de l’UE : la Russie. Mais la relation commerciale UE-Russie s’est complexifiée avec un contexte politique tendu ces dernières années. Ceci a amené chaque partenaire à se concentrer sur ses propres intérêts et la redéfinition de ses priorités : dans ce contexte, la Russie a cherché à développer ses exportations vers l’Asie tout en renforçant sa pénétration sur l’aval de la chaîne gazière européenne via l’acquisition d’actifs. L’UE a essayé de limiter la construction de nouvelles infrastructures russes pour se concentrer sur le développement du gaz naturel liquéfié (GNL) et des achats sur le marché spot. Son autre cheval de bataille est le développement des moyens de stockage ainsi que l’intervention des entreprises européennes en amont dans les projets de gaz à l’image de Yamal LNG en Sibérie.
Sources
- Commission de régulation de l’énergie, Codes de réseau européens, 2018.
- Commission européenne, Quo vadis EU gas market regulatory framework – Study on a Gas Market Design for Europe , Direction Générale Energie, 208p, février 2018